Algérie

DE LA ROUTE DU SEL A LA ROUTE DE LA SOIE Quand Tebboune et Xi «partagent le sel»



Publié le 29.07.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Houria Ait Kaci, journaliste
Depuis la nuit des temps, les Hommes ont partout survécu grâce au troc de marchandises lors des échanges commerciaux qu’ils effectuaient entre eux, par route, avant la découverte des voies maritimes. «La route du sel», parmi les plus anciennes en Afrique, est aujourd’hui revisitée pour faire jonction avec la tout autre ancienne voie commerciale en Asie, «la route de la soie» réhabilitée par la Chine. Le Président algérien, Abdelmadjid Tebboune, en visite d’État en Chine et le Président chinois Xi Jinping ont «partagé le sel», ce qui, selon l’expression populaire, symbolise l’amitié et la fraternité, après le partage d’un repas et d’un moment de convivialité.
«La route du sel»
Au Maghreb, «la route du sel», appelée «Ayri» en berbère, est parmi les plus anciennes routes au Sahara, faisant la jonction entre le grand désert du Ténéré à l'ouest (dans le prolongement du Tassili n’Ajjer) et le grand erg de Bilma (Niger) à l'est, où se trouvaient les gisements de sel. Les caravanes de sel à dos de chameaux des Touareg ont permis aux Berbères et autres populations du Sahara de vivre depuis l'Antiquité dans la bonne entente et la paix, grâce au troc de sel, de dattes, contre les graines de céréales comme le millet et le sorgho, répandues dans le sud de l’Afrique.
La grande traversée durait neuf mois pour les caravaniers, qui, chargés de mil et de produits de l'Aïr (Niger) à dos de chameaux, parcouraient entre 1200 et 1500 km, pour atteindre les gisements de sel de Bilma (Niger). Ils traversaient le Ténéré aller-retour en 35 jours environ. La caravane du sel appelée encore «Tarlam» ou «la file de chameaux», traversait aussi le Mali, devenu un carrefour important de la route du sel, faisant de Tombouctou et de Bamako des villes florissantes.
Lors de ce long parcours, les caravaniers devaient faire face aux bandits de grands chemins qui voulaient s’emparer de leurs marchandises. Avec l’arrivée des colonisateurs français, l'insécurité deviendra encore plus menaçante et les caravaniers ont dû faire appel à des méharistes pour leur servir d’escorte. Puis les Français exigèrent des Touareg toujours plus de dommages en nature (bétail) et ils réquisitionnaient les chameaux pour toutes sortes d’opérations de transport.
La société targuie est ainsi attaquée dans les fondements de ses structures économiques et sociales, ce qui allait entraîner des révoltes des populations, comme celle des Sénoussistes, dirigée par Kaocen contre l'occupation française en décembre 1916 à Agadèz. Ce qui va mettre fin provisoirement à ces caravanes qui ne reprendront qu'en 1920 mais leur importance va augmenter. «En 1988, 5000 dromadaires parvenaient à Bilma», selon une étude publiée par le site de recherches Persée dans un article sur «Les révoltes des Touareg du Niger (1916-17).
Il existait aussi d’autres routes du sel comme celle de Siwa en Egypte reliant «Theghaza-Taoudeni à Tombouctou (Mali). Les mines de Taoudéni sont réputées pour leur sel gemme contenant de l’iode.
«Azalaï, nom donné par les Touareg à ces caravanes de dromadaires qui traversent le désert depuis des siècles, font vivre encore beaucoup de familles. Malgré tous les dangers du désert, les guerres, les mineurs continuent de se rendre, comme avant, dans les mines de Taoudéni, pour y déterrer ce que l’on appelle là-bas l’or blanc.»
Source : https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5043/

