La démocratie
n'est apparue qu'à la fin du XVIIIème siècle, elle
reste encore confinée dans le temps et dans l'espace. Comme toute chose
nouvelle et précieuse, elle nécessite une attention particulière dans les pays
qui s'en glorifient.
Le monde arabe la
boude toujours. Dans son livre : Que Veulent les Arabes ? l'écrivain
iranien Fereydoun Hoveyda
relate cette anecdote qui s'était passée entre les deux guerres mondiales. Les
Anglais venaient de placer en Irak le roi Faycal,
fils du cherif hachemite de
La Mecque
chassé du Hidjaz par Ibn Saoud. Cet ancêtre de
l'actuel roi de Jordanie se voulait démocratique. Un jour, un chef de tribu est
venu voir son Premier ministre. Ce dernier lui demanda s'il était démocrate.
L'homme qui n'a rien compris et jugeant par le ton que la chose n'était pas
agréable à son hôte, répliqua : «Par Allah, je ne suis pas ce que tu dis.»
Voulant se moquer de lui, ce dernier lança : «Je suis le cheikh de la
démocratie. »Alors le Bédouin susurra : «S'il est ainsi, je suis démocrate, car
je ne demande qu'à te servir. Mais éclaire-moi là-dessus car je ne sais de quoi
il s'agit.» Le politicien répondit : «La démocratie, c‘est l'égalité. Il n'y a
plus de grands ni petits. Tout le monde est égal devant la loi et possède les
mêmes droits et devoirs.» Epouvanté, l'homme se voyait déjà la risée de toute
sa tribu s'il s'abaissait au rang de tout le monde, c'est fichu pour lui plus
personne ne lui obéira : «Qu'Allah me soit témoin. Si c'est cela la démocratie,
alors je n'en suis pas. » Même si la tribu élit parfois son chef, l'égalité de
ses membres est une hérésie. Les 4 premiers Califes ont été élus mais on ne
pouvait contester leur pouvoir que par les armes. Rapidement leurs successeurs
se débarrassèrent de cette épée de Damoclès pour réserver le trône à leur
famille. Leur pouvoir était quasi divin, personne ne pouvait s'opposer à eux
sans avaler son extrait de naissance. Dans son Contrat Social, Rousseau affirme
que le gouvernement dégénère quand il se resserre ou quand il faiblit. En
basculant dans la transmission du pouvoir par l'hérédité, seule une guerre
faisait l'alternance.
L'Islam devenait
alliance et rupture. Chaque sultan était détrônait sous prétexte de n'avoir pas
suivi à la lettre la parole de Dieu. «Toute notre l'histoire, ces derniers 14
siècles est jalonnée par la tentative d'instaurer le «vrai Islam» et partout ce
ne fut que le pouvoir absolu.» écrivait Moncef Mazouki. Ce n'est qu'au XIXème
siècle encore sous l'empire ottoman que les premiers contacts avec la
démocratie occidentale inspirèrent le cheikh Al Afghani et Mohamed Abdou,
séduits par les élites de la
Sorbonne acquis à Voltaire. Malgré leur attachement à la
charia, leurs idées scandalisèrent les oulémas. Les deux théologiens rêvaient
d'extraire le monde arabe de sa décadence en prônant le principe d'un
despotisme éclairé. Afghani publia au Caire un article paru en 1879 intitulé
«Le gouvernement despotique» où il constata que la démocratie, un idéal à
atteindre un jour, ne pouvait encore s'appliquait en Orient. Les causes : un
passé de despotisme, persistances des superstitions, des siècles de rejet de la
«vraie science», méfiance envers la «raison» etc.
Un despote «juste
et paternaliste» ferait l'affaire. Deux siècles plus tard, le monde arabo musulman n'est pas toujours prêt même pas pour le
minimum suggéré par ces deux sages. Pourtant les jeunes du «Printemps arabe»
n'avaient à la bouche en versant leur sang que le mot: «Démocratie ! Démocratie
!» Comment expliquer que c'est les islamistes hostiles à ce slogan qui
récupèrent les fruits de leur sacrifice et non les démocrates ? Dans les années
50 des sociologues américains firent une enquête auprès des couches populaires
et dans les classes moyennes qui confirmèrent que le citoyen arabe a un
penchant pour l'autoritarisme. Dés l'origine, l' «Emir des Croyants» était là
pour assurer la sécurité maintenir l'ordre. L'histoire en Orient n'a été qu'une
succession de sultans autoritaires répressifs et d'incessantes luttes sanglantes
qui semblent avoir traumatisé les peuples à tout jamais. Résultat : la pire
dictature est préférable à la meilleure des anarchies. Les décennies noires qui
ont suivi la révolte d'octobre 1988 sont là pour en témoigner et expliquer la
prudence des Algériens, réputés pas facile à asservir, face au Printemps arabe.
