Algérie

DE LA DETTE PUBLIQUE AMERICAINE AU REFORMATAGE DES ACCORDS DE BRETTON-WOODS Le grain de sable grec



Par Mourad Goumiri, maître de conférences m.goumiri@live.fr
Tout le monde en convient… La crise financière internationale, qui se propage, de nos jours, continue de sévir en plusieurs séquences et sous de multiples apparences (bancaires, budgétaires, financières, boursières), préoccupant les experts, les décideurs des principales places économiques et financières, ainsi que, bien sûr, les marchés financiers(1). Le niveau de la dette publique américaine, actuellement surdéterminé politiquement( 2), a atteint le plafond autorisé de quelque 14 300 milliards de $ US, pour une population de 310 millions d'habitants, à comparer avec la dette publique européenne (27 pays) de 12 900 milliards de $ US, pour une population de 500 millions d'habitants.
Le niveau plafond de l'endettement public américain a été relevé 74 fois, au cours des cinquante dernières années, sans soulever une pareille tempête politique. Cependant, c'est la première fois que cette dette publique augmente plus vite que la richesse produite par les USA (elle représente 102 % du PIB), ce qui les place, sur le plan du principe, dans la même position que des pays comme la Grèce, l'Irlande, Chypre, le Portugal, à un premier niveau, et que l'Espagne, l'Italie et la France dans un second. La «crise de la dette grecque», sur le principe, est similaire à celle américaine, en termes de résorption des déficits publics mais les enjeux cachés induits, que personne ne veut aborder frontalement, sont beaucoup plus graves puisqu'ils impliquent deux monnaies supranationales, que sont l'euro pour la Grèce et le dollar pour les USA, avec pour ce dernier, en prime, des effets dévastateurs sur toute l'économie mondiale. La similitude, à l'évidence, réside dans le fait que, dans tous les cas, il s'agit du problème de la répartition sociale(3), acceptable par les contribuables, des déficits publics et de leur résorption à terme. En outre, cette réduction doit être crédible, au regard des marchés financiers, par la mise en œuvre de mesures concrètes d'augmentation des recettes fiscales et de coupes substantielles dans les dépenses publiques, à court terme. Or, une dégradation du risque pays (dette souveraine), décidée par les agences de notation financière(4), entraîne automatiquement un renchérissement du coût des emprunts (envolée des taux d'intérêts débiteurs, du coût des assurances(5) et des commissions) ce qui, à son tour, va augmenter substantiellement le poids du service de la dette (capital et intérêts). Cette logique financière implacable, imposée par les marchés financiers et donc par le couple FMI-Bird, a ruiné plusieurs pays en développement, lorsqu'ils se sont mis en situation de défaut de paiement (dont l'Algérie en 1994) et qu'ils ont été contraints de signer des accords dits «plan d'ajustement structurel» (PAS). Leur retour à l'équilibre, voire à la stabilisation, s'est réalisé, dans tous les cas, par un coût social exorbitant, brisant pour certain d'entre eux durablement leur paix sociale et politique et causant des dégâts sociétaux irréparables. Il se trouve qu'aujourd'hui, cette même logique est appliquée aux pays industrialisés eux-mêmes, induisant des mouvements sociaux massifs et l'émergence politique des «démondialistes», alors qu'ils nous l'avaient imposée, pendant de longues années, sans se soucier des conséquences catastrophiques directes et indirectes sur les économies des pays du tiers-monde. Doit-on nous réjouir du fait que les pays industrialisés sont, à leur tour, victimes de leur propre logique financière ' Les mouvements sociaux (parfois très violents) et la montée en puissance des mouvements populistes et des altermondialistes, dans les pays de l'OCDE, nous renseignent sur la mutation qualitative, en cours, du capitalisme au niveau mondial. Reste à trouver un chemin vertueux et contrôlé, de cette mutation en gestation, pour éviter de sombrer dans une crise économique mondiale majeure et dévastatrice(6) pour les pays les plus vulnérables, à l'instar de celle des années 30, qui a débouché sur la Seconde Guerre mondiale, faut-il le rappeler ! Mais les enjeux cachés et inavoués, pour des raisons politiques, sont de nature structurelle, c'est-à-dire qu'il faut revenir aux accords de Bretton-Woods de 1944 (et même remonter à la conférence de Gênes de 1922) ou du moins ce qu'il en reste(7), pour comprendre la situation