«La route de l’or» : une mesure de sel pour une mesure de métal jaune
Le Sahara a connu aussi «la route de l’or» en provenance du Soudan. «De Bilad es-Soudan, il affluait vers les cités, destiné à la frappe de la monnaie et à l’apparat. Il venait par des pistes caravanières et les chameliers convoyeurs évitaient les coupeurs de route, les bêtes sauvages, les grandes étendues de sable, la soif et la mort certaine. Ce métal précieux faisant l’objet de convoitises et servait de trésor de guerre», relate l’écrivain et journaliste Mohamed Balhi dans La route de l’or, commerce transsaharien, royaumes et civilisations.
L'Algérie, le Mali et le Ghana ont fait partie de cette mythique route de l'or, qui était aussi celle du sel et des esclaves et qui a fait la richesse et la puissance de nombreux royaumes et de dynasties du Maghreb et de l’Afrique. Elles vont disparaître avec le déclin de la route de l’or dès le 16e siècle après l’arrivée des navigateurs espagnols et portugais qui va marquer la naissance du commerce maritime.
Tout comme pour le sel, il y avait aussi plusieurs routes de l’or. Selon des historiens, cités par M.Balhi, ce sont les relations entre l’État berbère ibadite de Tahert (actuelle Tiaret, ancienne capitale de la dynastie des Rostémides - 8e-9e siècles) et les royaumes du Soudan occidental qui ont permis de développer le commerce de l’or. (P.18).
Le Touat est devenu un véritable carrefour des échanges entre l’Afrique du Nord et le Sud de l’Afrique. Des oasis du Touat, une route directe descendait, à travers le désert de Tanezrouft (le pays de la soif). Des historiens signalent aussi une autre route transsaharienne, partant de Touggourt et débouchant sur Tombouctou. Cette piste était encore empruntée au début du XXe siècle par les caravaniers qui s’enfonçaient vers le Soudan, «le pays des Noirs et de l’or», en convoyant à dos de chameaux le sel qu’ils troquaient contre l’or, «à raison d’une mesure de sel pour une mesure de métal précieux» (P.23).
Tant que les peuples africains vivaient de l’échange équitable de leurs produits, l’égalité et la paix régnaient. Mais la colonisation va tout bouleverser avec la naissance des premiers empires coloniaux portugais et espagnols grâce à leurs découvertes des voies maritimes reliant l’Europe à l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. Les comptoirs portugais ont été installés jusqu’en Chine, où Macao a été un territoire colonial portugais jusqu’en 1999 tout comme l’île de Hong Kong occupée par le Royaume-Uni en 1841 et qui sera restituée à la Chine en 1997.
Avec le partage impérialiste du monde conclu à la fin de la Première Guerre mondiale, les armées coloniales feront main basse sur les mines d’or, les matières premières et les ressources naturelles. Les peuples qui se sont libérés de cette occupation après des luttes et des guerres sanglantes redessinent aujourd’hui les nouvelles routes du sel.

La Transsaharienne ou la nouvelle route du sel
La route transsaharienne, qui relie l’Afrique du Nord à l’Afrique de l'Ouest, d’Alger à Lagos, appelée aussi «route de l’Unité africaine» longue de 9 400 kilomètres, regroupant six pays (Algérie, Tunisie, Mali, Niger, Nigeria et Tchad) est achevée à 90%. Ce corridor commercial transafricain, soutenu par l’Algérie et l’Union africaine, va servir à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) qui vise une intégration économique d’un continent de plus de 1,3 milliard d’habitants.
La route transsaharienne appelée aussi «route du sel» est un ancien projet lancé en 1970 par l’Algérie sous Houari Boumediene, mais qui est tombé dans l’oubli avant d’être déterré. Elle permettra de désenclaver plus de 400 millions d’Africains en facilitant les échanges commerciaux et l’intégration économique des six pays africains adhérant à ce méga-projet.
Selon le ministre algérien des Travaux publics et des Infrastructures de base, Lakhdar Rekhroukh, l'État algérien attache une grande importance à «ce projet considéré comme l'un des plus structurants du continent que l’Union africaine a adoptés».
Comme l’ont fait leurs ancêtres qui parcouraient «la route du sel» et «la route de l’or», les Africains veulent aujourd’hui faire revivre les échanges directs entre eux, sans passer par les capitales européennes.
Après les indépendances politiques, le continent doit achever son indépendance économique, sans laquelle il ne peut mener une politique souveraine. Mais cette politique souverainiste ne passe-t-elle pas aussi par des échanges effectués dans les monnaies locales des pays africains en se délestant de celles de leurs anciens occupants (franc CFA, euro, dollar, livre sterling) ou encore en adoptant une monnaie africaine commune comme projetait de le faire le Président Maâmar El Guedafi, assassiné par les anciens et nouveaux colonisateurs, pour l’en empêcher ?
Cette question ne peut être évacuée car elle conditionne la réussite des projets de politique commune africaine. La dé-dollarisation en cours par les pays du groupe Brics qui prépare une nouvelle monnaie d’échange international à la place du dollar, devrait servir d’exemple aux pays africains.
Pour contourner les sanctions occidentales imposées à la Russie, victime d’une guerre de l’OTAN par Ukraine interposée, les pays du Brics ont dû recourir au paiement dans leurs monnaies respectives et même parfois en faisant appel au troc.

