Son ami partage,
tout à fait, son inquiétude face au manque de réaction des acteurs pédagogiques
devant l'offensive des tutelles, mais lui fait remarquer que le « bras de fer
», qui illustre ses propos, est tout de même l'Å“uvre de personnages hors du
commun. Le Doyen Vedel est une référence en sciences juridiques et le ministre
Edgar Faure, un géant politique.
Il reconnaît que,
dans ces circonstances, comparaison n'est pas raison, mais il veut juste
frapper les esprits pour affirmer que la posture des enseignants est pour le
moins incompréhensible. Leur combat pour des conditions de vie et de travail
honorables ne doit pas les détourner du devoir sacré de défendre le plus noble
des métiers. Le sort d'une nation dépend du sort de son éducation. Dès lors,
s'ils ont raison de se battre pour leurs droits professionnels, ils doivent
défendre avec la même détermination l'intégrité et les valeurs de leur système
pédagogique. Ils ne doivent pas assister passivement à la domestication de leur
profession par une administration avide de pouvoir.
L'autonomie
académique est au cÅ“ur des progrès accomplis par la science. Aujourd'hui,
l'ingérence administrative, n'ayant rencontré aucune résistance, pousse son
avantage jusqu'à rétablir l'autorisation de sortie du territoire national pour
les enseignants d'université.
La presse annonce
une circulaire qui se propose d'abolir des droits constitutionnels, de juger de
l'opportunité de toute participation à une rencontre scientifique
internationale et de contrôler sur pièce le contenu des éventuelles
contributions.
Son ami, en
contradicteur intime, lui oppose le fait que l'administration s'appuie,
peut-être, sur des causes objectives pour en arriver là. Elle doit lutter
contre l'absentéisme, injustifié, qui peut pénaliser, en premier lieu, les
étudiants. Elle ne peut admettre une couverture « scientifique » à une activité
touristique. Par ailleurs elle met en avant la probabilité de propos qui,
souvent involontairement, portent atteinte aux intérêts du pays.
La naïveté de son
ami l'a toujours étonné, d'ailleurs c'est ce trait de caractère - est-ce un
défaut ou une qualité ? - qui l'a toujours ému et qui cimente leur relation.
Le professeur
d'université a choisi, avant tout et de façon quasi exclusive, d'être au
service de la science, en acceptant de sacrifier, pour cela, les plus belles
années de sa jeunesse, d'accomplir les efforts requis et de renoncer à
certaines jouissances matérielles. Les échanges scientifiques nationaux et
internationaux font partie des moyens par lesquels il accède à la connaissance,
partage ses propres découvertes et progresse dans sa quête scientifique.
Les congrès
internationaux constituent l'une des activités majeures des scientifiques et
des universitaires. Dés le milieu du XIXème siècle, l'essor des transports
facilite la rencontre des chercheurs pour unifier, dans un premier temps, leur
langage scientifique, se doter de normes internationales et s'entendre sur des
références universelles en matière de mesures scientifiques. Ces rencontres ont
connu une progression exponentielle pour répondre au développement de
nombreuses disciplines et à leur spécialisation de plus en plus poussée. La
confrontation des résultats devient un besoin incontournable et de plus en plus
fréquent.
Par ailleurs, la recherche scientifique à
l'heure actuelle ne laisse aucune place au chercheur isolé. En 2002, par
exemple, 92% des publications en sciences de la nature sont signées par plus
d'un auteur. En sciences sociales et humaines la proportion est moindre mais
atteint les 50% la même année.
Aujourd'hui la production du savoir ne relève
plus du travail individuel. Les projets de recherche sont de plus en plus
complexes, les chercheurs de plus en plus spécialisés, et les équipements de
plus en plus coûteux. Compte tenu de l'étendue des connaissances, il faut
nécessairement diviser le travail et organiser les complémentarités. Cette
distribution des tâches ne peut se soumettre aux frontières géographiques, elle
ne peut vivre que de l'articulation des espaces de compétences. Alors,
prétendre la soumettre à une « police » de circulation c'est tout simplement
l'interdire.
Le phénomène de la mondialisation est aussi
visible en science et depuis bien plus longtemps que dans n'importe quel autre
domaine. Les articles scientifiques signés par des auteurs de plusieurs
nationalités n'étaient en 1980 que de 6 % des articles publiés dans le monde,
ils s'approchent des 40% aujourd'hui. L'explosion des moyens de communication
accélère le phénomène.
La tendance est plus forte et plus rapide
dans les pays les moins bien dotés en moyens de recherche et où le nombre de
chercheurs est relativement plus faible. La collaboration internationale est
ainsi moins élevée aux USA qu'en France où le pourcentage des articles cosignés
est passé de 35% en 1995 à 50% en 2005.