En 1958 Nasser
confiait : «Tous les obstacles qui se dressaient entre le peuple et nous, nous
les avons renversés l'un après l'autre…Il nous a répondu par un tonnerre
d'acclamations…»A la même période Bourguiba disait : «Ces gens ont besoin d'un
guide. La démocratie ? Elle les effraierait…» Tant que le «père» est là, les
«enfants» peuvent dormir. El Afghani et Mohamed Abdou avaient raison en parlant
de «tyran juste». Et les islamistes sont dans le même objectif en changeant de
costume et de termes, ils parlent de «guide suprême». Ils n'ont aucune
fascination pour l'Occident sauf pour se réfugier chez lui quand ça va mal et
pour lui emprunter sa démocratie le temps d'un vote.
Ils se méfient
donc de nos deux théologiens et leur préfèrent ceux qui sont pour un rite plus
strict : Ibn Hanbal, Ibn Taymiah,
El Bana… Leur drapeau n'est plus le panarabisme qui a
échoué mais le panislamisme qui ratisse large. S'il est facile de renverser un
chef militaire c'est bien plus compliqué avec un religieux. Malgré les
avertissements de ses conseillers, le shah d'Iran n'a pas osé éliminer Khomeiny
; chez nous, les leaders du FIS sont entourés d'une étrange aura qui jure avec
les carnages du terrorisme. «Il est déjà tellement difficile de s'opposer à un
tyran divinisé que s'opposer à un Dieu incarné en une tyrannie.»( Moncef Mazouki).
La suprématie des sciences religieuses l'emporte sur toute autre science d'où
la suprématie des religieux sur les démocrates. Un seul a parlé de la
séparation de la religion avec l'Etat c'est Mustapha Atatürk en Turquie et on
voit maintenant que même dans son pays, ses idées sont démodées. Au point de
dire à Fereydoun qu'au contact de la civilisation scientifico-technique, les «modernisateurs» des pays arabes
ont été davantage fascinés par ses produits que par son esprit. En important la
technologie, les gadgets sophistiqués, le savoir faire et en envoyant ses
élites se former dans les universités étrangères, l'Orient croyait qu'il
pouvait retrouver son Age d'or et dépasser l'Occident. Sa dépendance est plus
grande que jamais et sa seule richesse n'est plus que l'or noir.
« La religion est
tout ce qui leur reste, quand on ne peut pas bouger horizontalement, on se
déplace verticalement.» affirmait, Joyce Carol Oate
dans Varsovie ô ma Varsovie ! Si on ne connait aucune
autre voie, on s'accroche, et comme disait Shakespeare, rien n'est parfait qu'à
sa place. Naguib Mahfoud,
le seul prix Nobel arabe est mort dans l'indifférence totale, et dans la terreur
à l'idée qu'El Azhar lance une fatwa post- posthume contre lui. Karadhaoui, Omar Khaled sont des stars adulés.
Leur séduction est infinie et leur magie déroutante. Ils ne mouillent jamais
leur djellaba et le fauteuil n'attend qu'eux. Malgré leurs cris de vierge
effarouchée, les puissants du monde ont toujours privilégié les intégristes.
Une peur venue de la nuit des temps ou l'attrait des «charges» contraires. Pour
ne citer que les Anglais et le wahhabisme, les Américains et l'émergence de Ben
Laden. Avec cette crise économique, les dirigeants occidentaux ont besoin
d'argent et les régimes islamiques sont réputés très cools
: laissez-nous nos tapis et nos palais et on vous laisse le sable et ses puits.
La démocratie a toujours été un casse-tête qui coûte cher au propre et au
figuré. On dit que les Berbères étaient condamnés à être colonisés car ils
avaient cette ambition sans avoir les moyens financiers.
