Algérie

DEBAT SUR "LES INTELLECTUELS ET LE POUVOIR" Des liens étroits mais problématiques



DEBAT SUR
Y a-t-il des commentateurs de l'actualité en Algérie ' Existe-il des "créateurs d'idées" ' Par quels canaux passent-ils pour prendre position, pour développer leurs points de vue ' Doivent-ils être idéologiquement neutres ' Et comment le pouvoir considère-t-il l'intellectuel ' Est-il un danger pour sa survie ou un partisan de ses choix ' Ce sont là les questions qui ont suscité cette rencontre.
Le rapport entre les intellectuels et le pouvoir a de tout temps était problématique. Les liens sont étroits entre les intellectuels et le système quelle que soit sa nature (économique, politique, social, etc.). Ils peuvent être partisans de ce système, comme ils peuvent s'opposer farouchement à son mode de fonctionnement. Mais la seule constante dans tout cela est que l'intellectuel est un "créateur d'idées", une autorité qui participe au débat public en exposant ses opinions, ses points de vue, tout en produisant du sens. "Les intellectuels et le pouvoir" était le thème du débat organisé vendredi soir à la librairie l'Emir Abdelkader (du quotidien "Algérie News"), qui a réuni trois personnalités du monde de la culture : Hamid Grine, écrivain et chroniqueur, l'universitaire Mohamed Nouredine Djebab, et Abdelmadjid Merdaci, historien et sociologue. Face à une assistance relativement nombreuse, composée entre autres d'universitaires et de journalistes, M. Djebab a indiqué que "les intellectuels [étaient] exclus par le pouvoir. Nous utilisons l'idéologie plus que le savoir, et c'est pour cela qu'il faut d'abord définir la nature du système". L'intervenant est revenu également sur la manipulation des intellectuels par le pouvoir, en soulignant que "Boumediene a gouverné par les élites", et ce, en utilisant par exemple les francophones contre les arabophones et inversement. Pour Abdelmadjid Merdaci, qui s'est considéré comme "un intellectuel", compte tenu de ses nombreuses prises de positions dans la presse par des analyses, il faut revenir à l'histoire pour comprendre la situation de l'intellectuel aujourd'hui. "Les conditions dans lesquelles l'intelligence algérienne a pu émerger, soutient-il, ne peuvent être dissociées du cursus historique. Depuis 1962, la violence est la seule source de légitimation du régime. La violence politique qui a maillé la société algérienne ne peut permettre la constitution d'un groupe autonome." Il citera tout de même les exemples de Kateb Yacine et Jean Sénac qui ont été iconoclastes, et signalera qu'aujourd'hui, de plus en plus d'intellectuels prennent des positions et s'expriment via la presse. Selon M. Merdaci, qui a rappelé qu'il y a "une stigmatisation de l'intelligence algérienne", nous vivions dans une sorte "d'ambivalence", mais ce n'est pas encore une période de "basculement". Et de s'interroger : "Est-ce que ces voix impactent la société algérienne'" à l'idée d'exclusion développée par M. Djebab, Hamid Grine préfère le mot "méfiance". Il citera des exemples de parcours d'intellectuels autour desquels plane une certaine ambiguïté, comme le cas de Mouloud Mammeri qui a été réduit à la problématique linguistique, Malek Haddad qui est allé jusqu'à s'engager en politique et présider un comité de censure, ou encore Abane Ramdane qui a été assassiné, et Mohammed Dib qui, pour la plupart, a refusé de rentrer en Algérie après l'indépendance. M. Grine commentera sa réflexion en disant : "Depuis 1962, ceux qui ont le pouvoir n'ont pas la culture et ceux qui ont la culture n'ont pas le pouvoir." L'auteur de "Camus dans le narguilé" concèdera tout de même que "les intellectuels draguent le pouvoir". Il soutiendra que c'est l'ouverture du paysage audiovisuel qui permettra aux intellectuels à la fois d'émerger, de devenir des autorités et de prendre position, car "ce qui construit l'image de marque c'est la télévision. On ne peut pas parler d'intellectuels digne de ce nom sans l'ouverture du paysage audiovisuel". Le modérateur de cette rencontre, Hmida Layachi, directeur de la publication du quotidien "Algérie News", a évoqué la fonction de l'intellectuel. Pour lui, "l'intellectuel intervient dans le débat public, et il est considéré comme tel par sa production écrite". Présents à ce débat, Zoubir Arous appuiera qu'il y a un amalgame entre l'universitaire et l'intellectuel, et Outoudert Abrous, directeur de la publication-gérant du quotidien "Liberté", s'est demandé s'il y avait des intellectuels en Algérie : "Est-ce que l'intellectuel algérien a le courage d'abandonner sa carrière, ses privilèges, etc. L'intellectuel est un SDF ; un intellectuel de petit salon : est-ce qu'un lycée a déjà invité un écrivain ' Est-ce qu'un responsable politique a déjà félicité un écrivain pour un prix ' Et la presse est détestée par le pouvoir." En somme, la relation entre les intellectuels et le pouvoir est encore à penser.
S K


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