Demeures d'histoire

A l'écart du tumulte cairote, de somptueuses demeures, bâties au tournant des XIXe et XXe siècles conservent l'empreinte de leurs augustes occupants : ici vécurent le chantre du nationalisme égyptien Saad Zaghloul, le poète Ahmed Chawki ou encore Mahmoud Khalil, fameuse figure des arts et des lettres. Visite à pas feutrés de ces temples de la mémoire. Mondanités
Quittant la demeure d'Ahmed Chawki et longeant la corniche que vient lécher le Nil indolent, on rencontre un peu plus loin la maison du mécène Mahmoud Khalil et de sa femme française Emeline Lock. Leur élégante demeure, construite à une date incertaine, occupe plus de 1400 m2.
La verrière dans la cage d'escalier les portes vitrées séparant les pièces les ferronneries et autres dorures décorant les murs du rez-de-chaussée reflètent parfaitement le goût français de l'époque. Les Khalil auraient habité la villa de 1903 à 1953 mais aujourd'hui nulle trace de la vie du couple entre ses murs.
Elle fut vidée et servit de résidence au président Sadate. La collection était alors conservée dans l'actuel musée de la Céramique puis fit l'objet à Paris d'une exposition intitulée « Les oubliés du Caire ». Depuis les années 90, la maison abrite la collection particulière des époux qui compte en majorité des pièces des plus grands maîtres de l'art français tel que Rodin ou Monet.
Reem Bahir, la conservatrice de ce musée raconte que le premier tableau acquis par Mahmoud Khalil en 1903 était La jeune fille au n'ud de tulle blanc de Renoir, sur une idée de sa femme. Mais contrairement à ce que l'on ait pu raconter, il semblerait que les véritables conseillers artistiques aient été des experts en art, et non Emeline Lock.
Ministre de l'agriculture puis résident du sénat, Mahmoud Khalil était membre du Wafd. Il accueillait le visiteur avec un buste de Saad Zaghloul à l'entrée de chez lui. Néanmoins, il reste présent dans les mémoires grâce au rôle culturel qu'il a joué en Egypte dans le premier quart du XXe siècle, bien plus que pour son activité politique. Il a fondé notamment la Société des Arts, dont il assuré la coprésidence de 1942 à 1953. Dans ce cadre, il a organisé différentes expositions pour la promotion de l'art français en Egypte, à la fin des années 20 et au début des années 30. En 1928, la Société réunit des institutions et musées français dont le Louvre, le Petit Palais, la manufacture des Gobelins pour son exposition au Caire. En 1949, à Paris, il est commissaire de l'exposition sur les peintres égyptiens et les orientalistes. Parmi les photos de famille des Khalil conservées dans les archives du Musée, des images en noir et blanc montrent le faste des dîners et le luxe des toilettes féminines. Au dos de l'une d'entre-elles, Émeline a légendé au crayon « banquet offert par le gouvernement français en l'honneur de Mémé, pour les services rendus aux arts français en Égypte depuis 15 ans ».
Kadreya se souvient que Mahmoud Khalil était très mondain et fort affable ; il connaissait tout le monde et savait donner de judicieux conseils sur les personnes à convier aux réceptions. « Au mariage de ma s'ur, c'est tout juste s'il n'a pas accueilli tous nos invités à la porte ! ».
Chez lui comme chez Chawki, les dîners réunissaient les personnalités du monde des arts ; l'écrivain Taha Hussein et sa femme comptaient parmi ces invités cosmopolites.
Mahmoud Khalil, par les échanges culturels entre la France et l'Égypte, a donné une impulsion aux arts égyptiens.
La petite-fille de Ahmed Chawki en parlait à Kadrya son amie en lui disant : « Ton grand-père ». Saad Zaghloul, qui n'avait pas eu d'enfants, considérait avec sa femme que le peuple égyptien entier était leurs fils.
Ces hommes charismatiques marquèrent profondément l'Égypte et son peuple qui leur voue, aujourd'hui encore, une admiration et un attachement teintés de fierté. (Suite et fin)
C.D. in Qantara