Le projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre les crimes d'enlèvement prévoit, dans le cas d'enlèvement d'enfants, deux (2) peines : la réclusion criminelle à perpétuité et la mort.Lors de la présentation de ce projet de loi devant la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés de l'Assemblée Populaire Nationale et la commission des affaires juridiques, administratives, des droits de l'homme, de l'organisation locale, de l'aménagement du territoire et du découpage territorial du Conseil de la Nation, des membres de ces deux (2) commissions se sont interrogés sur l'éventualité de l'exécution de la peine de mort.
Dans sa réponse, le ministre de la justice a affirmé qu'il n'y a aucun empêchement, ni au niveau national, ni au niveau international d'appliquer la peine de mort(1), tout en précisant : « jusqu'à ce jour, l'Algérie n'a signé et n'a ratifié aucun accord ou convention ou traité internationaux interdisant le recours à la peine capitale, qu'il s'agisse de législation ou d'exécution (2)».
Devant les membres du Conseil de la Nation, le ministre de la justice a déclaré que : « si les pouvoirs publics décident de réactiver l'application de la peine de mort, rien dans le droit national ou international n'empêche le maintien de la peine de mort(3) », en ajoutant : « ce qui est sûr, est que l'Algérie est un Etat qui jouit d'une souveraineté absolue en matière de législation et de mise en place de tout ce qui à même de préserver l'ordre public, même s'il s'agit d appliquer la peine capitale(4) ».
Ainsi, un semblant de débat sur la peine de mort a été amorcé au niveau de l'APN et du Conseil de la Nation, avec la participation active et remarquée du ministre de la justice.
Or, le ministre de la justice aurait du s'en tenir au projet de loi, en affirmant et en réaffirmant que la peine prévue par le projet de loi est la réclusion criminelle à perpétuité ainsi que la peine de mort, sans entrer dans le débat de l'exécution ou non de cette peine.
En effet, il n'appartient nullement au ministre de la justice de décider ou non de l'exécution de la peine de mort.
Cette attribution ne relève pas de son domaine de compétence. C'est une prérogative dévolue au seul Président de la République, conformément aux dispositions des articles 91/7 et 175 de la Constitution.
Le ministre de la justice, homme politique, n'a et ne peut avoir aucun pouvoir d'imposition de l'exécution de la peine de mort.
En Algérie, le pouvoir judiciaire est indépendant, s'exerce dans le cadre de la loi, la justice est rendue par les magistrats et le juge n'obéit qu'à la loi, conformément aux dispositions des articles 156, 164 et 165 de la Constitution.
Par ailleurs, l'Algérie a institué en Septembre 1993 un moratoire sur l'exécution de la peine de mort. Il faut se remémorer la décennie noire ou rouge. Le sang des algériennes et des algériens a beaucoup coulé durant cette période où a sévi un terrorisme barbare et sanguinaire, d'une cruauté inouïe.
Des hommes qui ont commis des crimes atroces et révoltants à l'encontre de paisibles citoyens ont été condamnés à la peine de mort. Mais, l'exécution n'a pas eu lieu et à ce jour. Et, ces condamnés sont toujours détenus, sous le régime des condamnés à la peine de mort, dans certains établissements pénitentiaires.
De telles personnes s'engageaient dans une course effrénée pour tuer des femmes enceintes et les éventer, ensuite.
Pourquoi, le motif est une fetwa qui affirmait que la femme décédée sera jugée selon sa conviction de croyante ou non, et le f?tus ira directement au Paradis du fait qu'il ne va pas vivre dans un Etat impie. De tels monstres condamnés à la peine de mort sont toujours détenus. Et, il n'appartient pas au ministre de la justice de décider de l'exécution de cette peine de mort.
En outre et concernant l'enlèvement d'enfant suivi d'assassinat ou d'actes de cruauté, et au cas où l'auteur parvient à rejoindre un pays européen, la demande d'extradition ne sera acceptée que si notre pays s'engage à ne pas prononcer la peine de mort.
Par ailleurs, l'Algérie a toujours voté pour l'adoption des résolutions de l'assemblée générale des Nations Unies relatives au moratoire sur l'application de la peine de mort, notamment les résolutions du 18/12/2007, du 18/12/2008, du 21/12/2010, du20/12/2012, du 18/12/2014, du 17/12/2016, 17/12/2018 et du 17/11/2020.
Il est à relever que lors des discussions sur le projet de résolution relatif au moratoire sur l'application de la peine de mort par la troisième commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, un amendement a été mis au vote et adopté pour réaffirmer : « le droit souverain de tous les Etats d'élaborer leur propre système juridique, et notamment de déterminer les peines appropriées, conformément aux obligations que leur impose le droit international ».
