Algérie

Des fleurs et des talkies-walkies'


Un rassemblement symbolique a eu lieu hier, vers la mi-journée, à Bab El Oued, à hauteur du lycée Emir Abdelkader, en face de la DGSN, en hommage aux victimes des événements d'octobre 1988. C'est Azwaw Hamou L'hadj, figure emblématique de l'association AVO 88 (association des victimes d'octobre 1988) qui est l'auteur de cette initiative. Azwaw était au nombre des innocents happés par une fusillade meurtrière un certain 10 octobre 1988 (lire notre article : « Azwaw, le bras désarmé d'Octobre », in El Watan du 9 octobre 2009). Cet ancien artisan bijoutier avait alors été criblé de neuf balles qui lui coûteront son bras gauche et des séquelles indélébiles sur le visage. Il avait à peine 21 ans. Vingt-et-un ans après ces péripéties sanglantes, Azwaw a tenu à revenir sur les lieux du drame et déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des chouhada d'octobre 1988, tout particulièrement les 39 victimes tombées ce jour-là. « Moi, je revendique un statut particulier pour les victimes d'Octobre en tant que victimes d'une bavure d'Etat et non d'un 'accident de travail' comme on nous désigne honteusement », nous explique-t-il. « C'est ici que je suis tombé », se remémore-t-il en désignant du chef un portail vert attenant au lycée Emir Abdelkader. « Voyez ce mur : il y a encore les impacts de balles qui témoignent de la boucherie. Ce mur-là par contre a été recouvert de ciment pour effacer les stigmates des automitrailleuses », poursuit notre ami avec émotion.Le rassemblement auquel avait appelé Azwaw a commencé à se former à partir de 10h30 au sein de l'un des cafés adossés au boulevard du 1er Novembre. Petit à petit, les gens ont commencé à s'agglutiner autour d'Azwaw. Parmi les présents, Yacine Teguia, membre du bureau national du MDS, Hakim Addad, secrétaire général de RAJ, l'opposant et journaliste Arezki Aït Larbi, le comédien Kader Farès Affak (personnage principal dans Gabla, de Tarik Teguia). Il y avait également des écrivains et journalistes dont le chroniqueur Chawki Amari ainsi que notre collègue Adlène Meddi. Portant une gerbe de fleurs, le cortège s'est ébranlé du café 1er Novembre en direction du lycée Emir Abdelkader. Azwaw a, alors, accroché avec son bras épargné par la machine de la répression la couronne de fleurs sur la grille du lycée, juste en face du bâtiment de la DGSN.Comme il fallait s'y attendre, la police n'a pas tardé à se manifester. Un officier de police en civil et en lunettes, arborant un talkie-walkie, accourut pour s'enquérir de l'objet de ce rassemblement qu'il avait jugé d'emblée menaçant pour l'ordre public. « N'touma chkoun ' Andkoum autorisation ' » (Qui êtes-vous ' Avez-vous une autorisation '). « Les forces de l'ordre avaient-elles une autorisation quand elles ont arraché le bras d'Azwaw et canardé 39 citoyens algériens ' », rétorque-t-on. Arezki Aït Larbi enchaîne : « Nous sommes venus déposer une gerbe de fleurs, pas poser une bombe. » Les éléments de la police continuent d'affluer et envahissent en force le périmètre. « Qu'est-ce que je vais dire maintenant à mes supérieurs ' », revient à la charge l'officier en lunettes. Un autre policier en civil muni d'un talkie-walkie tente de calmer les esprits. « On veut bien vous laisser, mais cela risque de causer des débordements et on ne veut pas de 'machakel'. Vous êtes quand même en face de la DGSN », implore-t-il. La sérénité l'emporte assez vite sur la colère et la cérémonie finit par se tenir malgré tout. Au préalable, la police s'empare de la pièce d'identité d'Azwaw en guise de gage. Une minute de silence est observée, suivie de quelques mots d'Azwaw. Il est revenu sur ce qui s'est passé ce funeste lundi 10 octobre 1988 en ayant une pensée émue pour celles et ceux qui sont tombés ce jour-là. Le geste, plus symbolique que bruyant, avait le goût d'une victoire sur l'amnésie. « L'important est de marquer le coup », se dit-on. Il est vrai qu'une simple gerbe de fleurs peut avoir raison d'une forêt de talkies-walkies'
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