Tout le monde est d'accord enfin pour dire que le libéralisme n'est pas ce que l'on veut nous faire croire. A commencer par ceux qui, de par les responsabilités politiques, économiques ou autres qu'ils occupent, se trouvent placés dans le cockpit de ce courant, manettes de commande en main.
Sarkozy ne s'est pas privé, en tant que président en exercice de l'Europe, de plaider la culpabilité du système en proposant plus de régulation, ce qui, en d'autres termes, équivaut à reconnaître que le marché ne peut pas toujours jouer le rôle décidé pour lui par les économistes néoclassiques.
Mais, si on laisse de côté la panique (justifiée) des alarmistes et en dépit de sa lourdeur et de ses conséquences qui s'annoncent désastreuses, la crise n'est qu'une crise, c'est-à-dire un dysfonctionnement temporaire d'un système donné et qui ne peut pas être durable, et encore moins éternel. Toute crise étant vouée à être dépassée, il convient dès lors de tenter de jeter un coup d'oeil vers ces lendemains que la panique actuelle généralisée, conjuguée au brouhaha incroyable de tous les faux marchands de légumes qui s'autoproclament «analystes financiers spécialistes des grandes crises», nous fait oublier. De quoi sera donc fait demain ? Il faut croire que les conséquences de l'actuelle se feront sentir sur plusieurs plans.
Sur le plan économique, réel, et quand bien même ne s'effondrerait-elle pas totalement (ce n'est d'ailleurs pas là le scénario le plus plausible), l'économie américaine ne se relèverait pas de sitôt.
Il y a lieu, en effet, de ne pas confondre entre la durée de la crise (que les plus optimistes estiment à deux-trois ans) et l'étendue de ses conséquences qui seront, évidemment, nettement plus longues et beaucoup plus importantes. Cette économie, déjà mise à mal par un va-t-en-guerre sans précédent de ses dirigeants, et malmenée par l'appétit grandissant des pays asiatiques dont la Chine, l'Inde, le Japon et, à un degré moindre, la Corée du Sud et la Thaïlande pourra difficilement éviter les licenciements massifs qui s'imposent déjà au nom de la sacro-sainte rentabilité. Les investissements ralentiront probablement car les entreprises, de toute évidence, y trouveront plus de difficultés pour l'obtention de crédits d'une part et, d'autre part, l'aversion pour le risque sera grande encore pour des années. La compétitivité des entreprises américaines sera sans doute affectée, ce qui n'est pas sans faire plaisir-et même frotter les mains-aux Chinois, aux Brésiliens, aux Indiens, aux Russes dont la force et la solidité de l'économie aura pour conséquence de renforcer l'attractivité sur les investissements étrangers. Des experts avaient prédit que la Chine atteindrait le degré de puissance des Etats-Unis dans une dizaine d'années, seulement, à ce rythme, il y a lieu de croire que cela pourrait se réaliser bien avant ce terme. Sur le plan théorique, on peut facilement se rendre compte que des changements sont à venir. Beaucoup de changements même, et pas des moindres. Ils concerneront, pour la plupart, l'entreprise. Pourquoi l'entreprise ? Parce que, tout simplement et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, tout en étant la locomotive réelle de l'économie, l'entreprise en est l'un des points faibles les plus sérieux.
Forme d'expression concentrée de la propriété privée, l'entreprise a toujours été objet de fierté des adeptes du libéralisme et, donc, de l'économie de marché. Mais elle n'a jamais bénéficié de l'attention correcte qui devait lui revenir. Déjà, au tout début, elle ne figurait que très peu au tableau des préoccupations des économistes. Ensuite, l'école néo-classique la regardant de loin, d'un peu trop loin même, avait omis de s'intéresser à ce qui s'y passait. Simple fonction de production qui devait réagir aux appels du marché, l'entreprise était privée, dans la théorie néo-classique de toute initiative et de toute capacité d'évolution. Les appels d'un certain Schumpeter demeurèrent sans écho jusqu'au jour où, par un certain 1929, le raisonnement de cette école s'effrita devant la grande récession qui frappa les économies du monde. On crut alors, avec la venue de la macroéconomie, à partir de 1936, que les choses allaient rentrer dans l'ordre mais c'était encore raté du moment que le keynésianisme, pourchassant les agrégats et les grandeurs plus significatives à son sens, n'accordait pas (ou très peu) de place à l'entreprise. Abandonnée ainsi par les économistes, l'entreprise fut prise en main par les non-économistes qui jetèrent les bases de ce qui allait être «le management». Venant de tous les horizons de la pensée (psychologie, génie industriel, sociologie, mathématiques, biologie, droit...), ces hommes et femmes allaient pénétrer l'univers interne, jusque-là inconnu, de l'entreprise. Un zoom en quelque sorte qui allait se focaliser sur les «battements» de l'entreprise au point d'oublier (malgré l'introduction de la théorie des systèmes) de jeter un regard à ce qui se passait dehors, dans l'environnement externe. Lorsque la crise des années soixante-dix frappa, les managers et le management n'avaient rien vu venir. L'effervescence de l'activité économique, durant les Trente Glorieuses, ainsi que les forts taux de croissance de l'époque ne poussaient certes guère à la méfiance. Pire, les managers et le management étaient incapables de gérer la première crise à laquelle ils faisaient face.
