Algérie

Des dizaines de dromadaires tués : La mort au bout du bourbier



Alerte ! Plus de 15 dromadaires ont été tués à cause des déchets laissés par une excavatrice près du champ pétrolier d'El-Merk.Il y a deux semaines, le président de l'association des éleveurs de dromadaires de la wilaya de Ouargla publiait simultanément sur la page Facebook de la Chambre d'agriculture locale des photos de dromadaires agonisants, les uns enlisés dans un bourbier pétrolier près de Aïn Sebaa, dans le champ pétrolier de Hassi Messaoud, les autres quasiment enfourchés par le barreaudage d'une compagnie active dans la même région. La wilaya de Ouargla compte quelque 35 000 têtes de camelins. 200 cas de décès dus aux bourbiers pétroliers et accidents de la route sont recensés depuis le début de l'année 2019, selon l'association des éleveurs de dromadaires de la wilaya de Ouargla, 70 selon les statistiques de la Chambre d'agriculture.
La zone est dévastée par la pollution due aux rejets de l'industrie pétrolière et des centres urbains, car l'existence de l'exutoire de Sebkhet Sefioune, qui est le rejet principal des eaux usées des cinq principales communes du chef-lieu de la wilaya de Ouargla, pose actuellement un problème sanitaire pour le camelin de la zone de N'goussa où le président du conseil interprofessionnel de la filière cameline, Bensid Messaoud, a constaté une recrudescence de maladies nouvelles sur le cheptel.
Les professionnels relèvent également l'absence de coordination avec le secteur des travaux publics dont le tracé des routes ne respecte pas les couloirs des parcours camelins, selon eux. Conclusion : aucun droit à cette espèce séculaire et une sonnette d'alarme qui révèle un malaise au sein de la corporation des chameliers, dénonçant la mise à mort de leur cheptel dans des conditions atroces.
Décharge à ciel ouvert
Il est 6h du matin, le jour se lève sur El Keloua. A peine à 20 km de Hassi Messaoud, c'est à la fois une périphérie urbaine toute proche des habitations, une décharge sauvage où les compagnies jettent toutes sortes de déchets et une zone de parcours camelin où il n'existe plus de pacage, remplacé par une nourriture abondante jetée par les bases de vie alentours. Les torchères sont bien en vue, signalant des puits tout proches et à la fumée qu'ils dégagent, s'ajoute une autre qui s'étend entre ciel et terre prenant naissance sur une dune traversée par une route asphaltée où se déploie une décharge à ciel ouvert.
Des amas de déchets de toutes sortes à perte de vue, un voile de fumée, une odeur pestilentielle. Au beau milieu, nous tombons nez à nez avec les dromadaires que nous recherchons. Les images colportées sur les réseaux sociaux sont donc bien réelles, des dizaines de camelins se nourrissent de la décharge, une escale obligatoire à la bordure de la capitale du pétrole algérien. Ils sont au moins trente à vue, et en s'avançant vers eux, de jeunes «Hachis» apparaissent encore derrière, entre les grosses pièces détachées, les tas de ferraille et les fûts de produits toxiques, des déchets abandonnés en pleine nature qui constituent désormais la nourriture des dromadaires en transhumance.
Mansour nous précède vers les lieux, il reconnaît un des dromadaires. «Voyez ce poinçon, il appartient à un éleveur de Aîn Beida qui a lâché son cheptel en plein désert pour s'alimenter à défaut d'orge, je vais l'appeler.» L'air désemparé, notre interlocuteur est scotché par la réponse qui lui vient de loin.
«Ne t'inquiète pas, j'enverrai un cousin.» Elu président de l'association des éleveurs camelins de la wilaya de Ouargla depuis deux ans, Mansour essaye de sensibiliser les chameliers sur les dangers réels encourus par le cheptel en période H'milune transhumance en mode ancestral qui pose un grand problème de sécurité des humains et du cheptel de nos jours. «Notre présence au sein de la Chambre d'agriculture a pour but de poser les vrais problèmes de la corporation et il y en a beaucoup, le plus important à mes yeux est l'assainissement de la liste des éleveurs s'élevant à plus de 6500, des spéculateurs. »
Marginalisation forcée
Pour Benmansour, pousser les éleveurs dans leurs derniers retranchements a été une guerre sans merci, l'été dernier, ou l'application de la directive ministérielle 1201 du 29 juillet 2019 concernant le recensement camelin et l'octroi de quotas d'orge subventionné destinés aux chameliers a suscité un tollé général. «Le nombre de demandeurs a diminué de moitié après l'instauration d'une déclaration sur l'honneur doublée d'une légalisation à la mairie. A présent, nous sommes confrontés au vrais professionnels et nous pouvons entamer notre feuille de route où la préservation de l'espèce est une priorité.»
Pour le président de la filière cameline à Ouargla, il s'agit, en premier lieu, de sortir le camelin d'une marginalisation forcée afin d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur son importance économique et écologique. Et si pour certains, il n'y a pas de possibilité de choix pour les éleveurs récalcitrants à l'élevage intensif dans les étables et enclos, d'autres sont plus sensibles au discours de réorganisation et de valorisation de la filière tenu par Benmansour.
Ce dernier appelle les autorités locales à une révision de leur position envers le camelin, notamment par le respect des couloirs de parcours lors du tracé des routes et la mise en place d'un système de signalisation plus performant, avec usage de lumières indiquant ces couloirs aux usagers de la route pour les inciter à plus de vigilance au niveau de la RN49, la RN3, la RN53A et la RN16 et RN56 qui comptent des points noirs recensés par la Protection civile et la Gendarmerie en matière de mortalité humaine et cameline due aux accidents de la route. Pour le capitaine Ghrissi, chargé de la communication, «la wilaya de Ouargla compte un réseau routier de 2053,2 km où l'intervention de la Protection civile est quasi-quotidienne pour excès de vitesse et manque de vigilance dans des zones où le passage du camelin cause de plus en plus d'accidents nocturnes. »
Détresse
Dans ce constat de détresse absolue, des éleveurs camelins réclament une décision politique courageuse concernant les insuffisances de la collecte et du traitement des déchets issus des bases de vie dans les zones pétrolières. Il s'agit d'une doléance sans cesse exprimée lors des colloques de la part des éleveurs, mais aussi des chercheurs comme le Pr Abdelkader Adamou, caméléologue à l'université de Ouargla et bien d'autres qui soutiennent que la préservation de l'environnement saharien est absolument primordiale afin d'éviter des dégradations irréversibles sur la faune et la flore.
L'installation d'un Conseil national interprofessionnel de l'élevage camelin, en septembre dernier avec pour président Abdelkader Touisat, a justement pour but la consolidation et le développement de cette filière ainsi que l'accompagnement des éleveurs et la prise en charge de leurs préoccupations, dont celle due aux contraintes d'alimentation et des techniques ancestrales à améliorer pour sécuriser le patrimoine camelin national.
Par ailleurs, il est important de souligner la mise en place du projet de recherche transfrontalière maghrébine Camed sur «les rôles de l'élevage camelin au sein des sociétés sahariennes : contribution à leurs capacités d'adaptation face aux changements globaux». Un projet lancé en 2018 et qui se propose d'identifier les principaux leviers qui influent sur la dynamique sociale et les processus écosystémiques sur l'utilisation des ressources pour proposer des alternatives socialement émergentes, aptes à soutenir les activités humaines et leurs ressources locales, notamment tout ce qui concerne l'élevage camelin dans les zones sahariennes maghrébines en impliquant les universités territoriales.


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