Algérie - Parutions de livres de littérature

De violence et d'espoir d'Aïssa Nour, (Témoignage) - Éditions Publibook, Paris 2003


De violence et d'espoir d'Aïssa Nour, (Témoignage) - Éditions Publibook, Paris 2003
Présentation

C'est l'histoire authentique vécue par un travailleur algérien. Dans une entreprise algérienne, la Sonelgaz, une bombe explose près d'Aïssa. Déclaré mort, il sera sauvé par un concours de circonstance extraordinaire. Il restera cloué dans un fauteuil roulant pendant 18 mois. Grâce à un réseau de solidarité entre des travailleurs français et algériens, il sera transféré en France où il subira deux opérations chirurgicales, en plus des sept subies jusqu'alors en Algérie.
Après plusieurs mois de rééducation dans un centre spécialisé, il rentre dans son pays, deux semaines seulement après s'être remis debout. Aïssa a fait le choix de vivre et de lutter. Il a repris son travail... et ses luttes. Voici le résumé de ses souffrances, et celles de tout un peuple, infligées par un terrorisme sans visage. Il nous livre, dans ce témoignage poignant, le récit du combat qu'il a mené pour retrouver sa force. Combat qui incarne celui de toute l’Algérie.
Commentaire
« Plus jamais ça » : c’est en quelques mots l’essence de ce témoignage d’un travailleur algérien dont la vie a basculé suite à un attentat. Quand un homme relate une expérience traumatique, c’est pour toute l’humanité qu’il le fait. C’est ainsi qu’Aïssa Nour entend nous faire comprendre son message. Dans un pays meurtri, il nous engage, avec sérénité et un grand esprit de solidarité, à toujours converser l’espoir de paix et de réconciliation.
Résumé
Dans une entreprise algérienne, la Sonelgaz, une bombe explose près d’Aïssa. D’abord déclaré mort, il est transféré à l’hôpital d’Alger : sauvé, il restera pourtant cloué dans un fauteuil roulant pendant 18 mois. C’est le résumé de ses souffrances, infligées par la guerre civile algérienne, qu’il nous relate ici…

Extrait
Introduction

Victime d'un attentat terroriste alors que j'étais en mission commandée au service de mon employeur, et rescapé grâce à un concours de circonstance étonnamment favorable, je suis devenu malgré moi, Aïssa le miraculé. Le traumatisme étant très important (fractures des deux tibias avec de grands délabrements cutanés, fractures de l'humérus droit, sectionnement du nerf radial, scalp frontal, perforations des deux tympans, bris de verre à l'intérieur de la cornée, des dizaines de corps métalliques en divers endroits.), je suis resté sur fauteuil roulant pendant dix-huit mois. Lorsque j'ai commencé à béquiller, j'ai pensé que mon premier devoir est d'apporter mon modeste témoignage à la postérité sous la forme d'un écrit qui retracerait fidèlement mon histoire. De plus, j'éprouve de plus en plus, un pressant besoin de parler, de m'exprimer, et d'être écouté. La nécessité de transmettre mon expérience m'obsède. Elle est devenue une idée fixe et une obligation envers mes compagnons morts, ainsi qu'envers tous ceux qui se sont solidarisé avec moi. Il s'agissait simplement de me définir les voies, les moyens et la forme. Cela servira indéniablement à m'aider moralement, à exorciser mes continuelles souffrances afin de supporter davantage et à m'occuper durant mes longues veillées. Outre cela, une personne, en qui j'ai une profonde estime et qui a suivi de très près toutes les étapes de ma douloureuse épreuve, m'a rappelé qu'en frôlant la mort et en y échappant, je lui avais fait la promesse d'écrire et de la décrire !
En racontant mon histoire, je remarque que les gens sont très attentifs et sensibles à ma condition. Comme cette infirmière de l'hôpital Lariboisière de Paris qui est restée à m'écouter de 10 heures à midi, sans se rendre compte du temps écoulé, oubliant les autres patients, et qui m'a dit à la fin :
. J'étais comme hypnotisée, suspendue à vos lèvres. Votre histoire est à la fois affreuse et belle. On ne peut résister à la tentation de vous écouter, de vous suivre. merci pour votre témoignage.