De la Transsaharienne à «la route de la soie»
Cette infrastructure continentale permettra de stabiliser les populations, notamment par la création d’emplois, le soutien à l’agriculture, à l’industrialisation. Ce qui permettra de faire reculer la faim, la pauvreté, de combattre les réseaux de terrorisme et de migrations clandestines, dont se servent les réseaux mafieux et criminels organisés en Afrique et au niveau international, pour tirer profit de la détresse d’êtres humains laissés sur «les routes de la mort». La nouvelle «route du sel» sera, au contraire, celle de la vie et de la renaissance.
La Transsaharienne, grâce à un tronçon autoroutier, est reliée au nouveau port de Cherchell, Hamdania (en cours de réalisation) qui est connecté à «la route de la soie» et figure parmi les projets inscrits sur «la nouvelle route de la soie» ou «la Ceinture et la Route» que la Chine a lancé en 2013 et auquel l’Algérie a adhéré en 2018. Cette infrastructure, véritable pôle de développement intercontinental, va booster l’économie algérienne et celle de tout le continent et surtout désenclaver les zones sahélo-sahariennes dépourvues d’accès maritime.
La connectivité avec «la route de la soie» devrait se réaliser par la liaison de la Méditerranée avec le golfe de Guinée, ce qui favorisera les échanges sino-africains, car les produits chinois pourront atteindre plus facilement les terres africaines et sahéliennes, ce qui va engendrer une accélération des échanges commerciaux directs entre la première puissance asiatique et l’Afrique, sans avoir besoin de passer par l’Europe. Le port de Cherchell, El Hamdania (financé sur fonds publics et par un prêt chinois de l’EximBank) sera la porte d’entrée pour la Chine vers l’Afrique et la Méditerranée.
«La route de la soie» qui a existé en Chine depuis l’Antiquité était empruntée par les caravaniers chinois pour aller vendre de la soie à travers des réseaux d’échanges commerciaux reliant la Chine à la Méditerranée, au Moyen-Orient. Mais elle est tombée en déclin et abandonnée à partir du 15e siècle après les grandes découvertes dans le transport maritime. Elle a été réhabilitée par l’actuel Président Xi Jinping, en 2013, dans un programme visant à créer une nouvelle génération de comptoirs transnationaux. Ce projet stratégique pour Pékin vise à relier économiquement la Chine aux autres continents par un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires.
En Algérie, outre le port de Cherchell (Hamdania) financé et réalisé en partenariat avec les entreprises chinoises, la coopération économique et le partenariat stratégique s'accélèrent à travers la réalisation de plusieurs autres projets de portée tout aussi stratégique pour l'économie nationale. Il en est ainsi de l’exploitation de Ghar Djebilet (Tindouf), la plus grande mine de fer dans le monde.
La Chine s'est montrée disposée à se lancer dans des projets d'investissement stratégiques de grande envergure, dont le projet de voie ferrée Ghar Djebilet-Béchar et le projet de voie ferrée pour le transport de phosphate. C'est le Président chinois, Xi Jinping, qui l'a affirmé lors de ses entretiens avec le Président Abdelmadjid Tebboune, qui ont porté sur d’autres dossiers économiques stratégiques, comme le projet d'extension du port d'Annaba, ou celui de la réalisation par la Chine de l'une des plus grandes usines de batteries au lithium en Algérie.

Tebboune et Xi «partagent le sel»
«Il y a 65 ans, la Chine et l'Algérie avaient été unies par la cause commune de l'opposition à l'impérialisme et au colonialisme et de la recherche de l'indépendance et de la libération nationales. Depuis lors, les deux pays se sont entraidés contre vents et marées et se sont mutuellement compris et soutenus. Ils sont de vrais amis et des partenaires naturels dans la recherche d'un développement commun et du renouveau national», a déclaré le Président chinois Xi Jinping au Président algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors de son importante visite d'État en Chine.
«La Chine travaillera avec l'Algérie pour faire avancer l'amitié de longue date et s'efforcera de réaliser des progrès plus importants dans le partenariat stratégique global Chine-Algérie», et les deux pays «doivent travailler ensemble sur la mise en œuvre des documents importants concernant «la Ceinture et la Route» et d'autres domaines «afin de nourrir de nouveaux moteurs de croissance de la coopération», a dit Xi.
Pour Tebboune : «La Chine était l'ami et le partenaire le plus important de l'Algérie» à qui elle a apporté «un soutien précieux sous diverses formes au fil des ans». Et d’ajouter que «l'Algérie soutenait fermement la position de la Chine sur les questions liées à ses intérêts fondamentaux, telles que Taïwan et le Xinjiang». Il a exprimé la volonté de l'Algérie de prendre une part active à la coopération dans le cadre de «la Ceinture et la Route» et d'approfondir le partenariat stratégique global entre l'Algérie et la Chine, ce qui donnera un coup de fouet au développement économique et social de l'Algérie.
Alger et Pékin ont signé, décembre dernier, le plan exécutif pour la concrétisation conjointe de l'initiative «la Ceinture et la Route» et le Plan triennal 2022-2024 devant booster la coopération économique et d'importance stratégique pour le développement des deux pays.
Pour Tebboune, «la route de la soie», lancée par la Chine en 2013 et à laquelle l'Algérie a adhéré en 2018, a permis de développer davantage les relations entre les deux pays, tout en préservant «l’intérêt mutuel et le développement de la coopération constructive entre les Nations et les peuples dans le cadre d’un système mondial utile et équitable et en faveur de la paix et la sécurité mondiales, loin de l’hégémonie d’un système mondial à l’essence et aux dimensions étranges».
Xi Jinping «a partagé le sel et le pain» avec son invité d’honneur à Pékin. Ce qui, selon les croyances populaires, constitue une sorte de pacte d’honneur aux relations d’amitié et de fraternité entre les deux présidents et les peuples chinois et algérien. Cette fraternité s’est d’ailleurs forgée dans les luttes communes à travers l’histoire.
La route sera encore longue pour les futures victoires sur le chemin de la construction du nouveau monde multipolaire auquel s’attellent plusieurs pays du groupe Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), auquel veulent adhérer plus d’une trentaine de pays, — dont l’Algérie —, qui s’impose comme alternative à l’hégémonie mondiale occidentale qui a fait son temps.
H. A.



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