Face au réveil
des peuples du Maghreb et du Machreq, les tenants du
pouvoir annoncent unilatéralement des réformes; dans le cas de l'Algérie, elles
seraient de nature «législative et constitutionnelle». Pour l'essentiel, il
s'agirait de revoir les lois sur les partis et l'information avant de revoir la Constitution.
Refusant le
recours à une Assemblée constituante, concédant en apparence la fin du monopole
de l'audiovisuel, le pouvoir se ménage des règles afin de contrôle de toute
nouvelle structure partisane ou de presse. Ainsi, il est prévu une « autorité
de régulation » de la presse écrite dont la moitié des membres seront désignés
pas ce même pouvoir au demeurant contesté et jugé illégitime. Cette vision
n'est-elle pas une simple approche caractérisée par la ruse, celle de faire
semblant de concéder ? Car enfin, est-il encore concevable, quelque cinquante
ans après l'indépendance, de vivre sous la férule d'une oligarchie aux allures
autocratiques ayant fécondé des kleptomanes voraces ? Par ailleurs, l'idéologie
obsolète, enrobée de « légitimité » pseudo-révolutionnaire,
n'est plus à l'ordre du jour tant notre pays a été sévèrement malmené par nos
tyranneaux qui cultivent à satiété le culte de la personnalité et pratiquent la
coquetterie d'un populisme désuet. Alors, osons la démocratie maintenant.
Le président de
la République doit être responsable de sa politique
Le président de
la République bénéficie de pouvoirs importants : il est le chef suprême de
toutes les forces armées de la République (ministre de la Défense nationale)
; il nomme le chef du gouvernement ; il pourvoit à tous les postes civils et
militaires ... Constitutionnellement, il dispose donc de tous les postes à
pourvoir, à répartir aux membres de l'élite dont certains acceptent de faire
partie de la nomenklatura. Il est vrai qu'au regard des dispositions
constitutionnelles actuelles, sa responsabilité n'est à aucun moment mise en
cause, si ce n'est à travers le premier ministre qu'il nomme et destitue. Et le
président de la République conserve l'initiative de la loi concurremment à
l'Assemblée, donc pouvant court-circuiter le Parlement en légiférant par voie d'ordonnances
qui devraient garder leur caractère d'exception. Cette prééminence du chef de
l'Etat, chef de l'Exécutif, se révèle redoutable pour la vie politique de la
nation dans les cas de vacance du pouvoir (en cas de décès, mais également de
maladie grave et fortement invalidante) car les institutions risquent de
tourner dangereusement à vide.
Outre que la
réforme à envisager doit concerner la limitation du pouvoir personnel (mettre
fin à la concentration de pouvoirs exorbitants entre les mains d'une seule et
même personne), il y a lieu de déléguer suffisamment de pouvoirs aux membres du
gouvernement qui seront responsables devant les élus du peuple siégeant au
Parlement. Ainsi, sera réalisé un contrôle de la politique de l'Exécutif, donc
celle du chef de l'Etat ès qualité de premier responsable de la vie politique
du pays. C'est le régime présidentiel car, à ce jour, l'Algérie a vécu
constitutionnellement dans le cadre d'un présidentialisme qui se caractérise
notamment par le fait qu'il n'existe pas de contrepoids institutionnel
face au président de la
République. A l'exception de quelques rares voix, le
Parlement susceptible de remettre en cause la politique proposée et menée par
celui-ci se révèle plutôt aphone. L'opposition insuffisamment structurée semble
également aphasique. Davantage encore la société civile muselée depuis
longtemps dont il reste à espérer qu'elle devienne un acteur incontournable
dans la gestion des affaires publiques.