Certes, je n'ai aucune expérience, mais j'ai tellement de choses à dire, que je n'ai pas le droit de me taire. En écrivant, comme ce patient de l'Hôpital Maritime de Berck, Jean Dominique BAUBY totalement paralysé, qui ne pouvait plus remuer que les yeux. Mais, doté d'une volonté inimaginable, il a réussi à écrire un livre « Le Scaphandre et le Papillon », en dictant les mots uniquement par clignements des yeux.

Je dois témoigner sans passion, dans la sérénité mais avec cette vérité crue, sans indulgence, et pour que mon témoignage soit utile, il faut qu'il soit su ! Evidemment, j'éprouve une extrême satisfaction d'avoir réussi à enfanter un livre, quoique basé sur des faits réels et ne nécessitant donc pas un esprit d'imagination fécond, propre aux grands hommes. Je dois rapporter le plus fidèlement possible ce que j'ai vécu, ce que j'ai enduré.
En écrivant, j'ai trouvé un havre où j'ai pu exorciser mes continuelles souffrances et m'occuper pendant mes longues veillées. Je pense aussi à ceux qui ont souffert beaucoup plus que moi, mais qui n'ont pas la possibilité de témoigner ! Alors, je le fais par procuration pour eux. Je le fais, aussi, pour ceux qui gardent les yeux fermés et ne veulent pas condamner les crimes de l'intégrisme et sa violence. Comme celle subie, par ces orphelins sans aide et perdus dans la foule, exploités ou tendant leurs petites mains à la charité des passants. Ou celle de ce père, qui hier seulement était fier de son travail et qui ne parvient plus à subvenir aux besoins les plus élémentaires de sa famille. Ou celle de ces jeunes chômeurs, le regard vide, dont l'avenir déjà incertain, se voient oubliés et exclus. Ou celle de cette mère, dont la fille a été kidnappée, violée, écartelée puis égorgée. Ou celle de cette famille dont l'unique fils a été assassiné. Ou, celle de cette jeune femme dont le mari a été tué et qui voit son rêve s'évanouir. Ou encore, l'épreuve de tout le peuple décapité de son l'élite et contre lequel est mené un génocide sans pareil.

Parce que le système qui l'a toujours dirigé est aux antipodes de la démocratie, l'Algérie est isolée sur la scène internationale. Son peuple ne trouve ni appui auprès de ses amis, ni de ses frères, ni de ses voisins ou de ses partenaires traditionnels, ni compréhension par les nations dites démocratiques. L'Algérie, ou plutôt le peuple algérien subit un blocus qui ne dit pas son nom. Ce peuple est ballotté, humilié, terrorisé par, d'un côté, des barbares venus d'un autre temps, et de l'autre par un Pouvoir qui s'accroche et qui n'est pas prêt d'accepter les règles de l'alternance.

Le crime possède une multitude de visages. Il est, en particulier, l'individualisme ou la cupidité de ces éternels revenants, de ces caméléons, de ces girouettes, malléables, taillables et corvéables à merci, à l'image de ceux qui ont adopté un profil bas durant ces dix années de terrorisme et qui veulent revenir sur le devant de la scène maintenant que le terrorisme est en passe d'être éradiqué.
Il est aussi l'affairisme de ces opportunistes, sans idéal, qui ont de tout temps utilisé le peuple comme marchepied et qui prêtent allégeance à tous les Pouvoirs, se cramponnent au favori et changent d'opinions comme ils changent de chemises et cherchent à se placer en doublant ceux qui ont maintenu l'Algérie debout !

Première partie

Lutte contre la mort

Samedi 6 avril 1996, il est 11 heures 20 mn.

Boummm ! . Une bombe explose. et je suis dans les airs. Malgré sa très forte intensité, je perçois faiblement le bruit de la détonation, avec quelques dixièmes de seconde de retard, suivie d'un long souffle. Instantanément, ma première réaction a été de dire ou de penser (je ne sais plus) : " Ils nous ont eus, ces mutants !

