Algérie

Des épreuves de créativité et d'ingéniosité



Une créativité à toute épreuve et une ingéniosité sans pareille sont les meilleures ?uvres que de nombreux artistes peintres algériens ont réalisées en cette période de confinement. Durant plus de deux mois, hommes et femmes d'art ont fait preuve d'une productivité foisonnante, sans quitter leurs ateliers, tout en menant leurs activités quotidiennes.
Racontant leur vie et leur travail en cette crise sanitaire, des artistes peintres ont pris la chose avec sagesse. Le ton a été donné par Mimia Lichani, artiste peintre de Constantine, qui a décrit son expérience à sa manière. «Le confinement ne m'est pas une fatalité tant qu'il ne gèle pas ma créativité.
Plutôt, il m'est un sage retrait, où je m'y plais ; il me procure le temps précieux pour exaucer mes v?ux, créant fort et rêvant mieux. Illustrant au fil des jours, un plein d'amour, bariolé d'un seul jet sur ma toile ou sur mes papiers.
Dans ces doux moments fructueux, je me sens pareille à l'enfant heureux, le rêveur solitaire, qui s'y plaît dans l'aire de son jeu, avec ses papiers, ses crayons et ses couleurs de feu, en un tour de main gracieux, crée son arc-en ciel joyeux, aussi charmeur que celui des cieux. Il suffit de méditer un peu et faire de son stress une symphonie bleue», note-t-elle.
Pour Djahida Houadef, artiste peintre originaire de N'gaoues, Batna, les choses se présentent concrètement. «Le confinement pour un artiste plasticien est un mode d'emploi usuel.
Pour produire, il lui faut, la majorité du temps, d'être enfermé dans son atelier. Cet enfermement l'aide à créer cette ambiance de méditation qui reste juste un plan d'exécution pour provoquer ainsi sa muse.
Bien entendu, avec ce genre de situation, on n'obtient pas automatiquement le résultat désiré, il peut y avoir ce qu'on appelle le syndrome de la page blanche. Un blocage psychologique qui crée une peur. Personnellement, je me bats contre la peur de cette nouvelle situation inédite que vit le monde», confie-t-elle.
Des habitudes qui changent
Comme pour de nombreux Algériens, le confinement a aussi changé les habitudes des artistes peintres. On s'organise autour des besoins quotidiens de la vie. «Pendant cette période de confinement et surtout durant le Ramadhan, plusieurs habitudes ont changé.
Je sors le matin pour faire mes achats, puis je rentre chez moi et je m'installe dans mon atelier pour se consacrer à mes ?uvres d'art», relate Fouad Bellaa, artiste peintre de Khenchela. «Mon quotidien depuis l'appel au confinement est organisé selon les besoins basiques de la vie à la maison avec ses tâches et ceux du travail artistique avec toutes ses vertus», rappelle Djahida Houadef. Il est connu que pour les artistes peintres femmes, le confinement est aussi vécu entre la cuisine et l'atelier, aménagé dans un coin de la maison.
Pour Souhayla Mellari, artiste peintre de Constantine, cette pandémie a été durement vécue. «Durant l'apparition du premier cas de coronavirus à Sidi Mabrouk où j'habite, j'avais peur pour mes enfants et mes proches ; le décès de ma voisine m'a bouleversée ; cela m'a inspirée pour réaliser une toile que j'ai intitulée ?La fin des rassemblements' ; j'avais besoin d'exprimer ce que je ressentais au moment où faire sortir cette charge était vraiment nécessaire ; parfois il y a une thématique et la plupart du temps, c'est spontané», poursuit-elle.
D'autres, par contre, ont trouvé le moyen pour faire des escapades. «Dès que j'ai un moment libre, le livre me tient compagnie en bel ami ; sans lui, je me sens perdue, vide et nue.
Et ce bavard silencieux ouvre à deux battants le monde littéraire sous mes yeux», avoue Mimia Lichani. «La chose qui me manque devant le confinement, c'est le plaisir de flâner et photographier à mon aise ma ville de bout en bout, un peu partout, faire un zoom sur le pittoresque de son vieux rocher, le beau ancestral familier, avec tout le mystère qui l'entourait, et cliquer après sur sa fraîche modernité, érigée dans l'air du temps, mi-acier et mi-béton », reconnaît-elle.
À chacun sa manière de travailler
Si la crise sanitaire a imposé un rythme de vie, elle a aussi consacré une manière de travailler. Chacun choisit de «mener sa barque» à sa façon. «Généralement, je m'organise pour profiter de la lumière du jour, si vitale pour ma peinture et fidèle à mes couleurs, pour travailler. Peindre est un rituel qui demande une installation apte à l'accueillir et à l'habiter.
Retrouver le désordre d'un atelier et le tout en place, encourage l'acte et le stimule. Malheureusement, la situation de l'artiste en Algérie, antérieure au coronavirus et les lacunes de son statut ne lui permettent pas les conditions favorables pour travailler et avancer», affirme Djahida Houadef.
