Algérie

Des éléments pour une meilleure négociation



Le 21 mars s'est close à Kigali (Rwanda) une session extraordinaire de l'Assemblée de l'Union africaine (UA) pour discuter de la mise en ?uvre de la Zone de libre-échange continentale africaine(Zleca). Cette initiative entre dans le cadre de l'agenda 2063 de l'UA.Cette initiative entre dans le cadre de l'agenda 2063 de l'UA. La feuille de route de la Zleca a été adoptée en 2012 et la décision de lancer des négociations en juin 2015, avec pour objectif (dépassé) une mise en place fin 2017.
Les ministres africains du Commerce avaient décidé, en juin 2017, de libéraliser dans un premier temps 90% des lignes tarifaires avec une marge de négociation sur les 10% restants pour les produits sensibles à exclure.
En supprimant les tarifs douaniers, il est attendu de cette zone de libre-échange une augmentation du commerce intra-africain de 52%. La réduction des barrières non tarifaires pourrait le doubler. D'un autre côté, il est attendu aussi une baisse de 4 milliards de dollars de recettes douanières, mais qui pourraient être compensées par une diminution des prix à la consommation.
Ces chiffres constituent l'argumentaire officiel de la Commission économique de l'Afrique (CEA) : le think tank officiel de l'Union africaine. Plusieurs aspects seront abordés dans cette contribution. Le premier est de donner à l'Algérie les gains et les pertes dont elle va bénéficier ou qu'elle va subir. Le second aspect concerne l'interférence que pourra avoir la Zleca avec les accords commerciaux déjà signés par l'Algérie et en vigueur (UMA et Accord bilatéral avec la Tunisie).
Enfin, le troisième point concernera la viabilité de la Zleca et son financement à travers des fonds structurels. Une majorité de pays africains sont riches en ressources minières.
Les droits de douane sur les matières premières sont assez faibles. Sur ce point, la Zleca ne peut pas faire grand-chose pour favoriser davantage ces exportations. Néanmoins, en réduisant les droits de douane intra-africains sur les produits intermédiaires et finis, la Zleca peut créer des opportunités dans ce sens. Le premier effet attendu de l'entrée en vigueur de la Zleca est une baisse des recettes douanières.
La CEA les estime entre 3 et 4 milliards de dollars américains. Le premier chiffre correspond à une libéralisation totale des droits de douane avec la mise en place de listes négatives pour chacun des pays membres sur les produits les plus importants. Le second chiffre correspond à une libéralisation totale des droits de douane sans listes négatives.
La libéralisation totale est entendue au sens d'une suppression totale des droits de douane sur tous les produits. D'un autre côté, il est estimé un gain de 11 à 16 milliards de dollars en termes de baisse des coûts de production et des prix à la consommation finale. Ceci pour l'ensemble du continent.
Les résultats par pays sont plus mitigés. Pour l'Algérie, il est prévu une perte d'environ de 3% dans les recettes douanières. Ceci est dû en fait du faible volume du commerce entre l'Algérie et les pays africains. Il faut savoir que le volume des échanges de l'Algérie avec les pays d'Afrique sont très faibles.
En 2016, l'Algérie a importé des 54 pays africains pour un peu plus de 1,4 milliard de dollars. Soit environ 3% de l'ensemble du total de ses importations. La moitié de ces importations viennent de la région UMA (environ 700 millions de dollars). Elles sont concentrées sur deux groupes de produits : les «semi-produits», avec 38%, et «Alimentation ? Boissons ? Tabacs», avec 27%.
Aussi, il faut remarquer que les importations algériennes par pays sont très concentrées. Sur les 54 pays africains, cinq concentrent à eux seuls 95% des importations algériennes.
La figure 2 ci-dessous résume cette seconde particularité des importations algériennes.
Sur le plan des exportations, l'Algérie a exporté, en 2016, vers les pays africains, pour l'équivalent de 1,5 milliard de dollars américains. Ce qui représente environ 5% du total des exportations de l'Algérie. De ce fait, la balance commerciale de l'Algérie avec les pays africains est légèrement excédentaire de près de 100 millions de dollars.
Les produits exportés les plus importants sont ceux qui relèvent du groupe «Energie et lubrifiants», avec 86%, suivi du groupe «Alimentation ? Boissons ? Tabacs», avec 9% des parts. Le reste est réparti sur tous les autres produits. Le potentiel à l'exportation existe à ce niveau.
