Algérie

Des affaires de «familles»



«Les nations n'ont de grands hommes que malgré elles - comme les familles.» B.Baudelaire

L'Algérie en ce début 2010 semble au bord de la crise de nerfs et tous les regards se tournent vers les sommets de la hiérarchie institutionnelle. Dans le silence fracassant des médias lourds, du Parlement et des partis de la majorité, chaque jour apporte de ravageuses révélations, des noms de ministres qui entraînent avec eux leur progéniture et leur parti d'appartenance aux plans idéologique et politique.

 Il s'agit bien de politique car un membre de l'exécutif est un homme politique, qui appartient à une minorité parlementaire ou à la majorité, et il applique un programme politique. Cela est valable en Suède, en Algérie, au Canada ou bien au Japon. L'action et l'engagement politiques sont des passages obligatoires pour accéder à l'exercice du pouvoir pour servir une cause, des intérêts de classe ou de catégorie, une idéologie et des convictions. C'est ce qui est enseigné dans les universités et par la vie depuis les origines de la famille, de la propriété privée et des monopoles étatiques. Les ministres locaux qui ont fait l'université le savent bien. Quant aux autres, ils s'habillent de religion ou de «constantes» pour faire eux aussi… de la politique qui peut, comme le loto, rapporter gros. Et il y a le suffrage universel qui est aussi un passage obligé pour exercer le pouvoir!

 La litanie où des feuilletons algériens se suivent, se ressemblent et ne diffèrent que par les sommes massives de dollars et d'euros qui sont soustraits à la communauté nationale. Pour des intérêts personnels, de «famille» ou de clan selon le lexique politique national. Cela va du Japon du moyen âge, aux immortels du septième art en passant par le chef-d'Å“uvre de F.F.Coppola. Dans le délire de sous-développés, le chef de l'Etat se voit affubler du titre de «chef du clan présidentiel», lui qui a pris le plus grand soin à dire clairement qu'il était un candidat libre, en sollicitant les suffrages accordés par les Algériens. Khalifa, B.R.C., Sonelgaz, Sonatrach, l'autoroute à plusieurs voies (voix), pour ne citer que les plus célèbres, sont désormais des sigles et appellations non contrôlées qui font partie de l'histoire politique, et ensuite judiciaire du pays, qui semble avoir perdu la tête. Au point de voir des policiers tabasser des médecins qui auront ensuite à soigner ces mêmes agents de l'ordre ou leur famille. Or, il suffit d'une table et des chaises, avec l'opinion publique comme témoin, pour négocier ce qui est profitable au pays, aux citoyens, aux catégories concernées, entre des acteurs politiques et sociaux civilisés au sein desquels l'intelligence et l'intérêt général sont en partage.

 La série de grèves, d'émeutes, des augmentations folles des produits locaux ou importés, le délabrement urbain, l'absence de vrais grands débats dans les médias, les associations, les partis, l'état d'urgence qui anesthésie l'action politique et les respirations de la société, offrent du pays l'image d'un «grand corps malade». La poésie et la fête en moins. Les «affaires de famille» s'accumulent, l'une derrière l'autre, devant des citoyens qui ne savent plus à quel marché, à quelle «famille» se vouer avec des repères aussi évanescents que les milliards partis en fumée, dans de lointains paradis fiscaux, investis dans l'immobilier de luxe dans des capitales où les dirigeants goguenard, méprisants comptent l'argent qui fait tourner leur économie, leurs services en faisant vivre leurs citoyens ravis de tous les apports à forte teneur de matières premières, d'hydrocarbures, d'import-export et de marchés de gré à gré frauduleux mais empreints de la sueur d'Algériens qui triment dur et passent la moitié de leur vie à attendre des transports aux horaires aussi volatiles que le gaz.

 A l'évidence, il y a des «familles» qui ont largué depuis des années le minimum de patriotisme qu'exigent les postes, les responsabilités, les privilèges, les «concentrations» consanguines du bord de mer pour mettre en place les systèmes décrits dans les films de Coppola sur les «familles» du grand banditisme et du crime organisé en Italie et aux U.S.A. Le sursaut patriotique est vital dont les manifestations seraient une justice qui travaille vite et bien dans le respect absolu de la présomption d'innocence, le respect des tonnes de lois et règlements qui existent, contre la corruption, les détournements et les vols manifestes et répétés. Mais lorsque ceux à qui la loi fait l'obligation ferme de déclarer leur patrimoine et celui de leur famille passent outre, le sursaut en question n'est pas pour après demain. Un jour Charles Pasqua en poste avait déclaré, concernant l'Algérie, qu'il fallait laisser ce pays aller «à la transition et à la démocratie selon son rythme». Autrement dit, plus le rythme est siesteur avec des transitions à rallonges, plus les intérêts des multinationales étaient florissants. Il lui a été répondu qu'il fallait pousser cette logique beaucoup plus loin et d'attendre que l'Algérie, les pays arabes et africains inventent la pénicilline, l'avion, la TV, les contraceptifs et les énergies nouvelles pour enfin s'en servir. Les origines de la démocratie sont de très loin antérieures à Pasqua et à tous les dirigeants arabes. Et pourtant, elle fonctionne comme système le moins mauvais et le plus performant pour que ceux qui le pratiquent soient les maîtres de la planète.

 Des pays développés et démocratiques ont connu des errements, des transitions, des guerres, y compris coloniales et mondiales, mais ils ont su tirer les leçons, élaborer des consensus et des fronts nationaux et aller à la vitesse de croisière.

 Les sommes incroyables détournées, les rentes de situation, politiques et issues de la guerre de libération sont toutes puisées de la même caisse, celle des revenus, les seuls du pays, des hydrocarbures. Comme de nombreux experts au-dessus de tout soupçon prédisent à l'Algérie un épuisement plus tôt que prévu du pétrole, que le pays serait obligé d'importer du pétrole, les prédateurs mettent les bouchées doubles. Le temps du pétrole et le leur sont comptés. Alors les «familles» puisent vite, beaucoup et forcément commettent des erreurs. Leurs comptes et leurs biens à l'étranger sont répertoriés au dollar près par les services et gouvernements dans les pays développés. Ils sont tenus à la merci d'une fuite organisée et exécutent alors les ordres de tous ceux, dans le monde, qui ont accès aux dossiers de l'argent sale. S'ils occupent des postes de décision, grande ou moyenne, ils sont tenus. Mais le pays, par conséquent, est tenu. On peut alors humilier tout un peuple et éradiquer par là même la dignité et la fierté légitimes de se sentir algérien pour des millions de jeunes et d'honnêtes gens.

 Les barbes hirsutes et celles bien taillées qui cachent, plutôt mal, le vol et la corruption à grande échelle ne trompent que peu d'Algériens dont la majorité, les élites, les médecins, les enseignants, les ouvriers et les petits commerçants savent le prix du labeur et le coût de la vie sans bigoterie ou verbiages religieux ostentatoires. Un sursaut patriotique vigoureux, un consensus politique pour un cap, des hommes jeunes et compétents si nombreux en Algérie et des réformes systémiques peuvent nous faire quitter le ridicule statut de futur pays émergent (FPE).








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