actuelle. Le rôle et la place du dollar US dans l'économie internationale se posent avec acuité dans sa fonction de monnaie de transactions internationales et notamment pour les hydrocarbures, pour les opérations financières et boursières où il domine la plupart des marchés et enfin dans celle que lui confère le statut de monnaie de réserves. Cette position devient préoccupante pour tous les investisseurs potentiels (et notamment la Chine qui détient plus de 1 200 milliards de $ US de T-bons du Trésor américain) dans la mesure où une dépréciation du dollar entraînerait des pertes énormes pour leurs détenteurs(8). Quelles monnaies peuvent jouer, aujourd'hui, le rôle du dollar US comme monnaie de transactions, dans un premier temps, et de réserves dans un second ' Le DTS peut-il devenir monnaie internationale et remplacer le dollar US à moyen et long terme ' L'euro est-il prêt à assumer ce rôle, en ce moment crucial où il est attaqué à travers certains pays(17) signataires des accords de Maastricht, dont la gestion des déficits publics est catastrophique et qui n'auraient jamais dû être admis, dans la zone euro, si les critères d'éligibilité avaient été appliqués dans toute leur rigueur ' Un retour à l'étalon- or (le gold standard des années 20) est-il envisageable ' La tentation au retour à l'étalon or plongerait l'économie mondiale dans une récession épouvantable par ses effets déflationnistes et creusera encore plus l'écart entre pays riches et ceux pauvres. Le système de l'étalon-or (gold exchange standard) peut-il survivre avec une monnaie qui est à la fois nationale et internationale, plus convertible en or(9) et qui exporte tous ses déséquilibres à l'économie mondiale qui, entre-temps, s'est de plus en plus mondialisée, c'est-à-dire qu'elle est devenue plus vulnérable à la propagation des effets négatifs des économies entre elles ' La démondialisation (ou le retour aux protectionnismes) peutelle être une solution durable à cette crise de transition qualitative du système capitaliste( 10), sachant que, par le passé, cette politique a coûté à l'humanité deux guerres mondiales ' A l'évidence, nous nous dirigeons vers une solution intermédiaire qui prendra en ligne de compte les intérêts et les équilibres fragiles, nouveaux, induits par l'entrée en scène des BRIC(11) sur le marché mondial et qui entendent bien peser sur lui, de tout leur poids, pour défendre la part de marché qu'ils considèrent comme légitime. Cette solution gravite autour de deux positions radicales et d'une médiane. Les positions radicales consistent à maintenir, coûte que coûte, le dollar US comme monnaie de transaction et de réserves (avec une dévaluation de sa parité à négocier) ou de le remplacer par une monnaie internationale supranationale comme le DTS(12) redéfini. Entre ces deux positions radicales, le système monétaire international (SMI) pourrait s'acheminer, en attendant une nouvelle crise systémique majeure, vers une coexistence conflictuelle (équilibre instable) de trois zones monétaires qui structurent l'économie mondiale actuelle (la zone dollar US, la zone euro et la zone yen-yuan), autour desquelles graviteront des sous-zones monétaires (ce sont les pays qui calent leur monnaie sur l'une des trois monnaies pivots). Chacune de ces zones monétaires prétend voir sa monnaie jouer le rôle de monnaie internationale à terme, au même titre que le dollar US, ou en remplacement de ce dernier, en même temps que leurs espaces économiques et financiers montent en puissance. Tous les ingrédients d'une véritable guerre économique et financière sont réunis et les attaques répétées et féroces des marchés financiers (dont les places financières sont dominées par les USA et le Royaume-Uni) contre l'euro (concurrent direct du dollar US), à travers des opérations spéculatives contre des pays signataires(13) des accords de Maastricht, ne sont pas innocentes politiquement parlant. Si l'Union européenne se donnait les moyens politiques de sortie de cette crise, par la création d'instruments monétaires et financiers de gouvernance, parachevant, ainsi, les accords de Maastricht (un Fonds monétaire européen, l'émission d'euro-obligations, l'introduction de la règle d'or budgétaire, une fiscalité européenne unifiée…) alors la zone euro sortira de la crise financière qu'elle traverse car l'euro(14) comme monnaie commune se porte bien et il se présente comme un concurrent crédible, visà- vis du dollar et, partant, des marchés