Dans les discussions, on revient sur la condition de l'artiste et le manque d'espace de travail qui crée des frustrations. Mais en ce temps de confinement, le souci principal est de garder le rythme dans son atelier et de vaincre l'ennui. «Lorsque le rythme devient monotone et dure dans le temps, il crée de l'ennui.
Et l'ennui est l'arrêt de tout processus d'effervescence et de dynamisme, tous ces éléments sont bien les opposés de l'art, cet agitateur continuellement renouvelable, et inépuisable source d'authenticité. Rester en confinement en durée illimitée peut creuser des écarts entre toutes genres de connexions, ce qui ne ressemble ni à l'art ni à l'artiste. L'imaginaire de l'artiste est conçu d'une évasion vitale composée de tout et de rien, celle qui puise des sens, de la réalité et perce le palpable», explique Djahida Houadef.
Pour d'autres, la créativité n'a pas de limites. Elle peut toucher d'autres volets. «Même si le rythme de travail n'est pas toujours le même, j'ai profité de ce confinement pour réaliser des travaux de décoration sur des objets de cuisine auxquels j'ai donné une seconde de vie», déclare Souhayla Mellari.
Mais «le plaisir d'être confiné dans son atelier» reste toujours intact, comme c'est le cas pour El Hacen Souyad, artiste peintre de Mila. «Je passe ma journée dans l'atelier. J'aime aussi peindre la nuit. Je me retrouve à l'aise devant ma palette et mes couleurs. Je travaille actuellement sur Ghar Essama de Grarem Gouga, une montagne majestueuse qui nous invite à admirer sa beauté et sa grandeur car elle dit : ?J'ai une histoire à raconter aux générations quand leurs ancêtres ont été bombardés dans une de mes grottes' », décrit-il.
Par la magie des réseaux sociaux
Bien entendu, beaucoup d'artistes sont restés branchés entre eux durant le confinement, selon les affinités et les intérêts. Les réseaux sociaux ont eu cette magie de les réunir et de faire découvrir leurs travaux aux autres. «Des contacts qui demeurent enrichissants et réconfortants», selon Djahida Houadef. Cette dernière soutient qu'elle tente toujours de maintenir le cordon ombilical avec son public, grâce à la «magie» de ce moyen de communication. «J'ai lancé donc une campagne de sensibilisation d'une quinzaine de jours pour dialoguer avec l'art.
Tous les jours, je postais une ?uvre, j'invitais mon réseau à s'exprimer, à évacuer les ondes négatives, à déstresser afin de préserver son organisme immunitaire, et à partager pour agrandir davantage le cercle», poursuit-elle. Les possibilités offertes par les réseaux sociaux ont inspiré plus d'un. «Non seulement je tente à travers mes toiles de sensibiliser les gens sur le danger de ce virus, mais je réalise des vidéos dans mon atelier que je partage sur les réseaux sociaux pour encourager les artistes et même les amateurs de l'art de profiter de cette période pour créer», soutient Fouad Bellaa. «En tant que fondateur et directeur de l'association Lamasat des arts plastiques à Khenchela, j'ai lancé des expositions internationales virtuelles, avec pour slogan ? Restez chez vous et Lamasset exposera vos travaux», précise-t-il.
Le salon, qui a été exposé sur la page facebook de l'association, a été ouvert le 17 avril dernier pour durer 20 jours, avec la participation d'artistes de 23 pays arabes et étrangers. Chaque jour, des ?uvres sont partagées, ce qui a donné aux artistes l'opportunité de travailler et de créer. L'expérience du confinement pour les artistes peintres avait aussi beaucoup d'aspects positifs. «Ce confinement n'est pas un régime nuisible et néfaste à l'humain s'il sait comment le prendre.
Bien au contraire, c'est un moyen bénin de préserver sa vie et celle de ses semblables», commente Djahida Houadef. Fouad Bellaa ne manque pas de rappeler que les conditions de l'artiste durant cette épidémie ont été un peu délicates. «Après la fermeture des frontières et l'impossibilité de participer aux expositions, et puisqu'il n'y a pas de marché d'art en Algérie, l'artiste plasticien se retrouve sans revenus», regrette-t-il.
Mais dans toute cette crise, il y a toujours ceux qui demeurent optimistes. «J'ai profité de ce confinement pour participer à des expositions virtuelles ; mes ?uvres ont intéressé de nombreux amoureux d'art.
Franchement, je me prépare pour l'après-confinement parce que la vie continuera et chacun de nous a un rêve à réaliser ou un travail à achever. Je projette de faire un travail artistique pour la wilaya d'Adrar à l'occasion du 5 juillet, fête de l'indépendance», annonce El Hacen Souyad, de Mila.


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