Il suffit d'une
immolation, d'un sucre ou d'un bidon d'huile pour que tout soit dit. Tout est
clair. Les leçons doivent être prises en bonne considération. Car c'est tout
aussi simple. Maintenant tous les chemins menant de Tunis vers d'autres
capitales arabes sont en finalité très courts.
La longévité dans
un poste qu'il soit politique ou autre n'emmène en fin de cycle que lassitude
et dégoût. D'autant plus s'il s'agissait là d'un pouvoir exorbitant en matière
de pouvoir politique. Nous ne sommes pas ainsi en face d'une réflexion ou d'un
avis personnalisé. C'est l'histoire de l'humanité tout entière qui le prouve à
travers les innombrables soubresauts qui l'ont émaillée. De César, Néron, à
Caligula, Attila, jusqu'à Mussolini, Ceausescu, Chah d'Iran, les dictateurs et
les éternels assis au trône de la puissance n'ont eu qu'une seule double-issue
fatidique. Fuir et s'enfuir ou périr et mourir. Chassés à coup de morts et de
sang, ils avaient la détresse ou la malédiction comme unique compagne tout le
long du restant de leur vivant ou de leur au-delà. C'est cette longue histoire
universelle qui nous décèle comment certains dirigeants ont par impulsions
abusives ou désir immodéré et prolongé poussé leur peuple à leur réserver le
plus souvent un sort funeste.
Ce qui vient de se passer en Tunisie doit
impérativement inspirer les autres dirigeants à plus de retenue, mais aussi les
peuples à plus de prise de conscience. Ils viennent, ils ne sont pas les
premiers, les Tunisiens à démontrer qu'aucun pouvoir n'ait à se faire dans
l'éternité ou à vie. Il n'y pas plus serein et paisible que cette alternative
tant exigée par tous. L'homme s'est créé le mandat dans le temps. Alors
pourquoi cherche-t-il à défier Dieu dans son ego de devenir une icône
immortelle ?
Les événements
subis par la société tunisienne ne sont en finalité et non loin aussi d'une
manipulation tacite, qu'une issue inévitable, fatale mais à la longue
salutaire. Elle devait surgir à n'importe quel moment où l'hégémonie d'un clan,
d'une famille, d'une belle-famille ou d'une fratrie devienne une chape lourde à
supporter davantage par ceux et celles qui sont maintenus sous un joug
dominateur, écrasant et étouffant. Ainsi Tunis, avec ce 14 janvier 2011 vit à
l'heure algérienne d'octobre 1988. Le plus fondamentalement menaçant et
dangereux n'est pas encore venu. Il reste à faire, à subir. Ils vont connaître
la liberté de dire tout en vrac, le tout cru d'un ras-le-bol qui vient briser
le verrou. Ils viennent déjà de vivre le couvre-feu, le pillage et l'état
d'urgence. Ils commencent à goûter au doux goût de la vindicte, du règlement de
compte et du lynchage public. Ils vont connaître des élections qu'ils
appelleront avec innocence, libres et transparentes. Ils vont revoir la copie
de la constitution en tentant d'instituer un régime parlementaire et ouvert.
Ils vont connaître la floraison des journaux, des partis, des associations et
des comités de citoyens ou de soutien. Ils vont, après l'euphorie, crier aux
disparitions et aux arrestations typiques qu'ils vont certainement qualifier
d'arbitraires et outrancières. Ils ne vont pas cesser de marcher, de faire des
rassemblements, des sit-in. Leur télévision nationale ne va pas rater un scoop
historique pour se jeter dans la délation, la dénonciation et l'amertume d'une
démocratie, somme toute de façade. La route est longue et pleine de trébuchements.
Pourvu qu'ils n'arrivent pas à connaître les escadrons de la mort, les maquis
truffés et touffus, les bombes, les attentats, les personnes explosives, les
faux barrages et l'égorgement. Cependant ils commencent déjà à brailler la
réconciliation nationale, la concorde civile et la préservation du patrimoine
collectif.
C'est ainsi, par-devant une soif ardue de
liberté et de démocratie, qu'on voulant y boire, que le pire puisse arriver. Ce
pays abrite dans ses soubassements de nombreuses cellules dormantes toute
idéologie confondue. La plus virale reste, en toute évidence, la constance
islamiste. Elle a été, depuis que la Tunisie est Tunisie, mise à l'écart et
empêchée d'infiltrer les rouages officiels de l'appareil dirigeant. La société
pratiquait silencieusement sa religion. L'islam est un islam d'Etat, officiel
et point c'est tout. L'on en fait ni éloge ni propagation. Il cohabite
sournoisement avec les autres religions. Les juifs y sont implantés depuis bien
longtemps. Le régime fait dans la quiétude de tous. Mais, les régimes
successifs de Bourguiba et de Ben Ali ont fait que les Tunisiens étaient, par
tous les moyens, éloignés de la mouvance islamique. Le réveil des fauves
surviendra juste après la tempête populaire. Car tous les droits y seront
pêle-mêle reconnus.
L'histoire est
parfois, à la limite de l'injustice, impersonnelle et inhumaine. Elle n'agit
pas dans les sentiments. Le temps s'exerce et passe. Les actes aussi.
L'enregistrement y est spontané et définitif. La touche «supprimer» ou celle
d'un clic retour n'existe pas dans le clavier de l'histoire. Tout signe ou
graphe y est consigné pour la perpétuité. Le peuple fait et défait les
présidents. Les présidents également font fortifier ou assujettir des peuples.