Lesdites résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui n'ont pas de valeur contraignante, mais disposent d'un fort impact au plan de l'éthique et de la morale, demandent aux Etats :
• de limiter progressivement l'application de la peine de mort et de ne pas l'imposer aux personnes de moins de 18 ans, ni aux femmes enceintes ;
• de réduire le nombre d'infractions punissables de la peine de mort ;
• d'instituer un moratoire sur les exécutions en vue d'abolir la peine de mort.
Au plan international, l'abolition de la peine de mort a fait l'objet du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté et proclamé par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 44/128 du 15/12/1989.
Ce protocole a été ratifié ou a fait l'objet d'adhésion par 88 Etats, dont deux (2) Etats arabes, en l'occurrence Djibouti (adhésion le 05/11/2002) et l'Etat de Palestine (adhésion le 18/03/2019).
S'agissant du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23/03/1976, et auquel sont parties 173 Etats dont l'Algérie (adhésion le 12/09/1989), il traite de la peine de mort dans son article 6.55Article 6 du PIDCP:
1. le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.
2. Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte ni avec la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Cette peine ce peut être appliquée qu' en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent.
Dans ce cadre, il est utile de s'imprégner de l'observation générale du Comité des droits de l'homme du 30 juillet 1982 sur cet article 6. Cette observation générale indique : « s'il ressort des paragraphes 2 à 6 de l'article 6 que les Etats parties ne sont pas tenus d'abolir totalement la peine capitale, ils doivent en limiter l'application et, en particulier l'abolir pout tout ce qui n'entre pas dans la catégorie des crimes les plus graves-, ils devraient donc envisager de revoir leur législation pénale en tenant compte de cette obligation et, dans tous les cas, ils sont tenus de limiter l'application de la peine de mort aux crimes les plus graves »... « Le Comité estime que l'expression les crimes les plus graves- doit être interprétée d'une manière restrictive, comme signifiant que la peine capitale doit être une mesure tout à fait exceptionnelle ».
De ce qui précède, il est à relever ce qui suit :
1. le ministre de la justice a fait un amalgame entre le fait de légiférer en prévoyant la peine de mort pour certains crimes graves, d'une part, et tout Etat est souverain dans le domaine législatif sans, cependant, entrer en contradiction avec les dispositions des traités internationaux ratifiés, qui ont une valeur supérieure à la loi nationale6 ; et d'autre part, la décision d'exécution ou non de cette peine de mort.
2. Le pouvoir de légiférer relève du domaine du Parlement et la décision d'exécution de la condamnation à la peine de mort du Président de la République.
3. L'exécution de la peine de mort ne peut avoir lieu qu'après le rejet du recours en grâce.(7)
4. Deux (2) décrets présidentiels sont soumis au Président de la République. L'un prévoit que « la justice suive son cours », ce qui implique l'exécution de la condamnation à la peine de mort. L'autre décrète que la peine de mort est commuée en une réclusion criminelle à perpétuité.
5. Le ministre de la justice semble ne pas faire la différence entre la position de l'Etat, de l'Algérie sur l'exécution de la peine de mort (moratoire de 1993) au niveau international, dans le concert des nations ; et sa fonction de ministre de la justice, membre du gouvernement, qui présente au Parlement un projet de loi qui légifère entre autres, sur la peine de mort en prévoyant cette peine pour tel crime grave. Cette attribution n'a aucune relation avec l'exécution de la peine de mort.
6. L'Algérie dans la liste des points concernant son quatrième rapport périodique de février 20188 devant le Comité des droits de l'homme a clairement précisé ce qui suit, sur cette question de la peine de mort :
« L'Algérie a fait des progrès significatifs sur la question de la peine de mort à travers la suppression de cette peine dans un nombre important d'infractions dans lesquelles elle était prévue. Elle demeure en vigueur uniquement dans les crimes de sang, de terrorisme et dans les affaires graves liées à la sécurité de l'Etat tel que détaillé lors du rapport.
Le moratoire observé depuis 1993 sur l'application de la peine de mort, est respectée. Concernant le chiffre global des personnes condamnées définitivement à la peine capitale lors de ces dernières années, il est recensé un total de 269 condamnés. En application du moratoire, les peines prononcées à l'encontre de ces personnes vont être commuées en peine perpétuelle ».
7. Dans le rapport national présenté par l'Algérie lors de l'Examen périodique universel9, qui a eu lieu à la 12eme session du Conseil des droits de l'homme tenue le 8 mai 2017 à Genève, il est indiqué que : « L'Algérie observe un moratoire de fait sur l'exécution de la peine de mort depuis Septembre 1993, et a introduit des réformes au code pénal, qui restreignent la peine capitale aux crimes les plus graves.
