Un rue de l’ancienne Médina qui relie la place du Marché couvert au Médress. Etroite mais pleine d’histoire Une grande maison, en ruine, débute tout en haut de la rue et finit soixante mètres plus loin, pour surplomber l’ancienne Zaouia. La demeure aujourd’hui complètement lézardée hébergeait depuis des siècles la population juive la plus défavorisée. Des artisans, des ouvriers, les laissés pour compte de la communauté européenne, parce qu’ils étaient plus proches des arabes que des chrétiens .Ils parlaient l’arabe, s’habillaient comme eux, avaient les mêmes métiers, et vivaient dans les mêmes conditions de paupérisation. Pendant la guerre de libération, ils changèrent de camp et devinrent les premiers collaborateurs de l’armée coloniale en acceptant de s’enrôler dans les « territorias » à quelques très rares exceptions. Les « territorias » étaient une sorte de milice choisie à partir de la population civile à qui l’armée remettait des armes pour contrer les actions des « fidaiyine », c’est à dire les combattants de la libération. Ainsi les juifs choisirent leur camp et devinrent, eux aussi des ennemis coloniaux en bénéficiant de la fameuse loi Crémieux ; ils devinrent des français à part entière avec les privilèges accordés aux occupants. Le colonialisme avait réussi un coup de maitre : diviser deux populations qui vivaient en parfaite harmonie dans le respect le plus total. 1-L’artisan cordonnier ou la « sberdina » des pauvres En contrebas de la zaouia, les artisans cordonniers juifs étaient spécialisés dans la fabrication de l’espadrille destinée aux paysans pauvres de la classe laborieuse. Une espadrille dont la semelle était taillée sur les vieux pneus de voitures, usagers. Une récupération intelligente et peu onéreuse, car les pneus étaient en caoutchouc. Le dessus de cette « sberdina » à très bon marché et inusable était fait de bâche. Voilà le « soulier » du khamas, du berger et de l’ouvrier agricole algérien, de l’époque coloniale, qui avait des pieds bien rudes, épais, et résistants aux clous qui sortaient sous la pression du poids. Cette chaussure économique devait résister à la neige, aux travaux de champs pour n’être remplacée que rarement. Ces détails sont nécessaires pour marquer les conditions de travail et de vie de nos compatriotes pendant la nuit coloniale. Quant à la chaussure en cuir, Tlemcen était réputée pour la fabrication de ce produit à large consommation .Elle pourvoyait les besoins locaux et en exportait vers les autres départements. Le soulier traditionnel dit « sabbat arbi » de vrai cuir « debbagh » était commandé sur mesure auprès de l’artisan qui le confectionnait à la main sur du cuir .On pouvait commander le soulier conventionnel à cordon ou le mocassin et même le bottillon léger fait de cuir de chevreau. Toute matière première, de peaux des différents animaux :chèvre, mouton , vache et chameau était tanné à « Dar debbagh » Agadir ,aujourd’hui fermée sous prétexte de pollution ;Un artisanat découragé par tant de difficultés . « Dar Debbagh »une fois fermée, aurait due être remplacée par une autre plus moderne et plus écologique. L’élimination pure et simple sans substitution n’est pas une solution économique, bien au contraire. Dans notre wilaya, autrefois réputée dans le travail du cuir, nous n’avons plus de tannerie. Nous réimportons ce produit à prix fort après avoir exporté sa matière première. Pourquoi sommes nous devenus incapable de traiter nos propres ressources naturelles comme le cuir . 2- L’artisan couturier traditionnel et ses djallaba Pour revenir à la rue Moulay Tayeb ,les artisans couturiers ouvraient boutique tout en haut à gauche .Ils étaient spécialistes dans le burnous et la djellaba de laine que des paysannes tissaient sur leurs métiers en bois. L’artisan couturier était assis par terre, les jambes croisées, d’où l’expression en sport « assis tailleur ». Face à lui un jeune apprenti, dans la même positon, tenait de longs fils classés par deux, accrochés à chaque doigt dans les deux mains. Chaque fois que le couturier passait l’aiguille entre les fils et la djellaba, l’apprenti croisait les fils de gauche à droite pour tresser un cordon ainsi fixé et rassembler les différentes parties du costume. On appelle ceci « un barchemane »Ces mêmes gestes duraient jusqu’à ce que la djellaba ou le burnous étaient achevés et ainsi de suite. Ces artisans n’utilisaient que la main et l’aiguille, aucune machine .De nos jours les djellabas faites à la main sont superbes et ont une certaine classe que seuls les grands connaisseurs apprécient. Ce savoir faire s’amenuise quoique rémunérateur, car la couture d’une seule djellaba avoisine les dix mille dinars. 