Ibn Khaldoun assurait que toute monarchie est fondée sur deux
forces : l'armée et l'argent. On ne peut gouverner sans tuer l'autre. Les héros
de Shakespeare ont tué au plus une dizaine de personnes, ils sont abominables
et leur conscience torturée a causé leur mort. Leur tort : l'absence d'une
idéologie. C'est ce qui a permis aux tyrans de massacrer des millions d'êtres
humains sans regret en toute immunité et avec les honneurs. L'idéologie des
religieux est de loin la plus fiable puisque sacrée. Ils s'autoproclament
porte-parole de Dieu, leur cerveau n'est sollicité que pour faire du collé-copie sur une parole divine d'où l'impossibilité de
les concurrencer. Le peuple martyrisé s'arrache des bras d'une dictature pour
tomber dans une autre qui lui promet au moins le Paradis.
Déconnectés de la
populace, les démocrates rêvent pourtant de faire son bonheur. Des
intellectuels amoureux de la Déclaration universelle des droits de l'Homme à
la liberté au bonheur à la justice. En un mot des utopistes qui utilisent une
langue qu'ils sont seuls à comprendre. Méprisés par le citoyen lambda, accusés
par le pouvoir de mécréants, ils sont bons pour le lynchage s'ils osaient
monter sur le ring. Aucune psychologie, aucun savoir-faire, dépourvus de tout
moyen financier et s'autorisant le luxe de la division. Qu'est-ce qui torture
leur conscience, étouffe leur voix, voile leur regard ? On sait qu'ils n'ont
pas de sang sur les mains mais on a l'impression à les écouter qu'ils
revendiquent tous les crimes du monde. Ils nous font penser à ce qu'a dit Revel
: «La civilisation démocratique est la première dans l'histoire qui se donne
tort, face à la puissance qui travaille à la détruire.» On dit que l'échec de
l'intelligentsia arabe est dû au temps : ils n'ont pas le temps de se protéger
de penser. D'un combat à l'autre ; pourchassés et contraints à l'exil. Tandis
que les islamistes s'octroient le privilège d'accaparer, en toute quiétude, la
religion dans un pays où l'Islam est religion de l'Etat. Ils ont tout le temps
pour peaufiner leur stratégie. Leurs représentants ont une aisance inégalable
face aux cameras. Leur cerveau est vide mais leur cœur est infini. Leurs mots
sont simples, leur message subliminal. On ne peut ni douter ni contredire et on
trouve normal qu'ils remportent la victoire dans un combat où ils n'ont
participé que comme spectateurs. Et surtout, ils ont le nerf de la guerre :
l'argent. Ils vont vers les pauvres avec la bonne parole et la bonne méthode.
On donne à manger au mendiant, on soigne le malade, on console le déprimé, on
tourmente l'ennemi. On promet le ciel puisqu'il est à nous. Les habitants de
l'île de Pacques ont démoli les statues de leurs dieux quand ils ont commencé à
souffrir de la faim. Quels auraient été les résultats des élections de 1992 en
Algérie et celles de Tunisie 2011 si ceux qui avaient donné les millions aux
islamistes les avaient offerts aux démocrates ? Dans son livre l'Islamisme
contre l'Islam, al-Ashmawy écrit : «Dieu voulait que
l'Islam fut une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique».
Une politique que personne ne peut contester sans personnifier le Mal en
personne. Pour qu'un jour les islamistes puissent être battu, il faut utiliser
la méthode qui a fait ses preuves : entrer dans le siècle des Lumières. Une
bonne partie des électeurs doit accéder à l'histoire vraie aux sciences à la
culture pour pouvoir faire le tri, tant que c'est l'inverse, ces derniers
continueront à donner leurs voix aux religieux pour «sauver» au moins leur âme.
Les islamistes
gagnent par la peur qu'ils suscitent et les démocrates perdent par leur manque
de courage, de conviction. La dépression et le désenchantement qui sévissent en
Occident sont loin de plaider en leur faveur. On a même l'impression qu'ils
partent vaincus et ils le savent. Hichem Djait décrit bien ce pessimisme, ce verre à moitie vide:
«Je suis humilié d'appartenir à un Etat sans horizon ni ambition, autoritaire
quand il n'est pas despotique, où ne se trouvent ni science, ni raison, ni
beauté de la vie, ni culture véritable. Cet Etat me réprime et dans cette
société provinciale et ruralisée, j'étouffe, comme je souffre d'être dirigé par
des chefs incultes et ignorants. En tant qu'intellectuel, je vis une névrose et
il est humain et légitime que je projette ce malaise sur ma société...»
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Posté Le : 03/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mimi Massiva
Source : www.lequotidien-oran.com