Algérie

De vieilles femmes s'en souviennent encore



C'est un métier ancestral qui a totalement disparu, à l'exception de ses traces qui restent indélébiles sur les rochers de la région de Kabylie. Un métier réservé uniquement aux femmes. «Averray» est une technique de trituration d'olives pratiquée par les femmes afin de subvenir en huile, à la famille, en attendant la fin de la saison des récoltes. Pour des raisons diverses, beaucoup de familles seretrouvent en rupture de stock, en matière d'huile, avant la venue de la saison des triturations au niveau des grandes huileries. Aussi, pour assurer la disponibilité de l'huile jusqu'à la fin de la récolte, les femmes recourent à la trituration manuelle qui a, contrairement à ce qu'on peut croire, besoin d'une grande technicité. C'est alors que le génie populaire a inventé «Averray» ou, au pluriel, «Iverrayen».
Une autre industrie est dérivée de cette technique, à savoir la fabrication de savon traditionnel. On l'appelle en langue kabyle «Savon N ouvaligh».
«Nous avons pourvu nos familles d'huile d'olive de très bonne qualité et surtout, nous assurions la fabrication du savon pour nous laver», raconte Nna Fatma, dans les 90 ans, qui se rappelle parfaitement l'ambiance qu'il y avait sur ces rochers. «Il n'y avait que des femmes et seulement de la même famille, parce que toutes les familles possédaient un ou plusieurs «Iverrayen». Une autre vieille femme, Nna Tassadit, nous livre quelques secrets de fabrication de cette technique totalement naturelle.
Sur des rochers, de préférence au sommet plat, les femmes creusent des cavités aux contours ovales de 30 à
40 centimètres de diamètre et une vingtaine de centimètres de profondeur. Parallèlement à ce travail de taille sur les rochers, d'autres femmes travaillent sur d'autres pierres pour les tailler jusqu'à en faire des objets ronds sous forme de ballons d'un diamètre un peu plus petit ou égal à celui des cavités. Une fois ce travail terminé, la famille dispose ainsi de son propre «Averray»que les femmes utilisent pour fabriquer de l'huile d'olive.
Une fois cette oeuvre taillée et finie, place à un autre travail nécessitant tout autant de technicité et de génie. «On met des olives dans la cavité et on les broie, autant que possible, à l'aide de la pierre disposée à l'intérieur en la secouant avec les mains. Le travail nécessitait beaucoup de force. C'est pourquoi, on emmenait des jeunes filles encore fortes pour faire le travail», explique Nna Fatma qui précisait qu'à cette pâte obtenue, on ajoutait des quantités d'eau. On laisse reposer, l'huile remonte ainsi à la surface et on la récupère dans des récipients» ajoutet-elle, tout en poussant un soupir plein de nostalgie de ces temps «bénis». Mais, hélas, cette technique a disparu et n'est plus utilisée aujourd'hui. «Oui, aujourd'hui, lorsque l'huile d'olive est épuisée, on achète de l'huile de table et on utilise le savon de Marseille à la place de «Savon N Ouvaligh», déplore notre vieille interlocutrice, qui reproche aux jeunes générations d'avoir perdu beaucoup de techniques au lieu de les développer. «Non, je ne connais pas. Je n'ai même pas entendu parler de ça», répond Malika, une jeune fille à qui nous avons demandé si elle connaît «Averray». En fait, pendant ces temps «bénis», selon les propos de Nna Fatma, les humains avaient une relation gagnant-gagnant avec la nature. L'huile obtenue était utilisée pour la consommation quotidienne, mais le génie des femmes anciennes faisait que la pâte d'olive, obtenue en la mixant, est utilisée pour la fabrication de savon à base de ces sédiments engendrés par l'écrasement des graines. Ces sédiments, obtenus étaient également utilisés comme des crèmes de peau par les femmes, alors que d'autres substances étaient récupérées par d'ingénieuses femmes pour la fabrication de remèdes à de nombreuses maladies. Les anciens vivaient en harmonie avec la nature. Une sorte de contrat gagnant-gagnant liait les deux parties, contrairement à aujourd'hui où «on bouffe la nature» en se croyant intelligent et civilisé alors que nous sommes «en train de scier la branche sur laquelle on est assis».


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