«Je réputais
presque pour faux tout ce qui n'était que vraisemblable» (Descartes)
Rythmées sur le
calendrier officiel, ou par réaction à une quelconque initiative française, des
dates sont commémorées sans faste, sans imagination ni envergure à même de séduire
les jeunes. Selon des rituels défraîchis par la routine et l'oubli, et au
signal, fleurissent pamphlets, commentaires et interventions qui s'apparentent
plus à des offres de services qu'à des travaux réfléchis et maturés avec
patience. Les massacres du 8 mai 1945, l'emblématique nuit du 1er novembre, la
fête de l'indépendance, l'assassinat de Boudiaf, les meurtres de Krim et
Abbane, les coups d'Etat, tout est recyclé par les uns et les autres, tout sert
d'alibi, de rente, de rappels comme pour un vaccin, pour continuer d'exister
face à une traversée que n'assume que les grands, dans le silence et le temps
consacré à la réflexion et/ou à l'écriture. Parfois, ceux qui ont évité le
maquis alors qu'ils avaient l'âge pour y aller comme les précurseurs de l'épopée
nationale ne sont pas les moins bruyants et les moins prolixes en déclarations,
tardives, contre une loi française votée par des députés légitimes.
Les dates les plus emblématiques du mouvement
national, les plus marquantes de la guerre de libération nationale sont
métamorphosées méticuleusement en de simples rituels qu'annonce le calendrier
escorté par des tics routiniers qui anesthésient la mémoire collective,
déconnectent la jeunesse prise dans les rets des prêcheurs et du ballon rond.
Des dates étaient jadis célébrées dans des stades combles où jeunes filles et
jeunes gens dansaient lors des Algériades, dans des cités universitaires
mixtes. Jadis des maquisards et l'ANP défilaient sur le front de mer désormais
masqué par des abominations.
Mais aujourd'hui, on juge et on tue pour la
énième fois des héros, des libérateurs, des bâtisseurs dont les noms ne disent
rien à de larges franges de la jeunesse, on marginalise les historiens au
profit de bavardages, d'associations rémunérées, de «familles» de plus en plus
élargies qui défient le temps, la biologie, la maladie pour téter leur
quote-part de Sonatrach, assimilée à une sorte de scandales, de détournements
insondables. Quoi qu'il se passe en Algérie, dans le monde arabe, en Palestine
et ailleurs, le silence des clercs est la norme, la règle consensuelle dans de
nombreux microcosmes qui squattent la presse lorsque l'évènement les concerne,
eux, exclusivement. Une A.G, la parution d'un livre, la fin de tournage d'un
des rares films réalisés en Algérie, un tir de barrage contre le seul diffuseur
T.V du pays qui n'a pas d'argent ou qui ne veut pas financer de «l'incorrect»
alors que tout est aseptisé, le maximum de clercs, d'artistes occupent les
journaux et les radios pour leur «promo».
Le combat de Benbrik n'a d'écho que dans des
journaux privés. L'état d'urgence, quels que soient les points de vue des uns
et des autres relève du mandarin pour nos écrivains, chanteurs, dramaturges et
cinéastes. C'est que l'argent pour la culture est plutôt rare, le guichet
unique (une seule chaîne de TV), le livre assez cher alors que les listes
d'attente s'étirent et chacun joue du coude, mais en silence. Le dernier film
de Bouchareb dans lequel l'Algérie est minoritaire en termes de financement, et
absente pour «Indigènes» pris en charge pour beaucoup par le Maroc occupe
l'actualité cinématographique et politique en… France. Dans un appel à la
censure pour une fiction des politiques de droite, d'extrême droite et des
membres de l'Exécutif à Paris remontent au…front. Leur objectif était de faire
retirer le film de la compétition à Cannes, sinon de rendre publics un point de
vue, la nostalgie de l'Algérie française et de faire vivre des mécanismes qui
font que l'on peut, en France, dire, manifester et publier des pétitions même
dans le ridicule, l'intolérance avec la volonté de peser sur les relations
franco-algériennes. Et c'est de bonne guerre dans des conflits de mémoire, une
rente mondialement partagée, surtout des deux côtés de la Méditerranée. Complémentaires,
des combattants de la 25ème heure bavardent, miment l'indignation, se font
oublier dans l'attente d'une escarmouche, d'une loi, d'un film ou un match de
foot pour montrer le bout du nez. Dans la guerre des mémoires que se livrent
des appareils politiques pour le monopole d'une histoire, d'un héros, d'une
date et qui n'ont ni la compétence, la seule acceptable, des historiens, la
grande foule de clercs et d'artistes algériens évitent l'engagement politique
comme la peste. Les référents consensuels que sont Yacine, Dib, Mammeri, Sénac,
Jeanson ou Sartre sont souvent cités mais peu respectés et honorés en faisant
de leurs positions politiques des points de convergence ou des exemples à
transmettre. En France, des intellectuels français et algériens, à visage
découvert, ont dénoncé les attaques contre le film de Bouchareb, au nom de la
liberté de création et d'expression. Si cette liberté est défendue là-bas, elle
doit l'être ici de préférence. Et c'est ce qui paralyse de nombreuses
«vedettes». Elles sont terrorisées à l'idée que leur dénonciation de la censure
en France à l'encontre d'un film réalisé pour un basané, donne l'impression que
la dénonciation et le refus de la censure puissent être comprises à l'adresse
des censeurs locaux, des dirigeants ou d'une quelconque «famille». Nos clercs
sont souvent obscurs dès qu'une carrière, une subvention, une promotion
risquent quelque peu d'être gênées. Au diable les libertés et le droit à
l'expression pourvu que les leurs soient, dans des limites, acceptées.
La guerre des
mémoires, autour d'héritages symboliques et surtout de rentes grasses,
sonnantes et trébuchantes ne cesse de se dérouler entre la France et l'Algérie.
Elle se joue aussi à l'intérieur de chacun des deux pays pour des motifs
avouables et d'autres pas. Tous ceux qui ont eu à s'exprimer ici, sur des pans
de la guerre de libération, sur des hommes au-delà de l'adoration ou de la
détestation exprimées ont bien raison de le faire. Ce sont autant d'espaces
arrachés à la norme officielle, aux gardiens intéressés de temples inconnus
pour les jeunes et qui risquent de disparaître de notre histoire si le champ
n'est pas ouvert aux artistes, aux élites, à la société entière. Quant à
l'histoire avec un grand H, en Algérie comme en France, elle appartient aux
seuls historiens avec l'ouverture de toutes les archives, du coffre-fort
officiel. Et c'est là ce qui peut être une pétition pour des clercs, silencieux
mais obscurs.
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Posté Le : 13/05/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdou B
Source : www.lequotidien-oran.com