Algérie

Déroute



On attendait le verdict concernant une convertie à Tiaret ; on a eu six nouveaux réquisitoires de deux ans de prison chacun.
Il n’y a donc pas que Habiba à avoir changé de religion.
Il y a deux ans, l’État réagissait à cette débandade spirituelle par une loi qui encadre la pratique du culte. Les pratiquants ne sont pas encore badgés, mais les prêcheurs et les lieux de culte devraient être répertoriés. 
Les autorités ne se sentent pas interpellées par cette débandade des consciences qui, d’un côté, les émeut, et, d’un autre côté, ne leur inspire que la répression de l’observance clandestine et du prêche sauvage de cultes “étrangers”.
De la même manière, le réflexe de la répression avait automatiquement joué quand l’hémorragie de “harragas” atteignit un débit scandaleux au point où la ruée devint difficile à dissimuler. On renforçait alors les patrouilles de garde-côte et on jugeait les fugueurs capturés selon la procédure de flagrant délit.
Au moment où l’État tente de contenir l’évasion, on apprend que de jeunes tentent par centaines de s’engager dans la Légion étrangère de triste mémoire pour les Algériens (El Watan d’hier). Mais c’est vrai que le temps n’est pas à la mémoire, mais à la réconciliation, c’est-à-dire à l’antimémoire.
D’autres formes d’évasion participent à l’extraordinaire déroute populaire : les acquisitions de nationalité sous divers motifs, les émigrations légales, la déperdition de cerveaux. Mais ce tranquille épanchement de sève humaine n’est pas réprimé, ses adeptes étant vite mis à l’abri de la répression nationale sous d’autres cieux.
Pourquoi la fuite des fidèles serait-elle donc plus répréhensible que la fuite de la main-d’œuvre et la fuite des cerveaux ? Pourquoi la perte physique d’une compétence n’est pas plus alarmante que la perte spirituelle d’un quidam ?
Pourtant, dans les deux cas, et dans tous ces cas de déperdition nationale se lit la déroute politique du système de gestion de la société. Si l’on tente d’en sortir par toutes les lézardes, c’est que cette société, telle qu’administrée, est devenue invivable pour des masses d’Algériens !
Le pouvoir, au lieu d’y trouver matière à se réformer, préfère traquer les manifestations de sa mauvaise gestion.
L’insurrection terroriste a précédé le sauve-qui-peut général comme révélateur de l’impasse politique du système. Mais elle n’a pas convaincu le système de son obsolescence ; il a tenté de la réprimer avant d’opter pour composer avec elle. Croyant avoir réussi à s’allier l’islamisme grâce à la démarche “réconciliatrice” de l’actuel régime, il s’attelle à réprimer ces évasions multiformes qui expriment la volonté de s’arracher à un ordre politiquement oppresseur, économiquement inefficace, socialement inique, moralement injuste et culturellement creux.
Le désarroi social exprimé par le phénomène de harragas, les propensions à l’émeute et la détresse spirituelle énoncée par le mouvement de conversion religieuse, même s’ils traduisent, de manière infamante, un malaise d’envergure sociétale, ne suffisent apparemment pas à convaincre le pouvoir de se remettre en cause.
Il s’emploie à traquer les transfuges croyant pouvoir ainsi contenir ce qu’ils représentent : sa propre déroute.


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