Il y a donc
urgence à mettre fin au déséquilibre institutionnel établi au profit du seul
président de la
République. En effet, tel que défini par l'intégralité des
constitutions algériennes et révélé par la pratique politique depuis
l'indépendance, ce dernier apparaît comme un véritable monarque présidentiel
coopté par un cercle restreint de décideurs. De même, il y a lieu d'éviter
cette espèce d'autocratie présidentielle opérée par les bailleurs de pouvoir se
disputant la décision observée comme moyen d'accession à un plus grand
patrimoine personnel. Enfin, il y a lieu également d'opérer une réflexion sur
l'institution du Premier ministre par son éventuel effacement au bénéfice d'un
Vice-président et de confier le portefeuille ministériel de la Défense nationale à
une personnalité civile dès lors que l'institution de l'armée se
professionnalise.
L'armée
professionnelle ne doit plus être instrumentalisée
Depuis
l'indépendance, la direction de l'Armée est devenue mutalis
mutandis une caste à part en détenant le pouvoir à la fois politique et
économique (le cas de l'Egypte est patent). Après les coups d'Etat opérés tant
au Maghreb (Algérie) qu'au Machrèq (Syrie), les
directions militaires étendent leurs privilèges corporatifs (budget,
traitements et équipement). Ayant acquis un statut social élevé, eu égard
notamment à la part importante du revenu national qu'elles s'octroient, elles
dévoilent au moins en partie le pourquoi des coups d'Etat opérés. Le processus
historique ayant permis l'accession de l'Armée au pouvoir a fait de celle-ci
une structure gouvernante. Aussi, pendant longtemps, il n'a pas été question
d'une Armée apolitique contrôlée par les civils (la fameuse primauté du civil
sur le militaire). C'est là une réforme à envisager pour faire de l'Armée une
réelle « grande muette ».
Principal
pourvoyeur de présidents de la République dès l'origine, la direction de
l'armée s'est révélée un acteur principal de la vie politique algérienne en
assignant à l'Etat, dévoué à sa cause, un rôle majeur comme principal
entrepreneur, banquier, employeur... Dans cette perspective, elle s'est
constituée en structure gouvernante en s'attribuant des postes-clés dans
l'ensemble des rouages du pouvoir de l'Etat. Se transformant ainsi en caste
dominante sur l'échiquier, elle agit tantôt de façon autonome (Conseil de la
révolution), tantôt sous le couvert d'une personnalité cooptée parmi ses pairs.
Les douloureux « événements » d'octobre 1988 ont pourtant donné aux tenants des
réformes l'occasion de démocratiser la vie publique dont les citoyens seraient
devenus les acteurs conscients, ayant le libre choix de leurs gouvernants à
travers notamment la constitutionnalisation du multipartisme.
Or, le pouvoir
rejette l'idée de la
Constituante et propose une révision de la Constitution. Dans
ce contexte, la révision constitutionnelle telle qu'annoncée se révèle peu
convaincante dès lors qu'elle omet significativement d'évoquer la non
limitation du nombre des mandats présidentiels de sorte que la Direction de l'Armée
n'ait plus à intervenir dans la sphère politique, d'une part, et dès lors qu'elle
ignore particulièrement la responsabilisation du chef de l'Etat devant les élus
du Parlement, d'autre part. En tout état de cause, que ce soit dans le cadre
d'une Constituante ou celui d'une simple révision de la constitution, pourquoi
ne pas opter franchement pour un régime politique où le chef de l'Etat est la
seule tête de l'Exécutif avec désignation éventuelle d'un vice-président auquel
pourraient être confiées certaines missions et pallier ainsi les cas de vacance
de pouvoir (à quoi sert en effet le bicéphalisme ?) ? Le tout en acceptant
d'être désigné comme responsable de sa politique devant le Parlement et que les
autres pouvoirs (notamment législatif et judiciaire) soient autonomes et jouent
le rôle de contre-pouvoirs institutionnels et laisser les autres institutions
agir de même : Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour des Comptes…
Le Parlement doit
être un contrepoids à l'arbitraire de l'Exécutif
Outre le
populisme et le culte de la personnalité devenus les caractéristiques dominantes
du pouvoir algérien, les bailleurs du pouvoir semblent
s'accommoder de l'état résiduel de la démocratie en Algérie. La corruption
s'étale désormais à ciel ouvert, nonobstant les élections qui s'y succèdent
confortant davantage l'illégitimité de ce pouvoir sans contrepoids réel, à
savoir : un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique, une
Magistrature indépendante, une Presse libre et une Société civile structurée.
