La situation politique en Egypte peut inquiéter les téléspectateurs. Les médias étrangers, et même égyptiens, ont tendance aussi à présenter un scénario chaotique de ce qui s'y passe.
Le Caire (Egypte)
De notre envoyé spécial
En réalité, la situation est loin d'être apocalyptique. Au Caire, la vie suit son cours. Mais ce qui est certain, le sentiment d'insécurité perturbe les esprits. La baisse du niveau de fréquentation par les touristes du pays inquiète également énormément dans la mesure où de milliers d'emplois dépendent de l'activité touristique. Des opérateurs égyptiens avancent une baisse graduelle de 50% de l'activité du tourisme depuis le déclenchement de la révolution qui a fait chuter Hosni Moubarak. «Ethhawra», terme souvent répété par les Egyptiens, «a fait perdre plus de 60% de recettes aux travailleurs du tourisme», affirme Mustapha, un guide travaillant sur le site des Pyramides.
Dans la rue, les gens discutent et échangent leurs idées sur la chose politique. La «totale» liberté d'expression est en fait le plus grand acquis du changement de régime. A «Maydan Tahrir», qui a été le point de jonction de tous les acteurs demandant le départ de Moubarak, la place est occupée aujourd'hui par des activistes de différentes tendances qui exigent la démission de Mohamed Morsi, le président égyptien. Par groupe de dizaines et vivant sous des tentes depuis 4 mois, pour eux «les Frères musulmans sont responsables de la situation catastrophique dans le pays». «Ils veulent mener notre nation vers la chaos. Ils veulent déclencher une guerre civile qui leur permettra d'accaparer tous les postes de commandement de l'Etat, et surtout le secteur de la finance», estime Magdi, 55 ans, artisan et dessinateur sur papyrus, qui nous déclare être le représentant des comités populaires de «Maydan Tahrir».
Oui à la démocratie, mais non à l'insécurité
Sur cette place du centre-ville, située en face du Musée national, les automobilistes sont interdits d'accès, car bloqués par des individus hostiles au président Morsi. Aucun policier n'ose s'interférer, de peur d'un début d'émeutes. «Ma fich houkouma ya bacha, (il n'y pas de gouvernement Monsieur)», tonne Amr, un chauffeur de taxi, qui nous indique qu'il est également policier. «El ikhwan (les Frères musulmans) veulent transformer le pays en théocratie, alors que cela n'a jamais existé en Egypte. Comment veulent-il gouverner avec la charia, alors que les Egyptiens n'en veulent pas», affirme-t-il.
Cet avis est partagé par une bonne partie de la rue cairote, même si dans les quartiers populaires les Frères fidélisent leur électorat. Il n'est pas rare de lire sur les murs de la ville des slogans insultant Morsi et les cadres des Frères musulmans. Actuellement, le souci pour les Egyptiens reste le renforcement de la sécurité des biens et des personnes et le retour de la force de l'Etat, ainsi que la consolidation du pouvoir d'achat. «Beaucoup d'Egyptiens sont aujourd'hui contraints de travailler deux fois plus ou de trouver un emploi au noir pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille», indique Abderrahmane, fonctionnaire dans un organisme économique étranger.
Sur les ponts reliant les deux parties du Caire, les eaux du Nil coulent pour les Egyptiens vers l'incertain, mais l'espoir d'une transition réussie subsiste. «Je pense que dans toute transition, les gouvernements nouveaux et les populations subissent des coups durs, notamment les franges faibles de la société», observe Abderrahmane. Il estime que «la démission immédiate de Morsi ne résoudra pas les problèmes». Il préfère «la participation de toute la classe politique, quelle que soit la tendance, pour faire sortir l'Egypte de l'impasse».
Les accidents d'origine criminelle préoccupent quotidiennement les Egyptiens, comme en témoignent les flammes qui ont ravagé «El Moul Talhat», un centre commercial et culturel situé en plein de c'ur de la ville. Le nom de Chater, un membre influent de la Confrérie, revient souvent lorsque la discussion est abordée avec des cairotes. Pour eux, c'est lui le chef suprême de la Confrérie, et non pas Mohamed Badie, le mourchid. S'agissant des accusations mettant en cause les résidus de l'ancien régime (el fouloul), elles ont leur part de vérité.
Sentiments anti-confrérie
Dans les cafés, les restaurants et les jardins, il semble qu'une sorte d'allergie se soit développée dès que le mot «ikhwan» est prononcé. Un sentiment «anti-Confrérie» s'est développé, vu la dégradation de la situation socioéconomique. En revanche, tout le monde reconnaît leur capacité d'organisation, et il devient utile de rappeler que la Confrérie existe depuis plus de 80 ans et qu'elle a su d'adapter à toutes les conjonctures politiques et a pu se relever malgré la répression sous Nasser, Sadate et Moubarek. Mélissa Rahmouni réside au Caire. Elle est étudiante en relations internationales. Elle est aujourd'hui rédactrice adjointe d'ArabsThink.com, site d'analyse politique sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Rencontrée au quartier huppé de Zamalek, elle nous délivre d'autres impressions. Elle estime que «la transition actuelle en Egypte se caractérise par l'incertitude et la complexité des nouveaux ajustements dans le système de pouvoirs».
Pour elle, «chercher à dépeindre de façon lisse et simpliste un segment historique fait de multiples rebondissements n'apporte aucune substance à une meilleure compréhension de la situation.» En contemplant le Nil de la terrasse d'un café situé au sixième étage d'une bâtisse, Melissa Rahmouni analyse d'une manière lucide et constate «qu'en dépit de la mauvaise gestion par les Frères musulmans, l'opposition égyptienne dispose de bases populaires trop fragiles et peine à former une alternative crédible.»
Elle indique que «les réflexions superficielles réduisant la séquence actuelle très riche à l'hiver islamiste omettent la crise profonde des forces de police, les relations compliquées entre la Confrérie des Frères musulmans et l'armée, la marge de man'uvre du judiciaire et ses récentes décisions visant à rappeler l'importance du respect des procédures et qui de fait viennent compliquer les projets du gouvernement.» Notre interlocutrice observe d'autre part qu'«un processus de fragilisation de l'Etat est en cours et se traduit par de faibles capacités des institutions à gérer la situation, à travers la perte de contrôle sur la rue.»
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Posté Le : 24/03/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mehdi Bsikri
Source : www.elwatan.com