Algérie

Des candidats à la candidature



Des candidats à la candidature
Par Zineddine SekfaliLes trois personnalités politiques les plus fréquemment citées par la presse et les observateurs politiques, comme candidats à la candidature en Algérie, sont Messieurs Lakhdar Brahimi, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia. Ces personnalités, très connues, ont en commun de posséder, chacune, un curriculum vitae politico-administratif imposant. Leurs longues carrières au sein de l'Etat et dans l'action politique également, sont par elles-mêmes le gage de leur savoir-faire. Ils allient l'intelligence à la ruse, une qualité indispensable à ce niveau de responsabilité, et jouissent d'une longue expérience dans les affaires politiques et publiques. On souhaite donc à chacun d'eux bonne chance ! Cependant, l'un d'entre eux semble mieux placé que les deux autres concurrents virtuels, dans cette course pleine d'embûches, qu'est l'élection présidentielle. Les deux autres souffrent chacun a priori d'un sérieux handicap, oserais-je dire. L'un est en effet plus âgé que le président actuellement en fonction. S'il est élu en 2019, il aura, à l'expiration de son mandat, l'âge canonique (en politique, j'entends !) de 90/91 ans. En effet, si on excepte le patriarche biblique Mathusalem qui aurait vécu 9 siècles, ainsi que les rois, les reines et les papes des temps modernes, qui restent sur leur trène jusqu'à leur mort, notre nouveau président pourrait alors devenir le doyen des présidents élus du monde entier.Bien évidemment, nous prierons Allah de lui donner une excellente santé. Nous lui souhaiterons par avance une longue vie et tout le succès dans son mandat. Nous supplierons aussi Dieu de lui épargner, et par la même occasion à nous aussi, d'autres épreuves. Ceci étant, on peut penser que le corps électoral algérien, majoritairement composé de citoyens âgés de moins de 45 ans, serait naturellement plus enclin à donner son suffrage à un président alerte et plein de vitalité, à l'instar, par exemple, du président Obama qui, après deux mandats consécutifs harassants, parvient encore à monter en petite foulée et avec l'agilité d'un sportif les escaliers des édifices et les échelles des avions qu'il prend pour ses déplacements domestiques et ses multiples visites officielles à l'étranger.Ce n'est pas faire du «jeunisme» mais au contraire preuve de réalisme, que de formuler le vœu que notre prochain président soit âgé de 50 ans au maximum au moment où il est élu président. S'il accomplit deux mandats, il quitterait alors la présidence à l'âge de 60 ans, ce qui est raisonnable, sachant du reste que le gouvernement est d'avis de fixer, pour les salariés algériens de sexe masculin, l'âge de départ à la retraite à 60 ans. Le second candidat dont la candidature paraît être également aléatoire n'est pas trop âgé : il est en effet à peine sexagénaire. Mais malheureusement pour lui, il risque de ne pas se trouver sur la ligne de départ.A son grand dam, il a été nommé à la fonction particulièrement exposé de Premier ministre à une mauvaise période. Sous son mandat en effet, les prix des hydrocarbures ont drastiquement chuté partout dans le monde (ce qui n'est pas de sa faute !), entraînant une grave crise économique et financière dans notre pays (ce qu'on aurait pu éviter vu nos avoirs en devises fortes et si on avait pris soin de mettre en place, il y a 15 ou 20 ans, à défaut d'une NEP comme on disait jadis, un «nouveau modèle économique» comme on dit aujourd'hui, c'est-à-dire un système économique qui, rompant d'avec le dirigisme et l'étatisme, devra aboutir à la libéralisation totale de l'économie).Aujourd'hui, personne n'est plus dupe : le changement, c'est maintenant ou jamais ! Tous les Algériens ont compris, après les mesures déjà prises par le gouvernement pour colmater les brèches au niveau des recettes et éviter la déconfiture du pays, que nous avons mangé notre pain blanc ! Sauf miracle – grâce aux rogations collectives faites dans les zaouïas et les mosquées ou grâce à quelque recette magique concoctée par un brillant spécialiste en sciences économiques ! –, la situation économique et sociale du pays a peu de chances d'être redressée à court ou à moyen terme.Elle ne saurait l'être qu'à long terme et au prix de grands efforts, de sévères restrictions, de discipline et d'ordre. M. Abdelmalek Sellal, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est dans cette fâcheuse conjoncture, celui qui, à son corps défendant, essuiera les plâtres et subira le sort du bouc émissaire sacrifié sur l'autel