Algérie

Décembre à Tunis



Pendant que des pays voisins regardent l'avenir prospectif, le nôtre piétine et se cherche encore dans des déchirures sanglantes. Entre les dorures hôtelières et la grogne du taximan, la ville semble pulser paisiblement à la vie. La femme libérée occupe un terrain acquis depuis fort longtemps et ce n'est certainement pas le système politique seul qui lui a permis cette conquête. L'homme y est probablement pour quelque chose, il a dû céder beaucoup de territoires de son machisme maghrébin. En ce début du mois de décembre, l'avenue Bourguiba sertie d'une dizaine de kiosques à fleurs, illuminée par un tiède soleil d'automne finissant, est presque vide; ses palaces « sonnent creux », les grooms en livrée d'apparat font le pied de grue devant des portiques lustrés. Cette grande avenue à double voie de plusieurs centaines de mètres linéaires, aux vieux immeubles cossus du 19ème siècle, chahutée par deux ou trois buildings modernes, est le coeur palpitant de l'ancienne capitale hafside. Parée de part et d'autre de gros candélabres luminaires en fonte, la circulation automobile y est fluide. Le tintement clair de la cloche du tramway moderne annonce le passage de celui-ci, juste le temps de transpercer l'avenue par une rue perpendiculaire. Des femmes seules ou accompagnées sont attablées sur la multitude de terrasses de cafés, certaines, la cigarette entre les doigts, devisent avec leur compagnon. Les garçons d'un âge certain en tenue stricte, pantalons noirs et gilet grenat font la chasse aux clients. De vieux couples occidentalisés flânent en ce vendredi où la vie ne s'arrête pas comme ailleurs. Des images clair-obscur et fugaces traversent momentanément l'imaginaire; on surprend l'esprit près du « Novelty », du « Coq Hardy » ou de la « Rotonde » d'Alger. Chut !... on risque l'anathème du passéisme. La place de la Victoire avec son vestige de l'ancienne muraille carthaginoise, marque déjà la séparation des deux mondes. Les senteurs des arômes orientales saisissent d'emblée le champ olfactif. La soierie et l'odeur du cuir neuf renvoient aux nuits de Shéhérazade, les clameurs du négoce s'amplifient avec la profondeur des venelles commerçantes. Sur la place, cinq ou six CRS, dont une femme, veillent à la quiétude des lieux. L'ingénieux jet d'eau de six gerbes montantes, n'a pas de bassin, l'eau revient à son point de départ. Pas un seul débordement. Un homme vous accoste d'une voie feutrée : « change ? » et s'en va sans trop insister. Dans une rue adjacente, des voix s'élèvent « Annaba... Annaba... ». Ce sont nos preux « taxieurs » qui « racolent » des clients à destination de « la Perle ». Un minuscule local offre les services de change, le caissier met moins de temps pour exécuter l'opération, que celui que l'on met pour y pénétrer. L'opération est faite de manière anonyme et impersonnelle. Un homme, extrêmement âgé, attend patiemment qu'on l'appelle; son tour arrivé, il se lève difficilement et se fait remettre trois paquets de billets de banque, sans aucune précaution ni mise en garde. Sur la rive droite de l'avenue, des banques au nom mythique alternent avec des chancelleries et des ministères. L'ambassade de France, modérément gardée par trois colosses armés de M 16 à lunette, dispose d'un portillon qui ne laisse filtrer qu'une personne à la fois... La file comportait trois personnes. Le ministère de l'Intérieur et du Développement local est à quelques dizaines de mètres plus loin. Cette intelligente dénomination a le mérite de préfigurer de l'emploi. L'histoire du pays est déroulée par Amilcar Barca et Ibn Khaldoun, dont les rues qui affluent vers l'avenue portent les noms. Il est d'ailleurs dédié à ce penseur médiéval une belle statue, qui trône au beau milieu de l'avenue. Une fausse note cependant, un monstrueux viaduc en béton nu enjambe indécemment cette belle artère métropolitaine. Tel un hideux serpent antédiluvien, il violente cette harmonie rétro et doit faire s'en retourner ses concepteurs dans leur tombe. Le deuxième objet