L'année 2013 a correspondu au cinquantième anniversaire de la Banque centrale (BC). C'est l'occasion de donner un aperçu des défis qu'elle a eu à relever en vue de mener à bien les multiples tâches qui lui sont confiées.Le premier défi auquel elle a dû faire face a été sa propre création. En effet, c'est seulement en quelque mois, entre septembre et décembre 1962, que Seghir Mostefaï a dû prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en place le nouvel Institut d'émission et le faire démarrer. Chargé de cette mission, il a pu dans un contexte extrêmement difficile l'accomplir dans les délais. De la sorte, la Banque centrale d'Algérie (BCA), dont les statuts ont été adoptés par la loi du 13 décembre 1962, s'est substituée à l'ancienne Banque d'Algérie. Notre pays a ainsi recouvré un important attribut de sa souveraineté qui est l'émission de la monnaie. Le second défi a été la création, en avril 1964, de la monnaie nationale, le dinar, qui a remplacé le franc, lequel avait continué à avoir provisoirement cours après l'indépendance. Cette opération de grande envergure, qui a été effectuée en même temps à travers tout le territoire national, a consisté à mettre en circulation les nouveaux billets de banque libellés en dinar et à retirer ceux libellés en franc. Il est à signaler que tous les billets de banque en dinar sont maintenant imprimés en Algérie. Les pièces de monnaie métalliques y sont également frappées, et ce, depuis 1988, ce qui permet à notre pays d'avoir une relative indépendance en ce domaine.Pour exercer ces fonctions multiples et variées, la BCA a besoin en plus d'un cadre légal et réglementaire clair et précis, d'effectifs qualifiés, dévoués et intègres, de moyens matériels appropriés et d'un réseau d'agences. En 1963, la BCA n'a pu ouvrir que neuf agences dans certaines des principales villes du pays. A la fin des années 1970, le nombre d'agences en activité s'est élevé à 29. En 1983, le gouvernement a demandé à la BCA d'avoir un siège dans chaque chef-lieu de wilaya. Pour appliquer en urgence cette décision, la BCA a procédé à la préparation et à la mise en ?uvre d'un programme de construction d'agences conformes aux normes de sécurité notamment. Il s'agit de créer les bonnes conditions pour répondre d'une manière satisfaisante aux besoins de liquidité de tous les opérateurs économiques.Pour remédier, d'autre part, au manque de cadres dans les agences, j'ai fait recruter, en 1986, 150 diplômés de l'enseignement supérieur auxquels a été donnée une formation bancaire. Ils ont été ensuite répartis à raison de trois par agence, chacun ayant une tâche bien définie. L'objectif était de choisir ultérieurement parmi ceux qui auront acquis une bonne expérience et amélioré leur niveau, les directeurs d'agence et même ceux des services centraux. Il a été décidé en même temps de soumettre les agences, en plus du contrôle interne qui y est permanent, à une inspection approfondie au moins une fois par an, étant donné les montants d'argent considérables gérés par chacune d'elles. A cet effet, trois inspections régionales, une à l'Est, une autre au Centre et une troisième à l'Ouest ont été créées en 1987. De la sorte, les services de l'inspection ont été rapprochés des agences.La protection de la masse énorme de billets de banque déposée et traitée au niveau de chaque agence de tout risque, qu'il soit interne ou externe, est l'objet d'un souci permanent et d'une vigilance constante.Parmi les autres mesures prises par la BCA, il convient de citer l'introduction du système Swift à son niveau et au niveau des banques commerciales. Grâce à ce système, les paiements en faveur de l'étranger ont pu se faire avec rapidité et régularité. Il y a également l'institution du marché monétaire interbancaire en 1989 avec l'assistance de la Banque de France. Installé auprès de la BCA, il permet aux banques commerciales excédentaires de céder leurs surplus de trésorerie et aux banques déficitaires d'obtenir les liquidités qui leur manquent. Ce marché devait contribuer de la sorte à réduire l'émission monétaire. D'autres progrès ont vu le jour à la suite de l'entrée en vigueur de la loi 1990 relative à la monnaie et au crédit et puis des ordonnances de 2003 et 2010 se rapportant au même sujet. La BCA a ainsi récupéré ses prérogatives en matière de réglementation bancaire, prérogatives qu'elle avait perdues au profit du ministère des Finances. Le Conseil de la monnaie et du crédit installé par ces textes auprès de la BCA a fait évoluer la réglementation bancaire et la politique monétaire. Des règles prudentielles ont été aussi appliquées à l'activité des banques et des instruments indirects ont été adoptés pour réguler la liquidité bancaire. La BCA établit, d'autre part, des statistiques relatives à la monnaie, à la balance des paiements, à la dette extérieure et elle publie aussi régulièrement des bulletins de conjoncture, des communiqués portant