Des peines privatives de liberté sont se substituer dans le code pénal à la peine de mort pour les infractions de vol avec port d'arme, de trafic illicite de stupéfiants, d'incendie volontaire, de vol aggravé, de contrefaçon de monnaie et de contrebande.
Régulièrement, les délibérés des peines capitales, prononcés de manière définitive sont commuées en réclusion à perpétuité (10)».
8. Lors de cet Examen périodique universel, le Ministre d'Etat, Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale, dans une déclaration introductive, a signalé que l'Algérie continuait à observer un moratoire effectif sur la peine de mort depuis 1993 et avait engagé un processus tendant à restreindre les crimes pour les quels la peine de mort était prévue (11).
9. La peine de mort s'exécute par fusillade(12).
10. Les établissements pénitentiaires où sont détenus les condamnés à la peine de mort sont au nombre de quatre (4) : l'établissement de réadaptation de Berrouaghia/Médéa, l'établissement de réadaptation de Chlef, l'établissement de réadaptation de Tazoult-Lambèze/Batna et l'établissement de réadaptation de Tizi-Ouzou.(13)
11. La peine de mort ne peut être exécutée à l'encontre d'une femme enceinte ou allaitant un enfant âgé de moins de vingt quatre (24) mois ni à l'encontre d'un condamné gravement malade ou devenu dément.(14)
12. Le mineur de 13 à 18 ans ne peut être condamné à la peine de mort ou de la réclusion criminelle à perpétuité15.
En conclusion, le ministre de la justice, sur cette question de l'exécution de la peine de mort, s'est immiscé dans une prérogative dévolue par la Constitution au seul Président de la République.
De même, le pouvoir législatif autrement dit le Parlement (Assemblée Populaire Nationale et Conseil de la Nation) élabore et vote la loi souverainement, notamment les règles générales de droit pénal et de procédure pénale, particulièrement la détermination des crimes et délits et l'institution des peines correspondantes de toute nature, conformément aux dispositions de l'article 140/7 de la Constitution.
Et, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le pouvoir législatif ne peut nullement s'immiscer dans les prérogatives dévolues au Président de la République, le chef du pouvoir exécutif, notamment le droit de grâce (article 91/7 de la Constitution).
Cette prise de parole du ministre de la justice sur l'exécution de la peine de mort va devoir être gérée par le ministère des affaires étrangères dans les réunions régionales et internationales dédiées aux droits de l'homme, notamment lors de l'Examen périodique universel prochain et devant les organes des traités.
*Ex-magistrat militaire
Notes
1 Dépêche de l'APS du 12/11/2020.
2 Idem.
3 Dépêche de l'APS du 25/11/2020.
4-Idem.
3-Lorsque la privation de la vie constitue le crime de génocide, il est entendu qu'aucune disposition du présent article n'autori se un Etat partie au présent Pacte à dé roger d'aucune manière à une obligation quelconque assumée en vertu des dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
4-Tout condamné à mort a le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine. L'amnistie, la grâce ou la commutation de la peine de mort peuvent dans tous les cas être accordées.
5-Une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut exécutée contre des femmes enceintes.6. Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l'abolition de la peine capitale par un Etat partie au présent Pacte.
6-En Algérie les dispositions de l'article 150 de la Constitution sont claires et précises : «les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi. »
7-Article 155/1er alinéa de la loi 05-04 du 6 février 2005, modifiée, portant code de l'organisation pénitentiaire et de la réinsertion sociale des détenus.
8-CCPR/c/dza/q/4/Add.1
9-Le mécanisme de l'Examen périodique universel a été institué en 2006 au niveau du Conseil des droits de l'homme. L'EPU
assure une égalité detraitement des 193 Etats membres des Nations Unies et veille à ce que toutes les questions des droits de l'homme soient examinées de manière régulière, tous les 5 ans. Participent à l'EPU les Etats membres des Nations Unies, les organismes des Nations Unies et les autres parties prenantes (les organisations de la société civile, les institutions nationales des droits de l'homme, les défenseurs des droits de l'homme, les institutions universitaires, les médiateurs et les organisationsrégionales). L'EPU dure 3 heures et demie.
10-A/hrc/wg.
6/27/dza/1
11- A/hrc/36/13
12-Loi 64-192 du 3 juillet 1964 concernant l'exécution de la peine capitale.
13- Arrêté du 23 février 1972 fixant la liste des établissements où sont transférés les condamnés à mort.
14- Article 155/2ème alinéa de la loi 05-04 du 6 février 2005, modifiée, portant code de l'organisation pénitentiaire et de la réinsertion sociale des détenus.
15- Article 50/1er et 2ème alinéas de l'ordonnance 66-156 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant code pénal.
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Posté Le : 03/12/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Zerrouk Ahmed
Source : www.lequotidien-oran.com