incongru est cette horloge (nom local : moungala), pâle copie de Big Ben qui n'aurait pas eu lieu d'être. Le transport urbain assuré par un service public de bus et de tramway, ne semble pas débordé; point de fourgons ni de clandestins. Le service taxi est assuré en fixe et en maraude. Il suffit de lever le bras. Dès l'embarquement, le compteur est mis en route. Sur le hayon gauche est accolé un macaron en plastique portant l'intitulé des ministères des Transports et du Tourisme avec l'avertissement de leur signaler tout manquement. Il est entendu que la discipline est de rigueur; mais on perçoit à travers les quelques commentaires de taximen, que tout n'est pas au beau fixe. La chape est bien là. La fréquence des portraits géants du Président, renseigne sur l'état d'esprit ambiant. La radio cultuelle de La Zitouna était de mise dans les 4 ou 5 taxis empruntés pendant le court séjour. Les conducteurs, certainement des prolétaires, ne semblaient pas s'accommoder de cette situation; est-ce dû à la basse saison touristique ou un malaise social sous-jacent ? L'un deux s'en allait à la pénurie de lait, l'autre avertissait du danger des voleurs à la tire qui s'arment parfois de couteaux. Il rapporte cela à la paupérisation et à la désertion de la campagne. En matière de projets structurants, un gigantesque viaduc est en voie de réalisation par une entreprise nippone. Enjambant les marais qui séparent Tunis du grand port de La Goulette, il fera gagner à son achèvement beaucoup de temps aux Tunisois et aux flux de touristes qui empruntent la voie maritime. Un autre projet d'envergure, le métro reliant le centre-ville à la zone urbaine de Mourouj (Prairies) est lui aussi en cours de réalisation. Les modestes voies rapides offertes à la circulation automobile ne sont pas encombrées, ceci ne peut être dû qu'à l'accalmie touristique de fin de saison. Cette ville nouvelle du Grand-Tunis à huit kilomètres du centre, a été pensée intelligemment. Elle dispense les visiteurs de Sousse, Nabeul et Hammam Lif de devoir traverser la capitale pour rejoindre les leurs. Un hôpital des urgences flambant neuf vient d'être érigé à l'intersection menant à Mourouj. Ce méga-conglomérat urbain est constitué de cinq (5) ensembles d'habitats. On y trouve les commodités courantes : le dispensaire, le commissariat, la banque, le cybercafé, la crèche, l'école et les commerces divers. On n'y trouve pas de « ghetto » huppé. Le logement individuel se blottit dans les espaces des immeubles et vice versa. Le logement individuel promotionnel offre à l'oeil des délices d'architecture. Le fer forgé des portillons et des portails raconte à lui seul le génie artisanal des forgerons. De dimension humaine, ne dépassant guère l'étage, ces villas de rêve sont l'oeuvre de promoteurs dûment identifiés par une plaque bien mise en évidence. Les petits jardins sont agrémentés de bougainvilliers colorés, d'orangers, mandariniers, de jasmins et de lilas. Les rues de pierre dallées incurvées vers l'intérieur permettent l'écoulement des eaux pluviales dans une rigole centrale. Nous faut-il encore regarder vers le Nord pour importer des modèles de société, ou faut-il tout simplement inventer le nôtre comme l'ont si bien fait nos voisins ? Peut-être un jour, quand nos urbanistes et nos architectes regarderont de moins haut leur communauté ! L'accès à l'aéroport de Tunis est tout simplement permis à n'importe quel visiteur. La présence policière et douanière n'est ressentie que dans l'aire d'embarquement. Il est remarqué cependant une certaine nervosité chez les policiers. On fait ôter les ceintures masculines et les chaussures féminines à l'affolement du portique de sécurité. Alliant modernité et tradition architecturale, l'aérogare devient presque intimiste dans les salles d'embarquement. Ces dernières en alvéole offrent chacune la place aux passagers de deux vols. Air Algérie est logée à la même enseigne que Air France. Merci frères pour l'élégance du geste !


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