sur des questions d'actualité concernant l'inflation, la monnaie, le taux de change ainsi qu'un rapport annuel très riche en informations.A côté de ces réalisations, la BCA a plus particulièrement pour mission de «veiller à la stabilité des prix en tant qu'objectif de la politique monétaire» et de «créer et maintenir dans les domaines de la monnaie, du crédit et des changes, les conditions les plus favorables à un développement soutenu de l'économie tout en veillant à la stabilité monétaire et financière». Il s'agit d'objectifs extrêmement importants qui sont assignés, mais a-t-elle eu les pouvoirs et les moyens d'assurer leur réalisation ' Dès les premières années de l'indépendance, la BCA a vu ses prérogatives progressivement grignotées, puis purement et simplement supprimées. C'est d'abord la disposition des statuts de 1962 qui lie les concours de la BCA à l'Etat, aux recettes fiscales et prévoit leur remboursement avant la fin de l'année au cours de laquelle ils ont été accordés, qui est suspendue, puis modifiée par un article de la loi des finances de 1965. Suivant cet article, la BCA doit satisfaire par ses concours les besoins du Trésor sans aucune limite. Le non-renouvellement de son Conseil d'administration qui disposait des pouvoirs en matière d'émission et de gestion monétaires a laissé la BCA sans organe exerçant ces fonctions. Par la suite, en 1989, elle a perdu l'essentiel de ses prérogatives en ce qui concerne le contrôle de la distribution des crédits à l'économie avec la mise en exécution du premier plan quadriennal en 1970. En effet, il a été mis à la charge des banques nationales, à cette occasion, l'octroi des crédits à moyen terme destinés au financement des investissements planifiés des entreprises pubiques. Les crédits à moyen terme en question deviennent automatiquement réescomptables auprès de la BCA.Et ce, contrairement aux règles antérieures qui prévoyaient que tout crédit supérieur à un million de dinars devait faire l'objet d'une autorisation préalable et d'un accord de réescompte de la part de la BCA, laquelle ne les attribuait qu'après une analyse minutieuse de la demande. La BCA a dû en outre tolérer l'existence, à son niveau, de découverts dans les comptes des banques ; ces dernières étant confrontées à des problèmes de trésorerie résultant du non-remboursement des crédits accordés aux entreprises publiques et de la faiblesse de la collecte de dépôts. Quant au taux de réescompte, qui devait être utilisé en tant qu'instrument pour maîtriser l'expansion monétaire et agir sur la mobilisation des ressources et sur leur affectation par les banques, il a été neutralisé et sa fixation est devenue du ressort du ministère des Finances. Dépouillée de ses prérogative et ayant perdu son autonomie en passant sous la tutelle du ministère des Finances, la BCA est devenue un simple organe d'exécution des décisions globales des pouvoirs publics. Il faut dire cependant que bien qu'elle n'exerce plus un contrôle efficace sur l'émission et la gestion monétaire, ses actions ont été durant les années 1960 et 1970 bénéfiques au pays du fait de l'existence, spécialement après 1965, d'une stratégie de développement économique et sociale claire et de programmes d'investissement destinés à la mettre en ?uvre et dont la part la plus importante est constituée par des investissements productifs. Le dinar a conservé sur le plan interne son pouvoir d'achat durant la période en question grâce à la politique rigoureuse suivie en matière de salaires et de prix. Sur le plan externe, il est resté stable entre 1963 et 1979. En effet, la valeur du dollar américain a varié entre 4,93 et 3,93 dinars pendant cette période, et les variations sont dues essentiellement aux fluctuations de la monnaie américaine. Cette stabilité a contribué à alléger le coût des équipements importés pour les nombreux programmes d'investissement et celui des produits de consommation.Durant les années 1980, les mesures prises pour atténuer les excès ou corriger les erreurs de la politique suivie antérieurement a brisé l'élan des années 1970 qui amorçait la réalisation d'un développement économique et social effectif du pays. Les entreprises publiques, lesquelles détiennent l'essentiel des activités économiques, sont confrontées, faute de réformes appropriées, à des difficultés multiples. Les restructurations financières dont elles bénéficient, bien que récurrentes et se traduisant par des injections de fonds importants, restent sans effet. La monnaie émise sert plutôt à distribuer des revenus souvent sans contrepartie. La masse monétaire, qui était de 79,6 milliards de dinars en 1979, s'est élevée à 308,1 milliards de dinars à la fin de 1989. Les augmentations de salaires intervenues à la fin des années 1970 et durant les années 1980, ainsi que la pression sur les prix due aux pénuries ont fait perdre au dinar une partie de son pouvoir d'achat. Cependant, les hausses