Des faits et des paroles prémonitoires

Bien que réalisé en 2015, Algérie, la bataille de l'avenir, du réalisateur Nasser Bakhti, reste un film documentaire prémonitoire, compte tenu de la situation politique qui prévaut actuellement en Algérie.En effet, le réalisateur, Nasser Bakhti, a mis en images un futur qui était encore impensable et inimaginable à la fois il y a quelques mois, ou encore quelques années en arrière : le hirak en Algérie.
Ce film documentaire est, aujourd'hui, à redécouvrir avec beaucoup d'intérêt tant le discours est lourd de sens. Pour rappel, pour les besoins de sa série de documentaires sur la jeunesse à travers quelques pays du monde, le réalisateur Nasser Bakhti a mobilisé des équipes techniques composées de cameramen, d'ingénieurs du son et d'un coordinateur. Ces équipes implantées en Europe, en Asie, en Amérique et en Afrique, ont tenté de dresser le portrait de 60 jeunes dont l'âge oscille entre 20 et 30 ans.
Des jeunes vivant pour la plupart dans 30 pays du monde, dont, entre autres, l'Espagne, le Sénégal, le Chili, en Algérie, en Grèce, en Ukraine, au Japon, en Tunisie, en Inde, aux Etats-Unis, en Palestine, au Mexique. Au total, 22 films documentaires ont été réalisés jusqu'à présent par la maison de production Troubadour Films, fondée en Suisse par Nasser et Béatrice Bakhti.
La démarche de cette série de films documentaires repose sur le parcours de deux jeunes en les filmant dans leur quotidien pendant 6 jours. D'une durée de 26 minutes, cette série documentaire, qui a fait l'objet de projection en France -produite sous la coordination de notre confrère Ali Ait Mouhoub- s'ouvre sur des images d'archives rappelant le déclenchement et la libération de la glorieuse lutte de Libération nationale.
Place ensuite aux gros plans de la manifestation de février 2011 à Alger, où l'on découvre les deux activistes de ce film documentaire, à la trame bien construite. Djamila Hessam est avocate stagiaire. Issue d'une famille modeste, cette jeune fille de 26 ans habite dans un petit village en kabylie. Très impliquée politiquement, elle ne mâche pas ses mots pour affirmer que l'Algérie est sur un volcan social qui peut exploser à n'importe quel moment. «Il y a un silence en ce moment sur le terrain.
C'est le silence avant la tempête. Quand on voit les informations, on a l'air de vivre dans un pays démocratique, aucun problème. Si on parle de l'intérieur, c'est un silence qui ne va pas duré longtemps», lance t-elle. Et d'ajouter : «La jeunesse algérienne cherche une certaine liberté qu'elle n'a pas trouvé en Algérie. Elle cherche une certaine considération qu'elle n'a pas trouvée dans son pays.
La jeunesse algérienne est sur le point de non-retour. «Je demande au pouvoir algérien de nous considérer comme des citoyens et non pas comme des objets». Imad Boubekri, 26 ans, étudiant en droit à Alger, est membre du Mouvement des jeunes indépendants pour le changement (MJIC) abonde dans le même sens.
Selon lui, les jeunes doivent s'engager dans la politique et dans la lutte qui peuvent mener à quelque chose. «Nous ne sommes pas, dit-il, encore des citoyens. Nous sommes des sujets, car les citoyens ont des droits. Je ne peux pas croire que le gouvernement travaille pour l'avenir de l'Algérie. Il travaille pour une simple chose, se maintenir au pouvoir sans partage».
Imad, pétrie d'engagement, crie haut et fort qu'il fait partie de ces jeunes qui vivent dans une situation de précarité tout en ne manquant pas de souligner que les jeunes Algériens veulent vivre ailleurs. «C'est beaucoup mieux, non seulement pour la situation sociale, mais aussi pour la liberté».Invité à prendre la parole, l'avocat et ex-président des droits de l'homme, Mustapha Bouchachi, signale que l'Algérie ne va pas bien. «La génération de la Révolution et notre génération n'ont rien pu faire. Il faut une prise de conscience pour que les jeunes se réveillent et reprennent le flambeau.
Cette prise de conscience est du ressort des jeunes. J'ai de l'espoir. Il y a plusieurs mouvements sociaux de jeunes qui émergent? Je suis heureux de savoir que de jeunes Algériens, les étudiants en particulier, soient conscients de la nécessité de s'engager et de se mobiliser non pas pour des intérêts d'ordre matériel, mais pour la liberté et la démocratie», soutient-il.
Le réalisateur, Nasser Bakhti, nous confie que ce film montre qu'en 2014 la jeunesse algérienne était déjà en marche avec le 4e mandat du président Bouteflika! «Malgré l'absence d'avenir et la dérive d'un système politique qui a oublié le peuple pendant plus de 50 ans, ce peuple est resté debout. Alors ce qui se passe aujourd'hui en 2019 n'est qu'une suite logique! C'est vraiment magnifique de voir éclater au jour cette révolution de manière pacifique, populaire et déterminée.
De plus, en donnant la parole aux jeunes de mon pays, ils ont su témoigner avec intelligence, justesse et émotion de leur situation désespérée et de celle de notre pays, tout en montrant qu'ils aimeraient jouer un rôle et être considérés. Ils prouvent aujourd'hui qu'ils sont capables et qu'ils peuvent aider à façonner une nouvelle voie avec de nouvelles valeurs et de nouveaux espoirs si nous les impliquons dans le processus de changement. Je suis fier du peuple algérien et fier de mon pays», témoigne-t-il.
De son côté, le coordinateur du tournage, Ali Aït Mouhoub, estime que ce film démontre à quel point la jeunesse algérienne était consciente et mûre politiquement. «Ce documentaire adopte le regard de la jeunesse d'une culture politique à venir. Un mouvement immense était en train d'émerger à l´époque déjà». En somme, Algérie, la bataille de l'avenir reste un film documentaire d'actualité, qui est facilement téléchargeable sur Youtube, mais qui gagnerait à être programmé dans les salles de projection algériennes.