Algérie

Démolition de l’hôtel Sahara de Biskra Un édifice historique unique au monde détruit par la bêtise et l’ignorance



Démolition de l’hôtel Sahara de Biskra Un édifice historique unique au monde détruit par la bêtise et l’ignorance
Publié le 09.04.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Mohamed Slimani,
président de l’association Mosaïque
L’hôtel du Sahara est le premier hôtel de la ville de Biskra construit en 1852. Selon l’architecture locale saharienne avec des matériaux de construction locaux, adobe (toub), pierres de l’oued Sidi Zarzour pour les fondations et boiserie locale. Et avec le savoir-faire local. Une bâtisse écologique et exemplaire en matière d’isolation thermique, comme toutes les habitations de Biskra à l’époque. Un modèle vivant pour les étudiants de l’institut d’architecture de l’Université de Biskra et des autres universités algériennes. Plusieurs thèses de doctorat se sont intéressées à cet édifice et en ont fait leur objet d’étude.

L’écrivain Albert Truphémus (1873-1948) a écrit un roman intitulé Les Khouan du lion noir en 1931 dont l’espace romanesque n’est que celui de ce fameux hôtel du Sahara ; dans ce livre il dénonce la colonisation française et l’exploitation sexuelle et physique des enfants. Cet établissement a accueilli les grands du XIXe et du XXe siècle : on peut citer à titre d’exemple Ferdinand de Lesseps (1805-1894), entrepreneur, ayant construit le canal de Suez et celui du canal de Panama, venu spécialement pour le projet de la Mer intérieure pour construire le canal de Gabes ; l’aviatrice Léna Bernstein, d’origine russe, née en Allemagne en 1906 et décédée et enterrée à Biskra le 3 juin l932. Il a aussi hébergé des célébrités du monde entier comme le témoignent ses registres : le Britannique Charles R. Luce, 1920, le roi Albert et la reine de Belgique, 1921…
D’après Aly Denine, dans la revue Tassili, n°53/2008, «la reine mère d’Angleterre louait une suite à l’année dans cet hôtel». Pour ne citer que ceux-là.
Un arrêté de démolition sous le n°431 a été pris le 24/12/2005 suite à un PV du CTC stipulant qu’il menace ruine, suite à cela et vu l’opposition des citoyens de Biskra ainsi que celle du syndicat d’initiative, le wali de l’époque sous couvert du directeur de la culture de la wilaya de Biskra avait ordonné une expertise approfondie de cet édifice le 2/7/2008. Les experts architectes habilités des monuments et des sites protégés auprès du ministère de la Culture et des Arts ont conclu que «cet hôtel peut être récupéré et restauré».
Le 21/3/2023, le président de l’APC de Biskra a pris un arrêté de démolition n°441 en catimini et entaché d’irrégularités, se basant sur le constat du CTC de 2003 et, 20 ans après, occultant l’expertise réalisée par les experts du ministère de la Culture en 2009, en violation de la législation en vigueur et des lois de la République. Il a démoli manu militari ce monument historique au grand dam de la population de Biskra qui voit un pan de son histoire disparaître à jamais selon le même scénario et le sort qu’ont connu l’hôtel Royal, l’hôtel Oasis et le site de l’ancien Hammam Salhine (Ad piscinam). La disparition de ces lieux d’histoire et de mémoire collectives constitue un post-traumatisme encore vivace dans la mémoire collective des citoyens.
Biskra est un lieu touristique par excellence, par son climat doux, printanier et ensoleillé toute l’année, par ses paysages féeriques : montagnes des Aurès, les dunes de sable, les palmeraies luxuriantes, son artisanat séculaire, ses chants et son folklore typiques et riches. Elle est aussi connue pour ses hommes de culture, ses poètes, ses hommes de lettres, ses peintres, ses militants pour la cause nationale, ses valeureux moudjahidine, ses contingents de chahid, ses Oulémas, ses savants…
Pour encourager le tourisme local et international, nous avons besoin de ces lieux d’histoire, de pèlerinages. Ibn Khaldoun a vécu et s’est marié à Biskra au XIVe siècle ; Hadj Ahmed bey de Constantine s’y réfugia et y poursuivit la résistance ; Hô Chi Minh y séjourna en juin 1946 et y rencontra les leaders du mouvement national (UDMA, Dr Chérif Saâdane…). Il y a le site où se déroula l’insurrection des Zaatcha, le site de la révolte d’El Amri, les saints de la ville (plus de 400 ouali salihin). Ces sites, ces personnalités, ces célébrités, ces lieux de mémoire, sont à mettre en valeur et à protéger.
Les vestiges phéniciens, puniques, romains, musulmans, ottomans, coloniaux sont des sites qui font partie de notre histoire et qu’il faut absolument classer et préserver. La Direction de la culture et des arts de Biskra a failli à sa mission qui consiste à inventorier et préserver ce riche patrimoine et cela, malgré nos nombreuses sollicitudes. Suite à nos doléances, et il y avait urgence, le wali nous a reçus et écoutés longuement et nous a assuré de sa volonté d’œuvrer à la protection de ce riche patrimoine.
Une cellule de réflexion va être créée par l’association Mosaïque (arts, culture et préservation du patrimoine de la wilaya de Biskra). Et ce, en collaboration avec les autres associations qui œuvrent dans ce domaine, l’université Mohamed-Khider de Biskra, ainsi que des notoriétés dans tous les domaines, afin de mettre en place une feuille de route pour la préservation du patrimoine matériel, immatériel de la wilaya de Biskra et porter aussi une réflexion sur l’amélioration du bien-être du citoyen et de son cadre de vie.
L’association Mosaïque œuvre pour la création de plusieurs sites protégés, conformément à la loi 98-04 relative à la protection du patrimoine culturel de la nation (le centre-ville historique Hai Billal, le Vieux Biskra, Khanga Sidi Nadji, Tolga, fort Turc…) et enfin classer Biskra «ville de terre» (construite en toub).
De même qu’elle œuvre pour la préservation du patrimoine botanique et génétique de la flore de la région. La réflexion porte aussi sur la conception d’une charte de l’arbre qui sera signée par tous les intervenants : APC, wilaya, Direction des forêts, Direction de l’environnement, Direction de l’hydraulique, les associations citoyennes, les entreprises, les centres de recherche (CRTSRA, ITDAS, INPV,…), université, pour assurer une pérennité des actions sur le terrain, une meilleure coordination et plus d’efficacité.
M. S.



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