Algérie

Déguster la ville



Une foule d'informations sur un passé urbain encore vivant malgré tout?Le déficit de connaissances du patrimoine national est si grand que toute publication à son propos est, a priori, la bienvenue. Il se publie plus de beaux livres de ce domaine et, si l'on doit s'en féliciter, il faut relever que l'on trouve un peu de tout dans cet élan. C'est qu'aussi l'ambition affichée par certaines de ces publications se voit déçue quand on les lit et les parcourt, car un beau livre permet à la fois la lecture et la balade visuelle. Un ouvrage, quel que soit son genre d'ailleurs, s'apprécie également par la sincérité de son «affiche», soit le titre, la quatrième de couverture qui, naturellement, doit promouvoir et attirer, mais sans mentir, et tout ce que fait l'éditeur pour le valoriser.
C'est ce qui nous a plu de prime abord dans Alger, un passé à la carte* de Nadir Assari, publié chez Dalimen. Le titre reflète bien son contenu. Passée rapidement la confusion possible avec la cartographie, on découvre que cet ouvrage peut se lire comme une carte de restaurant dont les plats ou les boissons peuvent se commander selon le désir du client. Dans l'ordre, le désordre, par avancée ou recul, par étapes, au gré du lecteur ou de la lectrice. Outre l'invitation symbolique que suggère ce titre, comme pour nous dire qu'une ville se déguste, l'ouvrage présente des lieux ou des édifices, présentés chacun par un texte concis et une illustration, exactement comme ces fiches qu'utilisent tous les chercheurs. Tout y passe : rues, cimetières, jardins publics, monuments, lieux de cultes, quartiers, places, cinémas, belles demeures, plages, hôpitaux, cafés et brasseries? Il ne s'agit pas cependant d'Alger aujourd'hui, mais d'avant l'indépendance.
Son auteur, craignant sans doute la confusion, sinon l'amalgame, tient à préciser, dès le départ, sa démarche. Il rappelle que cet ouvrage fait suite à son premier consacré à la période ottomane et affirme : «Aussi, avons-nous pensé qu'il est grand temps de décrire la ville à l'époque coloniale, de l'autre côté, du nôtre, dans un souci de sauvegarde de la mémoire collective, sans discrimination et sans rejet aucun de ceux qui ont manifesté et manifestent toujours de l'amitié et du respect pour nous autres. Nous tenterons donc de décrire la ville, mais aussi ses transformations et les réalisations faites par les Français parce que tout cela appartient désormais à notre patrimoine». Deux points essentiels sont dans ces phrases et confortent l'idée de sincérité de l'ouvrage. D'abord, il s'agit de «décrire», d'offrir une image d'Alger sans autre ambition que de restituer de la mémoire. Ensuite, et c'est le plus important, Nadir Assari affirme que ce patrimoine nous appartient, suggérant ainsi le prix fort payé pour l'acquérir.
Au-delà de ces considérations, les motivations de l'auteur apparaissent avec toute leur émotion à l'égard d'Alger: «Quand on y a toujours vécu, quand on a partagé ses tourments, quand on a vu les enlaidissements et les souillures qu'elle a subis, on ne peut rester indifférent à son sort». Même s'il ne le dit pas, on entend bien que le sort d'une ville est forcément celui de ses habitants. Puis, parlant des merveilles que contient encore Alger, il conclut son introduction par ces mots : «Mais cela ne doit pas nous consoler des dommages irrémédiables, voire même de la perte de pans entiers, occasionnés à notre patrimoine urbain depuis l'indépendance, à l'exemple de La Casbah, sous le double effet de la pression démographique et du désintérêt manifeste des autorités à l'égard de ces repères fondamentaux de notre personnalité».
Deux textes tentent, de manière didactique, de synthétiser l'évolution de la ville, de sa naissance à la période ottomane, puis durant la colonisation où il dénonce la démarche urbanistique agressive de l'occupant et les graves atteintes portées à La Casbah et à son environnement. Passée cette partie introductive, la balade peut commencer à travers les fiches. Souvent, celles-ci sont frustrantes, car après avoir dévoilé des particularités, des curiosités ou des splendeurs, elles laissent le lecteur sur sa faim. Mais, pouvait-il en être autrement quand chacune de ces fiches pourrait faire l'objet d'un ouvrage sinon de plusieurs ' Le but poursuivi est sans doute de provoquer cette faim en fournissant assez d'informations pour donner au lecteur l'envie d'aller plus loin et de mener ses propres recherches. On peut, par exemple, se rendre compte au fil des pérégrinations de la politique de ségrégation urbaine née de la logique coloniale.
On peut aussi s'amuser à repérer ce que l'on connaît des lieux et édifices traités et retracer leur évolution à ce jour. On peut découvrir des choses disparues avant 1962 comme le Kursaal, cette prestigieuse salle de spectacle près du Bastion 23. On peut apprendre pourquoi le café l'Ottomatic, devenu le Cercle des Etudiants, se nommait ainsi. L'auteur ne manque pas, comme pour ce dernier lieu, de rappeler à chaque fois les épisodes de la guerre de Libération nationale. Les jeunes qui naviguent sur Internet plus souvent que dans la ville, découvriront qu'il existait un journal lumineux au-dessus de l'immeuble jouxtant la Grande-Poste. Ajoutez la liste des cinémas, des cités d'habitations, églises, mosquées, synagogues, grands magasins, etc. avec même leurs adresses, et ce fourmillement aura de quoi vous occuper l'esprit.
Quelques mots quand même sur l'auteur, né en 1945, «à la lisière de Bab El Oued et de Notre-Dame d'Afrique» dans une famille de lettrés. Sa carrière de financier ne l'a pas détourné de ses passions pour l'histoire et la peinture qu'il pratique dans l'hyperréalisme. C'est l'ouvrage honnête d'un amateur éclairé destiné à un grand public. Mais il n'est pas dit que des chercheurs n'y trouveraient pas matière à apprendre, car plusieurs éléments relèvent de la seule mémoire citadine.
*Nadir Assari. Alger, un passé à la carte. Editions Dalimen, Alger, 2011. 424 p.


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