Voilà une autre raison qui démontre toute
l'inanité de vouloir contenir les échanges et les soumettre à un filtre qui
risque d'être plutôt un étouffoir. Et s'il est vrai que cette tendance est très
forte en sciences dites dures, les sciences sociales n'y échappent pas.
Certaines disciplines comme l'économie, les sciences financières, les sciences
commerciales atteignent un niveau d'abstraction qui les délivrent des limites
locales et les met dans le même besoin d'association de chercheurs.
Le second grief fait aux chercheurs est de
s'offrir des voyages sous le prétexte de participation scientifique. C'est là
une suspicion «illégitime» à laquelle n'échappe d'ailleurs aucun citoyen dans
son rapport à l'administration. Toute procédure, toute démarche administrative
est conçue, depuis quelque temps, beaucoup plus à l'usage d'un suspect que d'un
citoyen respectueux des lois, jusqu'à preuve du contraire. La présomption de
mauvaise volonté est de règle.
Enfin, l'argument le plus décisif opposé à la
mobilité du chercheur est l'éventualité de nuire aux intérêts du pays.
L'Universitaire, qui a tout fait pour jouir d'une certaine autonomie, se
trouve, malgré lui, investi d'une fonction de représentation institutionnelle.
Pourtant il n'est pas soupçonné d'une telle qualité dans son combat quotidien
contre la précarité.
On ne lui découvre une telle « charge » que
quand il s'apprête à quitter le pays pour entreprendre un échange avec ses
pairs sous d'autres cieux.
Depuis quand l'Universitaire qui ne dispose
que de ses travaux et de sa réflexion dans un forum scientifique, engage-t-il
un Etat et ses institutions? Depuis quand sa parole dans des domaines qui ne
croisent que rarement la sphère politique a-t-elle valeur diplomatique? Quand
bien même sa parole est décisoire n'est-il pas le plus indiqué pour la dire,
son patriotisme est-il sujet à caution ? Même si des « écarts » ont pu être
reprochés à certains, cela justifie-t-il la mise à l'index de tous les
universitaires ?
N'est-ce pas un simple prétexte pour réaliser
l'intention, jamais démentie, de l'administration de mettre au pas le monde de
l'éducation et de le soumettre aux règles de l'utilité, de l'uniformité et de
la centralisation. A l'aube du troisième millénaire, les libertés académiques
conquises de haute lutte depuis plusieurs siècles, peuvent encore être,
subitement, remises en cause. Car il va s'en dire que s'il ne s'agit que de
protéger les intérêts communs, le meilleur lieu de régulation est local.
La compétence de la tutelle n'est pas
universelle et ne doit pas déborder sur des domaines qui relèvent de
l'appréciation des pairs au sein d'organes prévus pour cela. L'autorité
centrale qui ne sait pas circonscrire ses interventions, prend le risque de se
diluer dans les détails, de laisser filer l'ensemble et finit toujours par se
ruiner.
Dans le climat délétère, que les nouvelles
mesures ne manqueront pas de créer, comment ajouter foi aux appels lancés à
l'élite expatriée ? Le contrôle impromptu et abusif qui décourage ceux qui sont
ici, peut-il véhiculer un signal positif à ceux qui sont ailleurs ? Lorsque
ceux qui se battent encore, chez eux, contre les lenteurs bureaucratiques,
l'incompréhension administrative, la rareté des moyens, des instruments et des
consommables scientifiques, la chape procédurale de la dépense publique, l'accueil
sceptique et réservé de leurs projets, doivent en plus se soumettre à un
parcours inquisitoire pour faire une pause, se soumettre au regard des autres
et tirer les enseignements utiles d'une évaluation extérieure ?
Quel crédit ajouter aux déclaration qui
veulent promouvoir la recherche scientifique, et valoriser ses résultats quand
les initiatives ne sont libérées que dans la parole ? Des pays voisins ont opté
pour une attitude bien plus positive. Lorsque les rencontres scientifiques ou
de réflexion sont de grande envergure, le ressortissant universitaire qui doit
y intervenir est considéré pour cette mission comme ambassadeur itinérant et
traité comme tel par les représentations diplomatiques de son pays sur les
lieux de l'événement. Un honneur qui « l'oblige » bien plus que toute autre
contrainte et qui emporte son adhésion pleine, indéfectible et même émue.
L'Université algérienne est dépositaire du
sacrifice de tout un peuple, de sa mémoire et de son espoir. Elle a relevé le
défi de fournir au pays ses premiers cadres et mérite toute la confiance des
autorités nationales. Le monde entre dans l'âge des savoirs et un terreau
universitaire fécond ne peut s'édifier sur le doute.
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Posté Le : 01/07/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com