des échecs des politiques économiques de son équipe gouvernementale et des précédents gouvernements. S'il y avait en politique une justice, la responsabilité des gouvernants devrait être conjointe et solidaire, selon beaucoup de gens.Le mieux placé : ses atouts et ses mauvaises cartesLe candidat à la candidature qui reste susceptible d'être retenu par défaut en quelque sorte est M. Ouyahia. Il a été plus d'une fois ministre et Premier ministre. Sa carte de visite est d'une richesse renversante ! Peu de gens ont exercé comme lui autant de charges et de responsabilités en même temps. Qu'on en juge : actuellement, il cumule les trois lourdes charges de directeur de cabinet à la Présidence de la République, de ministre d'Etat et de secrétaire général d'un parti politique. Seul un exceptionnel généraliste-polyvalent peut cumuler autant de tâches à la fois. L'intéressé a, il est vrai, la réputation de ne répugner à aucune besogne et semble partout en capacité d'être simultanément au four et au moulin. Parfois, on le voit activer sans difficulté à plusieurs endroits en même temps, tels ces personnages légendaires auxquels les dieux de l'Olympe accordaient le don d'ubiquité. Il est doué d'une faconde remarquable et s'exprime avec aisance dans la langue de bois, langue préférée des politiciens algériens, langue dont il tente d'atténuer la rugosité en la recouvrant d'une légère couche de vernis.Un écrivain a écrit que la parole a été donnée à l'homme pour qu'il dissimule ses pensées (in le Rouge et le Noir de Stendhal). Si on y réfléchit un peu, cet écrivain n'a peut-être pas tort ! Il semble par ailleurs que ce candidat à la candidature, commis de l'Etat comme il aime à se qualifier lui-même, préfère monologuer que dialoguer. Quand il parle de ses adversaires politiques du courant laïc, semi-laïc ou religieux, il les traite d'être peu fiables et incapables d'assumer quelque responsabilité politique que ce fût. Lorsque la situation économique, sociale ou politique du pays se gâte, il se fait procureur et pointe un index inquisiteur sur l'opposition qui n'étant pas au pouvoir n'est par conséquent pour rien dans la déconfiture annoncée. Il est, hélas, vrai qu'en Algérie on n'aime pas débattre et que l'on préfère plutôt s'invectiver. Or, plus on s'invective et plus on se divise, et il est connu qu'on ne divise que pour mieux régner. Il lui arrive, lors de ses philippiques, de dénoncer cette angoissante «main étrangère» qui aurait, assure-t-il, des complices algériens. Il y aurait, à le croire, de la haute trahison et des activités subversives dans l'air déjà pollué que nous respirons.Malheureusement, personne ne vient après ses propos forts et péremptoires nous annoncer les mesures adéquates de rétorsion diplomatique que compte prendre notre ministre des Affaires étrangères contre les pays étrangers impliqués, ni les poursuites pénales déclenchées par le parquet sur ordre de notre ministre de la Justice contre les traîtres dénoncés ! Ce candidat à la candidature ne boude pas au plaisir d'apparaître sur les écrans de la télévision publique ou sur les chaînes privées de ses amis et alliés politiques. Pleinement habité par la passion aliénante de la politique et du pouvoir, il a très tôt entrepris de se construire, profitant au maximum du fait qu'il est aux avant-postes de l'administration de l'Etat, une statue de candidat officiel incontournable. Il aime camper le bien et le patriotisme, et voit par contraste dans ses adversaires politiques l'incarnation du mal et de la traîtrise !Les convictions sont les pires ennemis de la véritéC'est, dit-on, un homme de conviction. Soit ! D'aucuns ont eu la désagréable surprise de constater qu'il a reçu, dans son bureau à la Présidence de la République, un ancien terroriste venu lui exposer son point de vue sur la révision constitutionnelle et solliciter de nouvelles faveurs pour ses anciens compagnons qui avaient mis, dans un passé récent, le pays à feu et à sang. On ignore si des promesses ont été faites à ce repenti entreprenant, mais on sait que ce dernier a publiquement exprimé sa déception parce que rien de ce qu'il a revendiqué ne lui aurait été accordé. On se souvient par ailleurs qu'il avait même proféré des menaces envers de hauts responsables et tenu des propos inconvenants insultants vis-à-vis de la plus haute autorité du pays. Quelques mois après cette audience surréaliste, la porte de la Présidence resta close devant quelques illustres moudjahidine, derniers survivants d'une époque historique, sans lesquels notre pays serait encore colonisé. Ces