Ils sont nombreux ces jeunes qui ont cru aux dispositifs d’aide à l’emploi avant de vivre le cauchemar des tracasseries bureaucratiques, de l’endettement et pour certains, carrément de l’escroquerie. Le cas d’un groupe de 51 jeunes chômeurs de Tipasa et d’Oran est très révélateur. Après avoir bénéficié de crédits bancaires (compris entre 7 et 9 millions de dinars pour chaque navire) dans le cadre de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej) et de la Caisse nationale de l’assurance chômage (CNAC), pour l’achat de petites embarcations de pêche (12 mètres), ils ont signé des contrats avec une société privée en 2006.
Basée à Oran, celle-ci devait les construire dans un délai d’un an au plus, et les remettre avec l’ensemble des équipements. Contre toute attente, la majorité des bénéficiaires ne recevront pas leurs biens, alors que d’autres acquerront des embarcations désarmées, ne répondant pas aux normes prévues dans le contrat. En mars 2010, une plainte est alors déposée auprès du tribunal de Aïn Turck, près la cour d’Oran, non seulement par les 51 jeunes, mais également par la CNAC, l’Ansej et la BADR, constituées en tant que partie civile dans le procès, qui s’est tenu au mois de décembre dernier.
En situation de fuite, le patron de l’entreprise est condamné à 10 ans de prison pour abus de confiance, alors que son épouse, cogérante et coactionnaire, a écopé d’une peine de trois ans de prison ferme, pour le même grief. Le tribunal les a également condamnés au remboursement des chèques encaissés et le dédommagement des victimes pour les années sans travail. Des années pour lesquelles elles sont sommées de s’acquitter des intérêts de la banque. Désabusés, ces jeunes sont dans une situation catastrophique. L’entreprise chargée de leur construire les navires n’a en fait que le nom, même si lors du procès, la co-associée avait expliqué le refus de respecter la livraison par la «flambée des prix des embarcations et des pièces de rechange».
Ce cas n’est pas unique. Un autre groupe de 5 jeunes de la wilaya de Tipasa s’est présenté à la rédaction pour faire état de «la situation catastrophique» dans laquelle il s’est retrouvé. En 2007, les cinq ont bénéficié d’un crédit d’un montant de 9 millions de dinars chacun auprès de la BADR, dans le cadre de l’Ansej et de la CNAC, pour l’acquisition de sardiniers (avec un apport personnel de 1 million de dinars). Ils sont orientés vers la société El Foulk qui fait dans l’importation des navires de pêche de la Tunisie, avec laquelle des contrats de livraison de bateaux dans un délai d’un an ont été signés. A l’issue de ce délai, quatre d’entre eux affirment n’avoir rien reçu, alors que le cinquième déclare avoir acquis «une embarcation vétuste et totalement inutilisable», exhibant une expertise pour prouver ses affirmations. «Nous sommes non seulement victimes d’un abus de confiance mais nous subissons en plus la pression de la banque qui nous réclame près de 1,33 millions de dinars d’intérêts à chacun d’entre nous.
D’où allons-nous payer ces sommes alors que nous n’avons jamais travaillé du fait que les embarcations n’ont à ce jour pas été réceptionnées. L’entreprise El Foulk refuse de nous livrer les navires et nous demande de rajouter une autre somme. Le contrat fait état d’un montant de 10 millions de dinars pour chaque sardinier et non pas treize millions deux cent cinq mille dinars…», explique Dahraoui, un des jeunes contestataires. Il regrette que la décision de justice qu’il a obtenue auprès du tribunal de Cherchell, confirmée par la cour de Blida pour sommer l’entreprise à lui donner son navire, ne soit pas exécutée en dépit de son caractère exécutoire. Les mêmes propos sont tenus par Djemaï Badreddine, qui s’interroge sur «l’incapacité de la justice à rétablir les droits de chacun». En tout état de cause, les cinq jeunes se déclarent dans une situation «chaotique» eu égard «aux pressions» exercées par la banque et «le retour aux affres du chômage». Contacté, le premier responsable de la société Fellouk nous fait entendre un autre son de cloche. Il nie totalement avoir escroqué ou abusé de la confiance des jeunes. Pour lui, il s’agit d’un «complot ourdi par la maffia locale». Il explique qu’au départ, les jeunes avaient bénéficié de crédits pour l’achat de sardiniers de 12 mètres, mais ils n’avaient pas l’apport principal de 1 million de dinars. «Je leur ai proposé d’avancer cette somme et de m’associer à l’opération.
Ils ont accepté l’idée. J’ai profité pour les conseiller d’acheter des sardiniers plus grands, c’est à dire de 15 mètres au lieu de 12 et plus puissants, 300 chevaux au lieu de 200. Je me suis occupé de tout ce qui est procédure et j’ai engagé la commande. Ils sont partis en Tunisie et ont constaté que les navires étaient en construction. Mais ils ont voulu m’arnaquer. Ils ont refusé de me signer une garantie, à travers une reconnaissance de dette. Je leur ai dit que vous ne pouvez pas acheter un navire de 12 mètres au prix de celui de 15 mètres. Remboursez-moi la différence et vous aurez vos navires de 12 mètres. Ils s’obstinent à refuser l’offre. Ils ont préféré saisir la justice. Je ne les blâme pas, ils doivent être manipulés par des clans qui veulent porter atteinte à notre crédibilité…», déclare Noubli Khaled de la société El Foulk. Pour ce qui est du navire vétust, notre interlocuteur est formel. «C’est le bénéficiaire qui l’a laissé en situation d’abandon», dit-il en s’attaquant avec virulence à l’expertise.
Revenant sur les cas de Djamaï et Aggoune, il affirme qu’ils ont bénéficié de crédits pour l’acquisition de sardiniers de 7,5 mètres, avant de demander des 10,5 mètres. «Nous avons gardé leurs demandes écrites. J’ai engagé la commande et une fois que le chantier les a réalisés, ils sont revenus sur leur choix en optant pour les sardiniers de 7,5 mètres. Heureusement que le chantier a pu les vendre sur place, en reprenant la commande des 7,5 mètres. Nous avons eu des problèmes pour les ramener en Algérie, vu les évènements de Tunisie. Vers la fin du mois de janvier, je leur ai dit que leurs navires sont prêts et qu’ils seront réceptionnés dans les jours à venir, mais eux ont préféré déposer une plainte. Cela veut dire tout simplement qu’il y a des gens derrière qui veulent casser notre société…», souligne M. Noubli. Force est de constater qu’entre les avis des uns et des autres, des jeunes auxquels l’Etat a accordé des crédits sur les fonds publics pour les extirper des affres du chômage, se retrouvent non seulement à la case zéro, mais surtout, et c’est le plus grave, avec des dettes de plus en plus importantes auprès des banques.
Ce qui prouve que des dysfonctionnements caractérisent les dispositifs d’aide aux jeunes mis en place par les autorités. Sans contrôle, sans accompagnement et sans études de marché de l’emploi, tous les fonds que l’Etat déboursera pour juguler le chômage ne seront que gâchis. Il est peut-être temps de faire le bilan et de corriger les erreurs…
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Posté Le : 09/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Salima Tlemçani
Source : www.elwatan.com