Arrêts de projets, fermetures, délestage d'activités, licenciements de travailleurs, chômage, baisse de la demande, étranglement des crédits à la consommation... les entreprises et les hommes en virent de toutes les couleurs. Et c'est à partir de cette crise que l'on commença, dans les amphis mais aussi dans les labos et les séminaires à s'intéresser sérieusement aux entreprises. La première qui se posa fut celle de déterminer les limites de l'entreprise et c'est en tentant d'apporter réponse à cette question que l'on découvrit que, après un siècle de théorie économique néoclassique, on ne savait toujours pas définir ce qu'est une entreprise. Dès le milieu des années soixante-dix, des travaux et des débats virent alors le jour et, malgré ce qu'ils apportèrent comme souffle nouveau à la théorie et à l'économie de l'entreprise, ils jetèrent nombre de confusions nouvelles quant à la définition et au contenu de l'entreprise. Théorie des coûts de transaction, théorie des droits de propriété, théorie de l'agence, ...apportèrent autant de définitions que d'approches si bien que, aujourd'hui encore, il n'existe point de définition universelle de l'entreprise.
A cette confusion, allèrent s'ajouter deux coups violents à la théorie de l'entreprise. Le premier fut l'importance, aussi soudaine qu'inexpliquée, prise par la théorie de l'agence par rapport à toutes les autres théories et le second fut la conséquence directe de cette importance, à savoir, la substitution de l'approche financière à celle managériale.
Les faits marquants de cette période furent, ils le sont jusqu'à ce jour, le changement dans la relation propriétaires-managers et la mise à l'index de ces derniers, ou plutôt de leur opportunisme, de leur manque d'honnêteté, de leur enracinement... les différents scandales qui secouèrent le monde des entreprises (Enron, Vivendi...) ne purent qu'enfoncer les managers, peut-être à tort, mais ils les enfoncèrent un peu plus.
Sur le plan théorique, la crise actuelle, on le saisit donc aisément, aura de grands impacts sur la théorie et l'économie de l'entreprise. D'ailleurs les deux premières de ces conséquences sont déjà visibles. Elles sont là, clairement signifiées partout dans les grandes économies : suppression des parachutes dorés et bridage de l'autorité des financiers.
Parallèlement, il y a lieu de croire que dorénavant, la place et le rôle des managers seront revisités. Ainsi, la question longtemps occultée du «manager-actionnaire» fera sans doute partie des débats très proches car il conviendra de lever l'ambiguïté anormale et incompréhensible qui frappe le statut du manager qui, d'un côté, et par sa position de salarié n'est nullement exposé au risque et, d'un autre côté, de par sa position d'actionnaire, ouvre droit aux dividendes, c'est-à-dire au salaire du risque. Cette contradiction qui fut longtemps volontairement mise de côté ne peut continuer à exister sans miner encore plus le monde de l'entreprise. Sur un autre plan, la théorie de l'agence qui se place, dès le départ, dans un rapport conflictuel entre les propriétaires et les managers et se positionne du côté des propriétaires, ressemble, pour paraphraser un auteur français, à une position de principe plus qu'à une théorie. De ce fait, et à moins de connaître un véritable lifting, cette théorie sera totalement inutile car en déphasage. A côté de ces changements notables, il y a tout lieu de penser aussi que des voies nouvelles de recherche concernant l'entreprise s'ouvriront. Il s'agira sans doute, et aujourd'hui plus que jamais, de chercher à connaître réellement ce qu'est une entreprise. Parions à cet effet que la théorie des droits de propriété semble la mieux placée pour favoriser une avancée sur ce plan, mais à condition de ne pas faire dans l'exclusive.
Ainsi, l'après-crise dépendra de la manière dont sera considérée l'entreprise dans la théorie économique et, aussi, de la théorie nouvelle qui jaillira concernant cette entreprise. Une théorie générale sans doute qui viendra confirmer ce que l'on a toujours tendance à oublier : en économie, tout doit forcément passer par l'entreprise.
Posté Le : 09/10/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Aïssa Hirèche
Source : www.lequotidien-oran.com