personnalités avaient sollicité, pour des raisons qui leur étaient propres, une audience au président de la République. Mais on sait qu'en politique, les convictions sont variables et changeantes. Le philosophe allemand Nietzsche avait observé dans Humain, trop humain, ceci : «Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges.» D'aucuns prétendent qu'en tant que directeur de cabinet, ce candidat favori assume, sinon de jure du moins de facto, une fonction appelée «curatelle» par les spécialistes du droit civil et «régence» par les spécialistes du droit public. Etant de par ses fonctions très proche du chef de l'Etat, il passerait pour son «dauphin», statut qui n'est toutefois pas reconnu en Algérie, car il n'y pas de roi sous nos cieux. En effet, nous sommes vaille que vaille toujours en république. Ce n'est donc que la rumeur publique qui lui accorde ce statut juridiquement inexistant chez nous. Mais le poste de vice-président, si on l'avait créé pour lui, lui irait comme un gant, croit-on savoir.Ses atouts maîtresEn tout cas, c'est lui qui actuellement administre et gère par procuration l'essentiel des grands dossiers politiques et administratifs de la République. D'un point de vue juridique, il a délégation de signature et jouit d'un mandat quasi général. Il est censé, en tant que mandataire, rendre régulièrement et fidèlement compte de sa tâche à son mandant, le président. La proximité avec le président est probablement son plus grand atout. Mais elle suscite aussi des jalousies et des inimitiés. Or, l'homme n'est pas naïf et sait pertinemment que la «roche Tarpéienne est proche du Capitole». En conséquence, il prend des précautions. Il joue gagnant et s'accroche à ses multiples fonctions avec la force de l'arapède qui, au moindre danger, colle littéralement aux rochers marins. Ayant longtemps «tutoyé les étoiles» scintillantes de l'armée, il a aussi cètoyé les éminences grises des services secrets : ce qui est un atout maître dans notre système politique. Il a de plus eu la chance de récupérer à son profit un parti «né moustachu», selon l'expression malicieuse attribuée à M. Boualem Benhamouda, ancien ministre et ancien secrétaire général du FLN. Le RND a été ensuite monté de bric et de broc, avec des militants en surnombre siphonnés du FLN et d'une flopée de fonctionnaires qui se morfondaient d'ennui dans les administrations.Le RND, dont l'idéologie est indéfinie, est aujourd'hui un appareil structuré, une machine à organiser des élections bien huilée, et un inconditionnel comité de soutien.Son secrétaire général, s'il veut être le successeur «présomptif», c'est-à-dire le seul à avoir vocation à succéder au «de cujus successionis agitur», devra composer avec les successeurs simplement «putatifs», qui seraient aux aguets dans les coulisses du pouvoir, prêts à surgir. Certains observateurs croient savoir que la succession serait en réalité d'ores et déjà écrite, tels les arpèges d'une partition musicale. Mais d'autres pensent au contraire, qu'en l'état actuel des équilibres ou plus exactement des déséquilibres internes au système qui nous tient lieu de régime depuis des décennies, il n'existe pas plus de successeur présomptif que d'héritier putatif. Il n'y aurait que de l'enfumage et des leurres !L'Etat civil : il y a loin de la coupe aux lèvres !L'Etat civil dont la naissance a été annoncée par le frère Saâdani n'est en effet consacré ni dans les textes ni dans la pratique. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres ! La naissance par génération spontanée d'une ploutocratie ne prouve pas qu'un Etat civil, en gestation, est en cours d'institution. En fait, on n'est pas à l'abri d'une cuisante surprise ! L'abbé Sieyès, personnage marquant de la Révolution française, pressentant la chute du régime postrévolutionnaire appelé «Directoire», aurait dit à sa manière ce que je résume ainsi : «Ayant trouvé le chef civil qu'il faut pour remplacer le Directoire en train de s'effondrer, il nous faut à présent trouver à ce nouveau chef le militaire qui le secondera.» Le «Directoire», système politique français de 1795 à 1799, s'est effondré, miné par l'incompétence et pourri par la corruption. L'abbé Sieyès, qui avait compris que ce régime allait à sa perte, s'est complètement trompé en pensant que le général Bonaparte accepterait de servir sous les ordres d'un civil. Tel Borgia qui voulait «être César ou rien?!», le général Bonaparte, couvert de lauriers après ses campagnes militaires, rejetait l'idée de n'être que le second d'un civil ! En conséquence, il prit le pouvoir par