Après Two lines en 2008, le jeune cinéaste turc Selim Evci revient avec un autre drame social, Sakli (Secret), projeté lundi soir à la salle du théâtre régional Azzedine Medjoubi de Annaba à la faveur du premier Festival de Annaba du film arabe.C'est l'histoire d'une famille d'Istanbul. Famille ordinaire. Ali (Setar Tanriogen), le père, qui parle sans arrêt lors des repas, veille sur ses deux filles.Elles sont libres de leurs mouvements, peuvent sortir avec des amis, fréquenter l'université. «Mais tu sais les règles qu'il faut suivre», dit la mère (Sehnaz Bolen) à Duru (Turku Turan), la fille aînée. Cette étudiante, quelque peu rebelle, se lie d'amitié avec Mahir (Ilhan Sesen), un musicien célèbre, père de sa meilleure copine (Pelin Akil).L'homme, à l'automne de sa vie, veut donner un sens à son existence puisqu'il se rend compte qu'une main tremble et que la maîtrise de l'instrument va devenir de plus en plus compliquée.Il panique mais se contrôle. Duru est un soleil d'hiver pour lui.Elle réchauffe ses vieux os, le rassure et ressuscite l'espoir en lui. Le vieux musicien croit à la fin de l'ennui et aux longues nuits de solitude passées à côté de la cheminée. Le père de Duru entretient une relation avec une jeune chrétienne et pense qu'avoir un rapport sexuel avec une non-musulmane ne relève pas de l'adultère. Une manière de ne pas culpabiliser. Ce même père, gardien de la morale, fait des contrôles périodiques de virginité à ses deux filles.Elles sont donc tenues de se soumettre à cette mesure, perçue par le père comme un moyen de protéger ses filles et de se protéger lui. La gynécologue lui conseille de cesser de contrôler ses filles, de leur faire confiance.La mère sent que son mari la trompe, se met en colère, mais pas assez pour mettre son foyer en danger. Son mari lui demande de ne pas déconstruire ce qui a été bâti durement au fil des années.Elle ne dit rien. Duru, qui paraît comme une rebelle, n'a pas la force de remettre tout en cause et d'affronter l'étouffante autorité parentale. La Turquie post-kémaliste, celle qui aurait tordu le cou aux pratiques archaïques et qui aurait ouvert grandes les fenêtres de la modernité, est ainsi critiquée par Selim Evci dans un film intimiste, qui a la tare d'être parfois trop bavard avec de longs dialogues. Le film Sakli est marqué par des lenteurs qui expriment le désarroi des personnages.Tourné en grande partie en intérieur, le film explore les hésitations et les peurs de personnes acceptant leur situation, n'ayant aucune volonté de bousculer l'ordre moral et conservateur. Un ordre qui prend forme d'abord au sein de la famille. Selim Evci s'est dit étonné de découvrir qu'en Algérie, les gens pensent que la Turquie est un pays moderne, ouvert, tel que véhiculé par les drama-télé ou les spots publicitaires.«Ce que j'ai montré dans le film n'est qu'une image du réel. Je n'ai pas de messages à transmettre, je traite ce que je vois dans la vie de tous les jours. Mon film est un miroir qui reflète ce qui existe au sein de la société. Les traditions sont dures dans certaines régions de la Turquie.A Istanbul, par exemple, 1000 opérations sont faites par jour pour recoudre l'hymen et rétablir la virginité», a déclaré Selim Evci, lors de la conférence de presse qui a suivi la projection.La thématique de la virginité n'a servi visiblement que de prétexte pour le cinéaste pour explorer d'autres chemins, d'autres champs, d'autres valeurs. «Quel est le sens d'être un père aujourd'hui en Turquie ' D'être une mère ' D'être une femme ' Une jeune fille '», s'est-il interrogé.Qu'en est-il de Ali, un père moralisateur qui n'a lui-même aucune morale. «C'est un menteur, un bon comédien, tout simplement ! Il est petit dictateur avec sa famille. Tous les bons dictateurs sont de bons joueurs et de bons menteurs», a-t-il affirmé. Dans Sakli, les discussions les plus intenses se déroulent autour de la table du dîner.Au moins sept scènes ont été consacrées à ce cérémonial. «Le dîner est un moment important de la rencontre des membres de la famille», a expliqué le cinéaste, relevant que Sakli est un genre de film qui peut ne pas intéresser le grand public. Selim Evci, qui semble marcher sur son aîné Nuri Bilge Ceylan, veut que le cinéma aide à poser des questions, à dévoiler des vérités, à refléter le réel sans le copier et provoquer le débat.
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Posté Le : 09/12/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : www.elwatan.com