3-l’artisan sellier (selles pour les cavaliers) La rue Moulay Tayeb abritait le plus grand sellier qui fournissait la selle arabe, de grande taille ,destinée aux cavaliers de toute la région jusqu’à en exporter par train vers le Maroc. Aujourd’hui c’est malheureusement l’inverse qui se produit. En juxtaposition avec un autre atelier, des Mamchaoui, spécialisés dans la fabrication des tonneaux à eau « bermile » en bois, le sellier et ses deux artisans étaient de véritables artistes ; Tout le travail était strictement manuel, effectué avec des outils traditionnels qui n’existent plus de nos jours et qu’on aurait du garder comme modèles à reprendre ou du moins comme pièces de musée. Les plus importants outils spécifiques étaient fabriqués, sur commande chez le forgeron, et duraient une éternité ; comme les « kadoums » et la « kouidma ». Le reste comme la scie avait un support de bois fait à même l’atelier .Seule la lame était achétée. Même la « chignole « était manuelle et demandait une véritable force des bras et une bonne dextérité, pour trouer le bois dur. Trois artisans avaient un travail spécial préparatif à l’étape suivante .Une sorte de chaine, jusqu’à l’étape suivante. Le plus vieux « Ammi ZEROUK » ZERROUKI de son vrai nom ,un blond aux yeux verts et vifs .Malin , intelligent, affectif ,bon vivant et travailleur.il a pratiqué ce métier jusqu’à ne plus pouvoir marcher. Les derniers moments il venait à l’atelier appuyé sur une canne, il avait plus de soixante dix ans et continuait de servir sa société. A l’époque coloniale, ces travailleurs n’avaient ni couverture sociale, ni retraite. Même aisés, les gens travaillaient. Cette qualité était une culture ancrée profondément dans les mœurs. Une population productrice de ses propres biens de consommation. Ammi Zerrouk qui roulait ses propres cigarettes qu’il fumait longuement en sirotant un verre de thé à longueur de journée. Il travaillait en position tailleur, assis sur un morceau tapis et une peau de mouton, face à un petit établi rond ,haut de soixante centimètres ,taillé dans un tronc d’arbre ,en laissant une sorte de dossier pour caler l’objet taillé. « El Karta ». La matière première, le bois de peuplier, nous était livré par camion une fois l’an, selon les commandes. Elle était, alors, stockée à l’arrière boutique .Des parties de troncs d’arbres longs de soixante dix centimètres environ, empilés les uns sur les autres, occupaient une partie de l’atelier à l’abri du soleil et de la lumière. A chaque besoin on en sortait deux ou trois pour les diviser en parties égales en hauteur à l’aide de coins et de masse .On obtenait des morceaux rectangulaires de cinq à dix centimètres d’épaisseur. C’était le premier travail préparatif dont s’occupait le patron lui-même. Cette matière première était remise à Ammi Zerouk qui traçait à l’aide de moules en carton les différentes éléments de ce qui deviendra plus tard l’ossature de la selle. Celle-ci se composait de huit éléments répartis par deux, dont chacun était symétrique à son homologue. Par exemple : 1-les « sfofs »seront le dossier qui se posera sur chaque côté du thorax du cheval .Chacun des deux éléments sera taillé habilement en fonction des côtes de l’animal pour ne pas le blesser. Les extrémités de ces dossiers seront légèrement retournées. Une qualité disparue dans les selles actuelles taillées dans les madriers avec des machines modernes. Cette pratique est dangereuse pour les chevaux qui sont blessés pendant les courses, les planches droites n’étant plus adaptées à leurs corps. 2-« les hniates », c’est le siège du cavalier fait de deux morceaux symétriques adaptés aux fesses de l’homme et permettant aussi l’assemblage avec les autres parties de la selle. 3-Le dossier du cavalier « dhar », large permettant au cavalier de s’y adosser durant les longs voyages ou de se renverser en arrière pendant les courses de la fantasia .Une forme de sécurité étudiée dans la fabrication du siège traditionnel. 