la force des baïonnettes, se fit proclamer Premier consul et devint ensuite empereur des Français ! Il déclara la guerre à tous les Etats de l'Europe, remporta des victoires historiques mais finit par être battu à plate couture, laissant aux Français une France vaincue et ruinée. Mais le pouvoir civil fut restauré.Il n'y a rien de nouveau sous le soleil en ce sens que les relations entre le politique et le militaire sont particulières et que le rapport des forces entre eux fluctue au gré des circonstances. Mais ils ont le plus souvent besoin l'un de l'autre.A ce propos, deux citations qui ont le mérite de jeter une lumière crue sur ces rapports particuliers qui lient de tout temps l'armée et le pouvoir politique s'imposent.La première est une recommandation très pratique mais bassement matérialiste de Septime Sévère, empereur romain de 193 à 211, qui a dit : «Enrichis le soldat et moque-toi du reste !» La seconde est un axiome politique et tactique de haut niveau, attribué à Mao Tsé-Tsoung (mort en 1976) qui aurait affirmé?: «Qui tient l'armée, tient le pouvoir !»Curée orgiaque et prières aux zaouïasChez nous, la situation générale actuelle rappelle, peu ou prou, la déconfiture du Directoire français. En effet, au plan politique les choses sont confuses et aux plans économique et financier, la situation est mauvaise. Quant à la corruption, elle a tout gangrené : lorsque l'argent est roi et tout n'est que business, spéculations et profits. «En ces temps-là , la République était une dépouille et la curée devint orgiaque !» écrira un jour peut-être un Zola algérien ! Les Algériens, frappés de plein fouet par la crise, découvrent ébahis que des compatriotes riches comme Crésus ont des comptes bancaires dans des «paradis» portant des noms exotiques à couper le souffle, tels que : Iles Vierges, Bahamas, Panama, etc.Ces lieux sont en fait des cavernes d'Ali Baba où se sont installées des banques de recel de fonds frauduleusement acquis et des agences d'affaires sulfureuses.C'est là aussi que des juristes et financiers sans foi ni loi célèbrent des mariages incestueux entre des politiciens véreux et des flibustiers de la finance. Un de nos Crésus offshore pourrait être tenté de se faire élire président de la République algérienne ! Mais un autre Crésus onshore, jaillissant comme un lapin d'un chapeau de magicien, pourrait forcer le destin à son profit, en produisant un testament apocryphe. Pour valider ce document, il suffirait de faire attester sous serment par des milliers de personnes qu'elles l'ont constaté de visu. Les metteurs en scène de telles cérémonies de ferveur politique sont capables de rassembler plus de témoins que ne peuvent contenir la coupole de Club-des- Pins, la salle Harcha et la coupole du 5-Juillet. Un conglomérat de partis ou alliances se fera un devoir de voter des résolutions de soutien à l'heureux bénéficiaire de ce vrai-faux testament, tandis que nos imams et nos nombreuses zaouïas édicteront des fetwas purifiant cette «chahadate ezzour», collective, de ses vices de forme et de fond. Les clans, suspicieux par nature, auraient en effet conçu et élaboré des «plans B» et mis d'autres fers au feu ! On peut s'attendre donc à bien des surprises ! Ne voit-on pas qu'un candidat à la candidature est déjà en train de faire la tournée des zaouïas, confit en dévotion tel un vieux marabout ' En ces temps de religiosité ostentatoire, les zaouïas ont retrouvé l'influence religieuse et le poids sociopolitique qu'elles avaient du temps du colonel Schöene. Cet officier de renseignement en poste à l'ancien Gouvernement général (GG) en assurait la tutelle et était chargé, rappelons-le, d'entretenir leur fidélité et leur loyalisme.ConclusionLe premier souci d'un Etat de droit où se passent des élections est de veiller à ce que tout le processus électoral — des déclarations de candidatures, à la campagne électorale, aux opérations de vote, à la proclamation des résultats — soit libre, sécurisé et protégé par les autorités publiques. On ne peut dire d'une élection qu'elle a lieu au suffrage universel que lorsqu'aucune fraude ni manipulation n'a entaché ce processus.Quant au pouvoir politique, il n'est démocratique que s'il est issu du suffrage universel et secret. Ceci admis, on ne doit pas masquer le fait qu'il arrive que le suffrage universel et secret subisse, sous l'effet des habitudes acquises du temps du parti unique, quelques vicissitudes. Dans notre pays, l'apprentissage de la démocratie débute à peine et avec beaucoup de peine.


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