des prix sont restées modérées. Par rapport aux devises, la valeur du dinar a été artificiellement et arbitrairement maintenue inchangée pendant toute une partie des années 1980. Toutefois, considérant que la surévaluation du dinar est irréaliste, les autorités ont décidé de faire à partir de 1987 glisser sa valeur en vue de la rendre équivalente à celle du dirham marocain et celle du dixième du dinar tunisien.Son taux de change par rapport au dollar est passée de 4,70 à 7,60 DA à la date de 1989. Par ailleurs, la chute brutale du prix du baril en 1986 a limité considérablement les revenus en devises et a accentué de ce fait le recours à l'endettement extérieur pour soutenir la balance des paiements. Le résultat de la politique suivie pendant cette période est la stagnation du PIB par capita (2203,5 dollars en 1980 et 2201,6 dollars en 1989) lequel a été par contre multiplié par 5 pendant la décennie précédente (1970-1974).La crise grave et multiforme qui a sévi pendant les années 1990-1999 a poussé les autorités à demander l'assistance du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, lesquels ont imposé la mise en place de programmes de stabilisation et d'ajustement structurel, conçus pour renforcer l'économie de marché et faciliter l'intégration de l'économie algérienne à l'économie mondiale. Ces programmes visent en même temps la consolidation financière, l'assainissement de l'économie et sa relance sur des bases solides. Les effets positifs qu'ils ont produits sont limités et de courte durée. Par contre, les fortes dévaluations du dinar, la libération totale des importations, la liquidation des entreprises publiques et la fermeture des entreprises privées, concurrencées par les produits importés ont entraîné une hausse vertigineuse des prix (29,8% en 1995), une forte augmentation du chômage (29%) et en fait une véritable déstructuration de l'économie et de la société.Quant à l'émission et la gestion de la monnaie, elles ont été influencées, bien entendu, par les dispositions des programmes d'ajustement et leurs conséquences. Entre 1984 et 2000, la masse monétaire s'est élevée de 208,7 milliards à202 25 milliards de dinars. Outre la perte de son pouvoir d'achat sur le plan interne, le dinar a perdu l'essentiel de sa valeur par rapport aux monnaies étrangères. Alors qu'un dollar correspondait à 7,60 dinars en 1989, il vaut 75,25 dinars en 2000. La faiblesse de l'économie s'est traduite par une chute du PIB par tête d'habitant qui passe de 2471,4 dollars en 1990 à 1499,6 dollars en 1996 et ne dépasse pas 1801,4 dollars en 2000.L'amélioration de la situation, intervenue entre 2000 et 2012, n'est pas due aux programmes d'ajustement, ni à la politique suivie, mais plutôt à l'augmentation du prix du baril de pétrole, lequel de 12,94 dollars en 1998 s'est élevé à 28,50 dollars en 2000, puis à 100 dollars en 2008 et à 113 dollars en 2011. Les recettes d'exportation des hydrocarbures ont atteint, entre 1999 et 2012, 603,9 milliards de dollars. Le montant a servi à accroître les réserves de change lesquelles approchent les 200 milliards de dollars à fin 2012 d'une part, et à fournir à Sonatrach et à l'Etat des ressources en dinars d'autre part. Les recettes d'exportation deviennent donc l'élément essentiel de la création monétaire pendant cette période (la masse monétaire passe de 2022,5 milliards de dinars en 2000 à 11 013,4 milliards de dinars en 2012) et procurent comme mentionné ci-dessus des fonds considérables à Sonatrach et à l'Etat, lesquels à travers leurs dépenses inondent l'économie de liquidités.Il faut souligner que ces ressources ont permis le remboursement par anticipation de la dette extérieure et la réalisation d'importantes infrastructures économiques et sociales, mais ont favorisé en même temps le gaspillage et la corruption qui se généralisent. Les excès de liquidités exercent une pression sur les prix et maintiennent l'inflation à un niveau relativement élevé qui atteint en 2012 un taux de 8,9% à la suite des fortes dépenses du budget de l'Etat. La croissance de l'économie, tirée en grande partie par les dépenses publiques, reste faible (3,7% en moyenne entre 2000 et 2011). Cette croissance ne reposant pas sur des bases saines et solides n'a pas d'impact sur le développement réel et durable. Il s'agit d'une croissance sans développement. Durant ces cinquante ans, la BCA est passée par différentes étapes. Après avoir perdu ses prérogatives, elle les récupère notamment en matière de politique monétaire et de supervision du système bancaire. Toutefois, pour accomplir sa mission principale et relever les nombreux défis auxquels elles reste confrontée, elle dépend en grande partie des actions qui sont du ressort des pouvoirs publics.
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Posté Le : 18/01/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : B Nouioua Ancien gouverneur la BCA
Source : www.elwatan.com