Outre que la gérontocratie au pouvoir use d'une rhétorique démesurée et d'une
attitude arrogante, elle fait de son passé un fonds de commerce laissé
royalement en héritage à sa progéniture aux lieu et place d'un développement
politique durable légué aux citoyens appelés à se gouverner.
Dans ces
conditions, le bicaméralisme pour lequel a opté le constituant algérien peut
soulever des interrogations. Ainsi, quels seraient les tenants et aboutissants
de l'institution du Sénat (Conseil de la nation) dont le tiers dit «
présidentiel » est désigné par le président de la République ? En effet, dès
lors que les différentes tendances politiques, couches sociales ou catégories
socio-économiques, régions du pays, âges et sexes sont sérieusement
représentées au sein de l'Assemblé nationale, il est légitime de s'interroger
sur l'efficacité de l'institution d'une seconde Chambre. Dans ces conditions,
le monocamérisme devrait pouvoir suffire aux besoins du parlementarisme
algérien. Au demeurant, faut-il rappeler que le pouvoir a opté dès l'origine
pour l'institution d'une seule chambre, souvent qualifiée il est vrai de simple
chambre d'enregistrement ?
Dans cette
perspective, il est regrettable d'observer que l'Algérie n'a pas cru devoir
explorer la donne de la régionalisation en tant que forme organisationnelle
intermédiaire entre l'Etat et les collectivités locales. Cette organisation,
avec des parlements à l'échelle des régions, peut permettre une
décentralisation et une déconcentration de certaines prérogatives dites de
puissance publique entre les mains des représentants régionaux afin d'alléger
l'Etat, en sa qualité de maître d'Å“uvre de la politique de la nation, de
certaines tâches davantage techniques que politiques.
Car il est avéré
que nous vivons dans le cadre d'une démocratie résiduelle, l'opposition
parlementaire (acquise pour l'essentiel aux thèses du pouvoir dont il fait sa
cliente avec force prébendes) ayant montré qu'elle n'est pas suffisamment
structurée pour servir de contrepoids politique pour rendre crédible, effective
et irréversible l'alternance au pouvoir comme élément substantiel de la
pratique du pouvoir. Au mieux, nous avons une technocratie au service d'une
structure gouvernante qui se sert de l'Armée ; en effet, du personnel
administratif (en l'espèce, de hauts fonctionnaires délégués à des fonctions
politiques) ne peut au mieux que gérer des décisions prises en dehors des
sphères classiques du pouvoir. Ce système ne saurait procurer de résultats
probants et sérieux alors même que l'Algérie recèle de potentialités réelles,
et surtout de femmes et d'hommes de valeur. Libérons donc les citoyens et les
élus du peuple.
Les pouvoirs
judiciaire et de l'information doivent être indépendants
Que faire face au
risque de césarisme (voire de l'arbitraire) en l'absence de contrepoids réel ?
Engager une sérieuse réforme pour avoir un Parlement qui reflète un pluralisme
politique authentique à même de contrôler le gouvernement désigné par celui-ci.
Ce, dans le cadre d'un système permettant à la magistrature d'être réellement
indépendante de l'exécutif afin d'exercer sans entraves la justice au quotidien
(y compris et surtout à l'endroit des puissants par l'argent ou par l'influence
politique). Et, seule une presse libre permettra d'instaurer effectivement le
pluralisme des opinions et l'esprit critique avec des médias affranchis de toute
tutelle, l'audiovisuel devant se structurer en authentique service public. La
société civile organisée autour de syndicats autonomes et d'un tissu associatif
libre de toute tutelle pourra prendre en charge les questions qui l'intéressent
prioritairement sans passer par la bureaucratie de l'Etat gangrenée par la
corruption, y compris au niveau du pouvoir central. Tant d'affaires ont en
effet été révélées au public sans qu'il ait été possible à la Justice d'agir de façon
efficiente afin de condamner ceux qui mettent en danger et le pays et son
économie, notamment parmi eux ceux qui ont exercé une responsabilité politique
importante.