". Ensuite, j'effectue un interminable vol plané à une vitesse qui me semble très réduite. comme si la trajectoire suivie était très longue ou comme si elle se déroulait à un rythme ralenti, et que l'effet de la pesanteur terrestre avait disparu. Je suis très léger, aussi léger qu'une plume. J'ai l'impression que la machine du temps s'est arrêtée. Finalement, j'atterris mollement, sans bruit, vingt mètres plus loin et je saisis alors toute l'étendue du drame qui me frappe. Je découvre à mes dépens, que "ça n'arrive pas uniquement aux autres". Ces autres qui auraient pu être, par exemple, "n'importe quel agent" de l'Entreprise qui m'emploie. Oui. n'importe quel agent de l'Entreprise qui m'emploie.

Je ne vois rien, n'entends rien, je ne peux ni crier, ni bouger, ni même respirer. Tous mes sens se sont atrophiés. Je n'ai mal nulle part. Mon cerveau continue à accomplir certaines de ses fonctions, mais ne peut donner d'ordres, même s'il en donne, seront-ils exécutés ? Je suis tout à fait conscient, mais paralysé. Je veux crier, me débattre, signaler ma présence et dire : " Je suis là !." Je veux savoir ce qui se passe autour de moi, en vain. Mon espoir s'amenuise.

Tout cela est passé rapidement. Pourtant cet instant de ma vie que j'ai vécu aux confins de l'au-delà, me paraît infiniment long. Ma première pensée est allée à ma fille, Amina, alors âgée de quatre ans, oubliant tous les autres. Pourquoi ? Probablement, parce que dans sa candeur et son innocence, elle deviendra orpheline à l'aube de sa vie. Elle ne pourra comprendre ni ma subite disparition, ni ce qui m'est arrivé. Pour moi, c'est la fin. Ma fin. Ce repos éternel . cette contrainte sans échappatoire. la mort, je la frôle, je la vois. Elle me provoque. me sourit, me caresse et cherche à m'enlacer pour me compter parmi ses victimes. Elle a été maintes fois décrite comme étant à la fois douce, hideuse, affreuse, belle, délivrante, et ne laissant aucune chance à son adversaire. Je la découvre impénétrable et traîtresse, frappant au moment et à l'endroit où l'on s'y attend le moins.

La lutte semble trop inégale et perdue d'avance, mais raisonner ainsi est un aveu de faiblesse et de soumission. alors que je n'ai pas encore perdu l'appétit de la vie et que l'optimisme a toujours été une partie intégrante de ma nature. D'un autre côté, personne ne peut vaincre la mort. Je ne peux vaincre la mort. Impossible ! Mon tour est ainsi arrivé de cette façon, sans avertissement, sans ultimatum. brusquement. Quitter la vie de cette façon ne m'avait jamais effleuré l'esprit, même si la mort, apogée de la condition humaine, est une prescription, une échéance inévitable, une destination obligatoire et un ultime devoir. Mourir trop tôt ou trop en retard, c'est juste une question de temps. Mais mourir d'une manière aussi atroce que cruelle, ne convient ni à moi, ni à personne d'autre, non par lâcheté, mais par instinct de survie. Je préfère avoir le temps de faire mes adieux, demander le traditionnel pardon et partir paisiblement. J'aurais souhaité quitter ce bas monde d'une mort douce, entouré des miens, qui en ce moment ne pensent peut-être même pas à moi, et ne se doutent de ce qui m'arrive. Je ne peux les appeler à mon secours car chacun entre toujours seul dans le royaume de la mort. Je suis mourant et désarmé, face à la faucheuse. Je me vois déjà dans les ténèbres. Ce sont mes derniers instants, mon heure suprême !

