Algérie

Des journées particulières



Des journées particulières
«Les colonies ne cessent pas d'être des colonies parce qu'elles sont indépendantes.» Benjamin Disraeli.C'est l'évidence même! Chaque génération connaît des journées historiques qu'une autre ne connaîtra certainement pas.Et chacune d'elles plaindra la suivante de n'avoir pas vécu ces journées palpitantes, angoissantes ou euphoriques qu'elle a connues. C'est la raison pour laquelle je ne cesse de plaindre les jeunots qui n'ont pas connu l'éblouissement des premières journées de l'Indépendance: on a éprouvé la même sensation que ces plongeurs en apnée qui sont restés longtemps dans les eaux troubles et qui font surface dans un bouillonnement d'écume et de bulles et ouvrent grand leur bouche pour avaler une grande goulée d'air. Ouffff!Et ce ne sont pas les archives filmées qui pourront restituer l'ambiance et l'intensité des émotions ressenties par des millions de gens. Ces émotions qui se superposent en soi comme des strates géologiques font un kaléidoscope des événements vécus jusque-là: cela va de la joie jusqu'à la grande frustration.Le graphique qui représenterait ces états d'âme ressemblerait à l'ECG d'une personne atteinte d'une arythmie cardiaque du second degré... Pour filmer les journées de juillet 1962, les cameramen de la RTF (la RTA n'était pas encore rentrée...) s'étaient contentés de filmer les terrasses de la Casbah où fleurissent les drapeaux de l'Algérie nouvelle, les longs défilés de jeunes dans des quartiers méconnaissables. Ces longues théories de jeunes habillés de vert et de blanc étaient pris en plan général. On ne pouvait reconnaître personne. Il y avait aussi les longues queues devant les bureaux de vote...Rien de cette matière première, pourtant très consistante, ne peut donner lieu à un montage, tellement la qualité et la diversité des plans sont pauvres. Au même moment, une équipe de cameramen bulgares filmait, de la frontière tunisienne jusqu'à la place des Martyrs, l'explosion de joie de tout un peuple oppressé par cent trente-deux ans de domination et plus de sept années d'une guerre cruelle. C'est d'abord l'envahissement du Front de mer par une foule dense et désordonnée conduite par un vénérable vieux juché sur un âne et portant le drapeau national. Il était suivi par une foule en délire qui danse, frappe dans ses mains, improvise des cercles au centre desquels hommes et femmes dansent sans retenue à cause de l'ivresse du moment. Les jeunes montent sur les bus, frappent de leurs pieds et de leurs mains, les femmes voilées courent... Les djounoud défilent. Les maquisards sont acclamés par une foule qui emplit tout le cadre de l'image. Les cameramen sont montés sur les étages pour filmer en plongée les manifestants. A la frontière, les réfugiés rentrent: hommes, femmes, enfants, mulets, chameaux... Une vieille, grabataire sans doute, est transportée à bout de bras par un vigoureux djoundi.Place des Martyrs, les manifestants sont montés sur la statue du duc d'Orléans et son cheval: Des drapeaux ornent ces symboles de l'oppression. La nuit tombe, la fête dure toujours. Les danseurs accélèrent le rythme de leurs pas.La caméra les filme, au petit matin, exténués, dormant dans un camion, sur les trottoirs, adossés à un mur ou à un arbre...Ce n'est que quelques jours après, quand les premières fissures apparaissent sur le front craquelé des hommes politiques et des seigneurs de la guerre, que les questions inquiétantes commenceront à faire refroidir les enthousiasmes: «Sebaâ snine barakat!».Les premières journées de l'indépendance ressemblent étrangement aux premiers jours de nombreux mariages: «Tout nouveau, tout beau!».




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