Algérie

Derviche tourneur'



C'est dans l'anonymat le plus cynique que la Télévision algérienne a « célébré » les vingt ans de la presse indépendante. En fait, elle a eu l'indécence de taire le sujet pour montrer qu'il ne l'intéressait ni de près ni de loin et de surcroît qu'il n'avait aucune espèce d'importance pour être repris. Une manière très subtile pour le discréditer. Pourtant, c'est grâce à cette presse que les Algériens sont tenus plus ou moins informés des réalités politiques, économiques, sociales, culturelles et sportives qu'ils vivent au quotidien. Une presse qui, malgré ses faiblesses (elle est encore très jeune), a réussi à dresser de précieux garde-fous contre les dérives du pouvoir en place en attendant de constituer un jour un véritable contre-pouvoir.Une presse donc qui mérite le respect malgré toutes les critiques objectives ou subjectives qu'on peut formuler contre elle, mais que l'Unique ignore totalement pour des raisons politiques évidentes qui n'échappent à personne. Ainsi, chaque jour que Dieu fait, au lieu de mettre au courant le rare public qui lui reste sur la nature des vrais problèmes qui se posent à la société, l'avertir notamment sur tout ce qui ne marche pas, ou ne tourne pas rond, comme les grandes affaires de corruption qui ébranlent à rythme régulier le pays, la Télé nationale préfère jouer au derviche tourneur en s'échinant à présenter un tableau idyllique de l'action gouvernementale alors que les casseroles trouées ne se comptent plus dans le sérail, preuve que la gouvernance, sous forme de dirigisme imposé à la population, laisse beaucoup à désirer.Ce qui complique encore les choses, c'est la langue de bois, encore et toujours la langue de bois que les deux animateurs vedettes du JT de 20 heures manient avec un art consommé de la perfection, la prenant en charge avec fierté et usant d'elle comme s'ils étaient les porte-voix attitrés du système. Sourire généralement absent, l'attitude raide, le ton à la limite de l'agressivité, la diction, par prompteur, soignée autant que possible, mais volontairement dogmatique, les deux chouchous du 20 heures nous donnent davantage l'impression de mener chaque soir un « combat » que de faire simplement leur travail.Alors que la plupart des télévisions du monde, arabes notamment, ont compris que présenter un JT est devenu le point nodal de séduction auprès des téléspectateurs qu'il faut absolument soumettre aux règles du marketing, on continue chez nous à privilégier des présentateurs impersonnels qui sont pour beaucoup dans la fuite du public. Parenthèse fermée, aux Algériens qui pensent que rien ne va plus dans ce pays où le chômage atteint des niveaux intolérables pour une nation riche en ressources du sous-sol, où la croissance stagne, où l'éducation va à vau- l'eau, où la culture vire de plus en plus au bricolage et où la vie politique ne ressemble à rien, l'Unique répond sans avoir peur du ridicule que tout va pour le mieux'Quand des ministres, des hommes politiques ou des responsables quelconques sont dans le collimateur pour leur implication réelle ou supposée dans des affaires jugées délictueuses, le petit écran est toujours là pour lever tout soupçon à leur encontre, prêt même à les réhabiliter devant l'opinion publique.Pourquoi insiste-t-on à faire le même constat sur une télé qui semble appartenir à un autre siècle ' Parce qu'à force de travestir la vérité, elle est en train de participer dangereusement à l'étouffement des idées novatrices dans ce pays où les esprits n'acceptent plus d'être manipulés aussi grossièrement, d'être pris pour les dindons de la farce. Exemple avec la énième intervention de Zerhouni sur les documents biométriques, l'Unique n'accorde aucune attention aux réactions citoyennes excédées par l'outrance des formalités à remplir et qui sont en contradiction flagrante avec la placidité du ministre de l'Intérieur.C'est le même topo employé pour dénaturer le sens de la mobilisation des médecins que le petit écran présente comme une catégorie peu scrupuleuse de se soucier, en faisant grève, de la santé des citoyens, omettant d'expliquer que les blouses blanches, comme tout le reste des travailleurs qui voient leur situation sociale se dégrader, n'ont que la rue comme moyen de recours pour faire entendre leur voix. Le diktat de l'Unique est donc impitoyable et ne risque pas de changer de sitôt. Les Algériens, de guerre lasse, devront à l'avenir, pour être informés sur ce qui se passe chez eux, se tourner vers les écrans libres qui seront créés bientôt en' Mauritanie. En effet, c'est le président mauritanien en personne qui a annoncé que le secteur audiovisuel, encore quasiment public, sera libéralisé entre mai et juin, invitant la télévision d'Etat à se préparer à faire face à la concurrence. La leçon nous vient des plus humbles, Pôvre Algérie'


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