Je souhaite, dans mon désespoir et dans un légitime amour de moi, revenir dans le temps de deux ou trois minutes seulement, pour changer le cours des événements, pour éviter ce coup du sort. J'ai la nette sensation d'être entraîné par une force supérieure. Je râle en inspirant de l'air avec difficulté, sans pouvoir l'expirer. Je me rends compte, avec effroi, que je suis en train d'agoniser. J'entends un léger bourdonnement qui faiblit graduellement. Je suis sur le fil du rasoir, entre deux mondes, l'un représente l'existence, l'autre l'inconnu, dont nous nous méfions. Je ne peux opposer de résistance. Je suis comme résigné. J'apprends à mourir. Je suis contraint de prendre le grand départ vers un lieu d'où nul ne revient. Jamais. Ce moment présent, si effrayant et tant redouté, va-t-il effacer mon passé si avare en joie et même. en peine ? La vie est trop courte pour que les peines soient trop longues. Hier encore, je gambadais avec les gamins de mon âge. Ensuite, je sombre pour me laisser aller vers ce fameux trou noir.

Nous étions sept personnes à proximité de la bombe. Le seul corps non déchiqueté est le mien. L'information transmise par les services de sécurité à mon employeur, mentionne qu'il n'y a pas de survivant.

Ensuite, notre Direction Régionale située à Alger est mise au courant. Le Directeur de l'Unité Tahar est effondré. Il retient difficilement son émotion en annonçant la triste nouvelle à ses collaborateurs et au personnel. Ensuite, il prend la route pour Blida. Pour mon employeur, je suis donc mort.

Mes collègues d'Alger et de Blida sont abattus et révoltés. Les services de sécurité demandent nos filiations, qui sont transmises par téléphone à partir de nos bureaux. En entendant nos noms prononcés, le dernier espoir se volatilise. Il n'y a plus de doute. Ce qui accentue la douleur et créé une tristesse générale.

Le Directeur de Blida téléphone à la Direction Générale. Son supérieur hiérarchique est en réunion. La secrétaire le fait sortir. Il est mis au courant du drame. Il quitte précipitamment la réunion et contacte un collaborateur, qui est un de mes très proches amis, qui le rejoint deux minutes plus tard. Il s'assoit, met sa tête entre ses mains et lui dit d'une voix à peine audible :

. Aïssa est mort. Une bombe. Une autre bombe.

Sans tarder, ils prennent la direction de Blida, sous une pluie fine. En cours de route, ils n'échangent pas un seul mot.

Pendant ce temps au siège de la SONELGAZ à Blida, le Directeur appelle mon voisin, Rachid, et lui dit :

. à présent nous devons informer son épouse. Je crois que tu es le mieux placé pour le faire. De toute façon, nous n'avons pas le choix. C'est un droit pour elle de connaître la vérité, maintenant, sans tarder.

. Je suis tout à fait d'accord, mais pourquoi moi ?. Lui répond Rachid. Je ne saurais pas trouver les mots justes. Comment pourrais-je atténuer sa douleur ? Franchement, je ne peux pas. Je vais tout juste lui dire qu'il est blessé et qu'il a été hospitalisé. Peut-être qu'elle comprendra d'elle-même ?. "

Il se présente chez moi en pleurant, hésite un instant puis frappe à ma porte. Il dit à mon épouse qui lui ouvre.

. Aïssa vient d'être victime d'un attentat par l'explosion d'une bombe, mais, il n'est que blessé. Il a été hospitalisé. "

Mon épouse a l'impression que le monde vient de s'écrouler sur elle. Son visage devient blême et son visage n'exprime plus que la douleur, la souffrance et le deuil. Pour se donner du courage, elle fait semblant de ne pas croire au pire. Naïvement, elle lui dit :

. Emmenez-moi le voir tout de suite, s'il vous plaît !

. Je ne peux pas. C'est que je ne sais même pas dans quel hôpital il a été transporté.

Ne pouvant contenir son émotion, il laisse mon épouse sur le seuil de la porte de l'appartement et « s'enfuit » chez lui.

Dans un premier temps, mon épouse perd la boussole. Mes proches parents habitent à plus de quarante kilomètres, et le téléphone est en panne depuis trois ans, le central ayant été saboté et entièrement détruit par le terrorisme. Mes beaux-parents habitent à plus de cent kilomètres. Tant bien que mal, elle arrive à se ressaisir et téléphone à son frère, qui prend aussitôt la route, accompagné par d'autres membres de la famille.
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