Algérie - Revue de Presse

De la zaouïa à l’Olympia. Recherches sur la chanson kabyle de Farida Aït Ferroukh Cherif Kheddam, Taos Amrouche, Iguerbouchène et tous les autres



Publié le 21.10.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE

Il vient de sortir aux éditions Koukou. De la zaouia à l’Olympia est écrit par Farida Aït Ferroukh. Elle est maître de conférences à l’Inalco (Sorbonne Alliance). Docteur en anthropologie, elle est spécialiste des cultures et littératures d’Afrique du Nord et exerce aussi en tant qu’hypnothérapeute.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les artistes kabyles (compositeurs, poètes, chanteurs) vous est déroulé comme sur un tapis rouge dans cet ouvrage : Cherif Kheddam, Kamel Hamadi, Slimane Azem, Ben Mohamed (auteur de Vaba Inouva d’Idir), Taos Amrouche... Tous ont donné à la chanson kabyle une visibilité à l’international et inscrit leur nom en lettres d’or dans la culture algérienne.
Point de starter de ce livre très fouillé : le colloque «Regards croisés sur la chanson kabyle» organisé à l’automne 2008, lors du premier Festival culturel local de la musique et de la chanson kabyles durant lequel les intervenants ont mis en lumière la carrière des pionniers de la chanson kabyle. Des extraits des communications (Denise Brahimi, Youssef Nacib, Abdelmadjid Bali, Ali Sayed, Mohand Akli Salhi, Amar Ameziane ...) sont à découvrir. On y apprend par exemple que Mohamed Iguerbouchène a composé des œuvres originales comme Rhapsody kabyle n°9 , Rhapsody arabe n°7, pour la musique de Pépé le Moko (1937)... Depuis leur exil en France, les artistes kabyles ont exprimé, à travers des paroles poignantes mises en musique, la souffrance induite par leur déracinement. Farida Aït Ferroukh écrit : «De part et d’autre de la Méditerranée, une chanson, deux lieux : la Kabylie — Alger étant le prolongement de cette dernière — , la France, notamment Paris. Au sein de l’émigration, le chanteur accompagne l’ouvrier exilé, le distrait ou aiguise sa conscience dans les cafés ; le plus souvent, il est lui-même travailleur de jour et artiste la nuit ou le week-end, comme c’est le cas, par exemple, de Slimane Azem qui a travaillé sur le chantier du métro parisien, ou de Cherif Kheddam qui a usé sa santé dans une fonderie.» A propos de Taos Amrouche, Denise Brahimi dira : «...Taos Amrouche a absolument imposé, grâce à un charisme personnel incontestable et grâce aussi à un travail approfondi de recherche musicographique, son interprétation des chants berbères de Kabylie, et ce, pendant deux décennies...»
Bon nombre de chanteurs kabyles ont grandi dans les zaouïas. C’est le cas par exemple de Slimane Azem, Brahim Izri, Allaoua Zerrouki (fils d’imam). Cheikh el Hasnaoui et Cherif Kheddam, quant à eux, se destinaient à endosser le costume d’imam mais leurs chemins ont croisé celui de la chanson et leur a ouvert la porte d’un bel univers artistique. Ali Sayed (anthropologue) a connu Cherif Kheddam en 1965. Le chanteur lui avait confié qu’enfant, son père, imam de sa fonction, l’avait arraché à son village de Bou Messaoud pour lui assurer un enseignement coranique dans la zaouia de Boujlil. «Dans ma couche, recroquevillé, je fermais les yeux, je ne dormais pas, je souhaitais juste mourir (...) Combien de punitions injustes, arbitraires ai-je enduré ? Combien de cruelles humiliations ai-je essuyées ? Les ‘’dresseurs’’ usaient et abusaient de l’abus de pouvoir. ‘’Récite... Ecrit... Reproduit’’ sont les sommations quotidiennes qui font plier le faible enfant que j’étais. Les flagellations sur la plante des pieds ne laissaient pas de trace...»
En 1947, Cherif Kheddam (1927-2012) s’exile en France. à l’aéroport, il a droit à une première dose d’humiliation : «L’avion est fait pour des hommes et non pour des bêtes.» Ouvrier-soudeur à Paris, le chanteur s’accrochera à son rêve. Il prendra des cours de chant, solfège, piano et luth. «Fasciné par le beau, poussé par la volonté de se réaliser, révolté par toutes formes de soumission, le petit Kabyle, le fils de Si Omar, l’imam de la mosquée du village de Bou-Messaoud, ne sera pas imam comme son père.»
Hommage également à Kamel Hamadi qui a révélé toute une brochette d’artistes dès les années 1950 à l’instar de Ourida, Bahia Farah, Karim Tahar, Youcef Abdjaoui, Nora, Hanifa, H’ssissen, El-Ankis. Tous ont chanté ses compositions. C’est aussi Kamel Hamadi (très peu de gens le savent) qui a écrit la célèbre Mmi 3zizen (mon fils chéri) interprétée par Hadj M’hamed El-Anka. Par ailleurs, son duo Yidem (avec toi) avec Hanifa est inscrit dans les annales de la chanson kabyle. L’interprète de Ezzahriw anda thedith (mon destin où es-tu parti ?) est morte seule, à Paris, en 1981. Kamel Hamadi tient à rétablir une vérité sur la quête organisée afin de rapatrier la dépouille de Hanifa à Alger. «Kamel Hamadi rectifie qu’il était en tournée au moment où son amie a rendu l’âme. En rentrant, la fille de la chanteuse lui apprend le décès de sa mère et son vœu d’être enterrée à Alger. Selon lui, c’est à l’initiative de Slimane Azem qu’une quête fut organisée. La somme réunie a été transmise par les soins de K. Hamadi au gendre de la défunte.»
En lisant ce livre, on découvre, d’autre part, que c’est à Kamel Hamadi que le public doit l’unique spectacle de Allaoua Zerrouki donné, en 1965, à la salle Ibn Khaldoun d’Alger. Cherif Kheddam a produit et animé des émissions de radio (Chaîne II) et Radio-Paris. Il a contribué à révéler des pépites comme Lounis Aït Menguellet. «Sans conteste, la radio (Chaîne II) a joué un rôle important dans la vie de beaucoup de Kabyles», écrit Farida Aït Ferroukh.
Découvrez le parcours de tous ces artistes qui ont posé les premiers jalons de la chanson kabyle à travers ce livre de recherches signé par Farida Aït Ferroukh.
Meriem Guemache
De la zaouïa à l’Olympia. Recherches sur la chanson kabyle. Farida Aït Ferroukh. éditions Koukou. 198 p. 2024. 1200 DA.

MERIEM GUEMACHE



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