4-En fin « el ouala »la devanture, deux éléments qui une fois collés relient toutes les parties de la selle et permettent au cavalier de s’assoir aisément en s’adossant sur un appui . La selle traditionnelle arabe a ainsi réuni toutes les conditions de confort et de sécurité maximales aussi bien pour le cheval que pour le cavalier . Ammi Zerrouk , le vieil artisan, en véritable artiste sculpteur ,taillait toutes ces parties d’une main experte .Il lui arrivait de se blesser lorsque le bois comportait un « oeil » « aîn »et que le « kadoum » glissait. Une fois l’ossature préparée dans ces différents éléments, taillée dans une bois humide ,elle était prête à l’assemblage . Il fallait sécher ce bois soit au soleil en été , soit au four banal en hiver. Alors intervient le rôle de l’apprenti qui transportait ces éléments ou à la terrasse du domicile ou au four banal, selon la saison. Le moyen de transport était une « carrossa » mot hérité de l’espagnol .Une planche de 1,5 mètre carré, montée habilement sur des roulements de voiture eux aussi récupérés et continuaient de servir pour bien longtemps. Rien ne se jetait ,tout était récupéré. A cette époque la science de l’environnement n’était pas encore apparue .Paradoxe ! » Le four banal était payé avec les déchets du bois taillé. Ils étaient bien plus gros que les actuels copeaux et constituaient une source d’énergie gratuite pour le propriétaire du four qui gratifiait l’apprenti transporteur d’un large pourboire. Ce garçon était aussi un écolier ou un lycéen qui subvenait à ses besoins de matériel scolaire grâce à ces pourboires. Le vieux Ammi Zerrouk était aussi spécialisé dans la guérison des angines. On venait souvent le solliciter pour guerrier des enfants, des hommes et des femmes de cette affection. Il y arrivait miraculeusement sans antibiotiques ni autre médicament .Il prenait le malade, lisait quelque formule, faisait tourner habilement la tête du patient de gauche à droite, sèchement, sans risques. Il demandait alors au malade d’aller cracher le pus et le tour était joué. Bizarrement, le malade guérissait. Je ne conseille pas à quiconque d’essayer cette méthode, mais j’ai constaté qu’elle a été pratiquée avec succès. Ammi Zerrouk, soulageait les maux de dos .Il me demandait de couper des « sir ».C’était des cordons de 2 centimètres de large, longs de 1,5 mètres env., taillés dans la peau de chameau, que le malade mettait en guise de ceinture à même la peau .La douleur disparaissait. Le sir coûtait 1 franc pièce. La médecine traditionnelle était le seul recours des citoyens pour qui les soins modernes étaient hors de portée. Je ne sais pas si ces pratiques étaient efficaces, si les gens guérissaient réellement .Jai seulement constaté qu’elles aidaient les pauvres à mieux supporter leurs maux. Tout ceci se déroulait dans un atelier de fabrication de selles arabes, entre une besogne et une autre. On venait aussi demander conseil, intervention, réconciliation au patron. Le patron :Si Mohamed Salah Belkhodja dit « Toumi »Un bel homme d’origine Turk qui ne s’est jamais défait de son costume arabe et de sa «terbouche » haute chéchéa rouge . Un homme qui réunissait plusieurs qualités. Un artiste dans la sellerie, dans la fabrication d’outils pour les tisserands « En Nzek »,les derboukas ,les « bals »et même les tambours qu’il revêtait de peau de chameau ou de chevreau . Mais c’étai aussi un érudit. Après l’étude du Coran , il fréquenta la médersa pour maitriser la littérature arabe , l’histoire des conquêtes musulmanes .Il adhérait à la fameuse revue « El Bassaire ».A la maison ,il possédait une riche bibliothèque dont il consultait chaque soir un livre .La lecture et la radio étaient les seuls divertissements de l’époque et surtout pendant la guerre .Le couvre feu nous condamnait à rentrer bien avant le coucher du soleil. Donc, notre patron était non seulement un homme très instruit mais aussi un véritable artiste . C’est lui qui va donner au travail de Ammi Zerrouk le visage de la véritable de la selle par une finesse et une beauté du bois savamment taillé. Chaque élément taillé en gros par Ammi Zerrouk,séché au four ;était repris par le patron « El mââlam ».Il lui donnait la forma final en utilisant un « kadoum » plus léger et un minuscule rabot ,tenant dans la peau de la main .Cet outil spécial, introuvable en quincaillerie, rabotait l’élément de la selle dans toute ses formes ,tantôt arrondies, tantôt plates. Seul un artiste sculpteur peut arriver à de tels résultats. Une fois les huit éléments ainsi raffinés, ils étaient assemblés par de la colle forte. Les clous n’étaient pas utilisés. L’apprenti s’affairait à la préparation de cette colle, à base de cristaux, qu’il chauffait au bain marie tout en la remuant pendant des heures, jusqu’à la fonte des cristaux. Un vieux réchaud de cuivre, à pétrole, « kérosène »servait à cette cuisson comme à la préparation du traditionnel thé à la menthe. L’ossature de la selle ainsi rassemblée, sentait l’odeur du bois. Elle devenait légère et très belle à regarder. Le tronc