En effet, le
peuple en sa qualité de dépositaire de la souveraineté qu'il délègue aux élus
doit pouvoir exercer son droit inaliénable à l'information à l'endroit des
dirigeants qu'il a contribué au moins formellement à placer haut dans la
pyramide institutionnelle. Dans cette perspective, nos dirigeants se doivent
humblement de garder à leur esprit qu'ils demeurent des mortels au même titre
que les plus de six milliards d'êtres qui peuplent cette Terre. Même investis
des plus hautes fonctions, ils restent proches des vicissitudes de la vie,
notamment de la maladie et de la mort…
Il est vrai
également que le vaste monde est devenu un simple village planétaire où tout se
sait à l'heure de la parabole, d'Internet et du satellite. L'attitude la plus
sage et la plus conforme à la mission impartie à nos dirigeants consiste à ne
plus nous considérer comme des attardés, car même non instruits et vivant hors
champ politique, culturel et intellectuel, nous restons vigilants et capables
de discernement et donc de déchiffrer des silences qui en disent parfois plus
long que les discours fleuves. Là aussi, de sérieuses réformes sont à mettre en
place ; ainsi par exemple, on pourrait utilement désigner des porte-parole au
niveau des institutions politiques, administratives et judiciaires en sorte que
ceux-ci, régulièrement investis, puissent informer directement les citoyens de
la situation du pays et de celle des gouvernants sans avoir à zapper matin et
soir à la recherche de la bonne information. Et, surtout dans l'attente
d'autres chaînes concurrentes, ayons l'audace de convertir notre télévision en
véritable service public et affranchissons ses journalistes de toute
allégeance…
In fine, le
processus de démocratisation de la vie publique commande, parmi les lignes
directrices d'une urgente réforme, un débat politique contradictoire du binôme pouvoir-opposition à travers les médias publics et privés
bénéficiant d'une liberté d'expression non soumise aux desiderata du chef du
moment, d'élections libres aux différents niveaux de responsabilité, d'un
multipartisme aux lieu et place du système de parti dominant (« alliance
présidentielle » ou autre) ayant de facto remplacé le parti unique, de règles
du jeu politique transparentes, de la mise au rancart de tout pouvoir de
coercition sur la société civile et sur l'élite.
Et plus que
jamais, il s'agit de réconcilier les Algériens avec les impératifs de
développement politique (l'exercice de la démocratie comme moyen politique à
même de promouvoir la légitimité du pouvoir) ; le développement économique
(impulser une politique efficace de l'investissement pour promouvoir notamment
l'agriculture à l'effet d'aboutir à la sécurité alimentaire et rentabiliser le
parc industriel existant dans le cadre d'une économie de marché encadré), le
développement social (l'émancipation des travailleurs avec la mise en place
d'une législation sociale plus conforme) ; le développement culturel (renouveau
linguistique et remise à flots des créateurs dans l'ensemble des domaines
artistiques) et la justice sociale conçue comme pierre d'angle de tout projet
cohérent dont la légitimité doit reposer sur la capacité du gouvernement à
régler les problèmes des citoyens et à tolérer l'esprit critique (parfois
caustique) de la presse conçue comme moyen majeur de communication au service
de la société et non d'intérêts d'un régime fut-il des plus progressistes. En
un mot comme en cent, democraty now.
* Avocat –auteur
Algérien
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Posté Le : 29/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ammar KOROGHLI *
Source : www.lequotidien-oran.com