Cette structure du commerce extérieur de l'Algérie, par pays et par produit, peut constituer un des éléments pour négocier le calendrier du démantèlement tarifaire afin de mieux tirer profit des détours de commerce qui vont naître dès l'entrée en vigueur de la Zleca. Il s'agirait de dresser la liste des produits qui sont importés en dehors de la région Afrique et de voir si son substitut existe dans un des pays africains et quel est son coût. La diminution du droit de douane doit au moins égaler les coûts d'importation dans les deux régions (Afrique et hors Afrique).
L'Algérie part avec un certain désavantage dans cette expérience de zone de libre-échange par rapport aux autres pays africains. En effet, il existe une disposition, pour les membres de l'OMC, qui permet de mieux profiter de la Zleca et renforcer le commerce intra-africain. Cette disposition est «l'Accord sur la facilitation des échanges (AFE)», qui est entré en vigueur le 17 février 2017. Cet accord vise à réduire le coût du commerce international en simplifiant, modernisant ou harmonisant les règles et procédures du pays à l'exportation et à l'importation.
A l'heure actuelle, sur les 55 pays africains, 44 sont membres de l'OMC. L'Algérie n'est pas membre. Aussi, ce qui gênera le négociateur algérien est la pauvreté et la rareté des études sur la mesure des impacts de ce type d'arrangements commerciaux sur l'économie algérienne. Ceci rendra difficile les négociations et fera dépendre les négociateurs algériens des résultats d'études réalisées dans d'autres pays.
A l'heure actuelle, l'essentiel de ces études est financé par la CEA ou par des organismes multilatéraux qui encouragent ce genre d'initiatives de libéralisation commerciale. Pour dépasser cette insuffisance, il est urgent de réaliser des études sur le potentiel à l'export de l'Algérie envers les pays africains. Le gain de l'Algérie est plus au niveau des exportations que de la baisse attendue des coûts à la production et à la consommation du fait de la faiblesse des importations mentionnée plus haut.
Du fait des avantages qu'elle offre, l'UMA et l'Accord bilatéral algéro-tunisien devraient s'effacer et laisser place à la Zleca. En effet, les avantages perçus par l'Algérie au sein de la Zleca seront supérieurs à ceux négociés au sein de l'UMA et de l'Accord bilatéral algéro-tunisien. Il est utile de mentionner que l'UA compte 15 CER (Communauté économique régionale) et Unions douanières.
La Zleca va s'appuyer sur ces accords régionaux pour un gain de temps et d'efficacité. Le fait que l'UMA n'ait pas beaucoup avancé est un handicap pour l'Algérie. Le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye ont pris leurs dispositions dans ce sens en adhérant à d'autres communautés économiques régionales, comme la CEN-SAD 1 . Un dernier point à aborder et qui clôt cette contribution est la question du financement de ce processus d'intégration régionale. En matière d'expériences de zones de libre-échange, l'expérience l'Union européenne reste la référence.
L'un des éléments les plus importants qui ont permis sa réussite est la mise à disposition des pays les plus faibles de fonds structurels et de fonds de cohésion. Ces fonds ont permis le rattrapage des pays moins développés, comme le Portugal, l'Espagne, la Grèce, et la Pologne récemment. Pour le cas de la Zleca, se posera la question de savoir qui financera ce processus, quand on sait que 32 des 55 pays africains sont classés par la Banque mondiale comme PMA (Pays moins avancés).
Dans cet ordre d'idée, l'UA a prévu une «taxe de 0,2%» à prélever sur les importations éligibles en Afrique pour financer son budget de fonctionnement et son budget des opérations de soutien à la paix. La proposition de prélever 0,2% visait à mobiliser 1,2 milliard de dollars pour l'année 2017. Il est utile de rappeler que cette taxe est en contradiction avec certaines dispositions de l'OMC, car elle est assise sur les importations. Les pays africains membres de l'OMC (au nombre de 44) seraient dispensés du paiement de cette taxe !
Aussi il est important de souligner à ce propos, que le budget de l'UA n'est financé par les pays africains membres qu'à hauteur de 44% ! le reliquat vient de donateurs internationaux (Chine,USA, Royaume-Uni, Banque mondiale, Union européenne).
Le partage des avantages résultant d'une zone de libre échange est important pour des questions d'équité et de la viabilité dans le temps de cet accord.
La zone de libre-échange touche des pays ayant des niveaux de développement différents. Il est sûr que certains vont gagner plus d'autres et que d'autres vont perdre plus. Si les gains perçus profitent à seulement à quelques pays, on risque d'observer, dans les années à venir, plusieurs « Afrexit».

Par : Mohamed Yazid Boumghar
Maître de Recherche - CREAD ? [email protected]
(1) Communauté des Etats
sahélo-sahariens qui comprend 23 pays


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