d’arbre devenait une belle selle ayant passé par deux artistes menuisiers et sculpteurs. Ammi HADJI HAMIDA ,il venait chaque jour d’El Oubbad. Un homme à la gentillesse particulière. Lui aussi ne s’est jamais défait de son costume traditionnel « chéchéa »haute, pantalon arabe « parachute », soulier de cuir arabe fait sur commande chez le cordonnier du coin .Il avait une démarche sûre et fière. Une personnalité forte .Une excellente maitrise de son métier. Sa tâche consistait à recouvrir l’ossature d’une peau de chameau. Cette peau nous parvenait par train à partir de Béchar. Les peaux de chameaux, sèches, pliées, nous étaient livrées comme les troncs d’arbre, sur commande. A l’époque nous n’avion ni téléphone, ni internet. Les marchands venaient de près ou de loin nous proposer leurs différents produits. Les contrats étaient verbaux, basés sur la confiance. Une fois la marchandise arrivée par train, l’administration concernée nous informait par courrier porté .Le contre-remboursement à la livraison était la forme de payement la plus courante. Ni crédits, ni coups fourrés, ni dettes, ni chèque sans provision. Cette peau de chameau était trempée dans un petit bassin à même l’atelier composé de plusieurs pièces chacune ayant un usage particulier. L’apprenti la triturait de ces pieds de temps à autre jusqu’à la rendre maniable. Commençait alors le travail d’Ammi Hamida. Dans la pièce du fond, lui, étant réservée, à l’abri des regards, il commençait par débarrasser la peau d chameau, trempée de son poil marron. Il utilisait une lame d’acier, semi circulaire au manche court, tranchante ,la peau étendue à plat sur une plaque de marbre blanc. Cet outil « la farcha »était très précieux et durait des decennies. Une fois la peau lissée ,il entreprend de tailler les morceaux en fonction de chaque élément de l’ossature qu’on appelle « l’ââdam »Le maître travail d’un tailleur qui confectionne les différentes parties d’un costume devant habiller un homme .Puis commence le travail de couture .Le fil était coupé dans la peau du chameau le fameux « sir » A travers des trous pratiqués ,à la chignole manuelle , « berrima »tout autour des éléments de la selle, il cousait la peau à l’ossature. Auparavant ,il avait enduit toute l’ossature d’une colle préparée à partir d’une farine grise dite« l’entière ». La fameuse « l’entière »n’était pas chère à l’époque et servait à la préparation du pain des pauvres pour qui le pain blanc était cher. Ils ne savaient pas qu’ils mangeaient du pain entier !!! Cette ‘l’entière » était mélangée à de l’eau bouillante et servait de colle . Une fois la selle revêtue de son costume, elle devait sécher pendant de un à trois jours,selon le climat .  Deux petites étapes l’attendaient pour la finition : aplatir la couture et teinter la selle. Une fois séchée la couture devenait rugueuse, il fallait l’aplatir au bon moment. Avant que le « sir »ne devienne trop dur. Un petit marteau léger servait cet effet. Les coups portés devaient être mesurés pour ne pas casser l’ossature .Une dextérité acquise après plusieurs accidents sanctionnés .La seule manière de faire rentrer le métier. Puis venait enfin la teinture de la selle .Une peinture à l’eau préparée à même l’atelier par l’apprenti qui, acquérait un savoir faire au fil du temps. Les selles rassemblées dans une autre pièce étaient livrées à M. MEGHILI Mohammed qui exportait aussi les tapis et toute sorte de produits artisanaux. Ses magasins très réputés se trouvaient à la Kissaria, aujourd’hui la rue de fidaiyines. La couverture de la selle au « madjboud »brodée sur cuir sera le travail de Hadj Sari. Par cette occasion, Je rends un grand hommage à ces hommes, ces artistes, dont certains étaient des hommes lettrés, cultivés dans leur religion, leur littérature, leur histoire. Ils ont travaillé durement et dignement sans négliger leur devoir de citoyens en ayant participé à la libération de leur Patrie directement au combat ou financièrement .Ils ont tous été des nationalistes. Dans cet atelier de selle arabe, travaillait aussi un jeune homme tombé au champ d’honneur :en l’occurrence Salah Belkhodja Mustapha . La rue Moulay Tayeb est riche en histoire parce qu’elle a donné à la patrie les meilleurs de ses enfants. Aujourd’hui, les maisons de cette rue trombe en ruine, et les aniciens ateliers d’artistes disparaissent avec leur savoir faire et leur histoire. Prochain article :le vieux restaurateur de la rue Moulay Tayeb emprisonné pour cinq ans, pendant la guerre…………..
Posté Le : 20/11/2010
Posté par : hichem
Source : vitaminedz.com