L'on retiendra qu'à Tunis, le départ n'a pas
été cette immolation publique plus que ne l'était cette humiliation. Le jeune
Bouaziz s'est à son corps défendant rendu en une torche humaine, suite à un
acte d'excès de pouvoir commis par une policière. L'humiliation s'est vite consommée.
La dignité bafouée. Cet agissement en uniforme traduisait un comportement
d'Etat, sinon adopté en son nom. Le détail de l'acte isolé, diront les uns, a
pu toutefois libérer tout un pays. Tous les morts, les disparus et le sang
versé seront pour rien, si jamais, et ce cela semble se confirmer, le régime
subsiste. Car le changement n'implique pas subtilement le départ d'un homme.
L'essentiel est dans la disparition totale des relents, courtisans et
applaudisseurs d'un système de gestion honni et réprouvé par l'ensemble du
corps social d'abord. Puis viennent, pour les besoins de récup, les entités
politiques et corporatistes.
C'est vrai qu'en Tunisie la peur gagnait
toutes les bouches. Cette peur était visible et audible. Le régime sévissait à
l'ombre comme un fantôme. On avait l'impression d'être non pas dans une caserne
mais dans un grand commissariat. Ce sentiment fantomatique de peur, on le
voyait partout et nulle part. Il avait ses oreilles, ses yeux dans le même
corps social. La trouille se voyait s'ériger comme un management de gestion
adoucissante des foules. Mais cette peur, à vrai dire, ce sont tous les peuples
arabes qui la vivent. Elle emplit l'être arabe de l'écran de sa TV, à son école
ou université jusqu'à dans ses écrits, paroles et Å“uvres artistiques ou
littéraires. A-t-on vu un poète faire des odes à la faveur de Sarkozy ? Ou bien
la France n'a plus de poètes ? A-t-on vu des citoyens ramenés par bus de la
banlieue argenteuillaise pour arborer devant les cameras de TF1 le portrait de
Sarkozy ? Même les plus durs de ses militants UMP ne le font pas. Car, en fait
de l'éventualité d'un amour politique ou présidentiel, celui-ci ne peut
s'exercer que dans le comportement quotidien et citadin. Dans le bel exemple.
Dans le respect de l'autre. Dans la légalité.
Il n'y a pas pragmatiquement de similitude
entre Carthage et El Mouradia. Bouteflika n'est pas Ben Ali. Il a une trompe
plus emphatique et historique que l'époux de la régente de Tunis. Il n'a pas
vingt-trois ans de règne, il a à peine 12 ans. La similitude existe cependant
dans l'espèce de fonctionnement réciproque des rouages de l'Etat. Le système.
Il est fait aléatoirement de la même pâte. Une démocratie qui ne veut rien
dire, avec des partis totalement dressés en meubles domestiques de décor
extérieur d'un paysage aride allant de l'opacité à la fermeture. La peur
triture également les entrailles de certains avis contraires ou
contradictoires. Elle côtoie chaque jour l'individu qui se parle en silence. Si
la liberté d'expression chez l'un est entièrement disconvenue et policièrement
réprimée, chez l'autre, elle est sujette à conditionnement par voie d'une
agence d'édition et de publicité. Ou se confine dans un écran unilatéral, muet,
plat et insipide. Elle est mise en surveillance, sinon comment expliquer que
l'opposition politique continue à se faire à partir de l'étranger ? Si
l'anti-islamisme chez l'un est une caractéristique de survie et une note
d'évaluation de la maison blanche ou de l'Elysée, il est chez l'autre une
mitoyenneté moulée dans une réconciliation nationale et soumise à un pieux
appel sans cesse au dépôt de la violence.
Voilà que c'est
fait, la Tunisie va vivre donc au rythme d'une nouvelle ère révolutionnaire.
Plein de rêves et de liesse quant au recouvrement de la liberté, le citoyen va
se désenchanter rapidement. Le régime Ben Ali sera toujours présent. Pour
preuve, le gouvernement d'union nationale qui vient de se composer nie en bloc
les autres courants. Sa légitimité s'est remise en cause par de nombreuses
personnalités. L'enjeu s'est incarné dans le groupe assurant l'intérim de
l'Etat. Tous issus de la production politique de l'homme déchu. Le président
intérimaire, le chef du gouvernement, la majorité des ministres reconduits ne
sont en fait qu'un appendice encore vivant d'un corps que l'on croit fermement
mort. En fait, les régimes ont la peau dure. Les Tunisiens par cette révolte
qui mérite pour leur postérité le titre de révolution, auront à gagner à
préserver surtout le caractère d'ouverture touristique qui les caractérisait à
ce jour. Ils ne doivent pas arborer une fausse dignité face à un touriste
exigeant. Le monde ne doit pas penser que c'est fini, Hammamet et ses plages,
c'est fini ces soirées libres et sans tabous, cette sécurité routière,
hôtelière, urbaine, rurale etc. Sinon
Enfin, cet éveil, malgré les difficiles
transitions, finira tout de même par faire arrimer le pays à la borne de la
pluralité. Les autres d'entre voisins et cousins doivent absolument savoir que
tous les chemins menant de Tunis vers d'autres capitales arabes sont en
finalité très courts.
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Posté Le : 20/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com