internationaux des changes et de réserves. Le DTS, pour l'instant actif de réserve international, va continuer de consolider sa place dans le SMI en mutation, puisqu'il joue déjà le rôle d'unité de compte international, au sein du FMI(15). Il est donc à prévoir que son poids relatif va se consolider durant cette confrontation monétaire internationale, par marchés financiers interposés. A titre d'exemple, en septembre 2009, une allocation d'un montant de 204 milliards de DTS (soit 321 milliards de $ US) ainsi que la vente d'une partie de ses réserves en or (1/6), sont venues renforcer les fonds propres du FMI(16) et donc de ses capacités d'intervention, pour venir en aide aux pays membres, en proie à des crises financières majeures (c'est le cas de l'Islande, l'Irlande, du Portugal et de la Grèce pour l'instant). Enfin, les investisseurs potentiels (notamment la Chine et les pétromonarchies du Golfe) souhaitent tous acquérir des DTS, dans le cadre d'une politique de diversification de leur portefeuille, ce qui replace le FMI et le DTS au cœur du SMI et en fait une partie prenante du dispositif de lutte contre les crises financières internationales(17). S'il ne faut rien attendre de spectaculaire du G-20 de Cannes, en matières de décisions cruciales pour la restructuration du SMI, la «mini-tempête politique» grecque que certains n'hésitent pas à qualifier de «chantage» mérite une minute d'attention puisqu'elle pose, de nouveau, le problème de la répartition sociale interne de la dette publique grecque (350 milliards d'euros) et, partant, de l'effort de solidarité des pays membres de l'UE. Le référendum proposé par le Premier ministre grec est l'expression déguisée du refus des accords de Bruxelles(18), imposés par le couple franco-allemand. En effet, envisager la sortie de la Grèce de la zone euro (selon le résultat du référendum) entraînera immédiatement un processus de «contamination» de
la part des marchés financiers qui vont spéculer sur la dette souveraine de l'Italie (4 500 milliards d'euros) et le France, ce qui signifie l'implosion de la zone euro et certainement à terme l'UE. Accepter le maintien de la Grèce en renégociant sa dette (effacer par exemple 200 ou 300 milliards d'euros) pose le problème du financement de cet effort et des opinions publiques européennes qui rechignent à payer les «égarements de gestion » des politiques grecques. En jouant son poste de Premier ministre, M. Papandréou tente d'alléger le fardeau de la dette de son pays… c'est digne de la tragédie grecque ancestrale ! On dirait chez nous, il leur a mis «un caillou dans la chaussure». Aucun pays européen n'ayant intérêt à voir cette magnifique et longue construction européenne s'effondrer par la faute d'un grain de sable, venu des plages helléniques, il va de soi qu'un compromis(19) devra être trouvé, dans les prochaines heures, pour sauver tout l'édifice… Il est écrit dans l'histoire européenne qu'elle ne se construit que sur des crises majeures. Pour ce qui concerne le reste, il semble se dessiner une restructuration du SMI dans les prochains mois, restructuration qui ne pourra voir le jour que dans la mesure où cette crise financière majeure continue à émettre ses effets négatifs sur l'économie mondiale, aussi paradoxal que cela puisse paraître !
M. G.
(1) Il faut remarquer, à cet endroit, la dépersonnalisation du mot «marché», cette «main invisible» chère à l'école classique et néoclassique, qui s'apparente plus à une entité dématérialisée, voire à une divinité, gardienne de l'orthodoxie économique et qui se manifeste comme rédemptrice de l'économie mondialisée.
(2) Le plafond d'endettement autorisé par le Congrès américain actuellement à majorité démocrates (la Chambre des représentants est à majorité républicaine avec 242 sièges sur un total de 435) est de 14 294 milliards de $ US. Cette barre est largement entamée et les dates fatidiques du 2 août (paiements de dépenses courantes) et du 4 août 2011 (arrivée à maturité de 87 milliards de $ d'obligations) auraient pu faire basculer le Trésor américain dans une situation de défaut de paiement. Tout dépassement de cette barre fatidique nécessite un vote par une majorité qualifiée des deux Chambres. Or, pour les débats des élections présidentielles de 2012, cette question est capitale pour les futurs candidats.
(3) Deux idéologies contradictoires s'affrontent pour résorber les déficits publics aux USA. Du côté démocrates, il faut augmenter les impôts des plus riches, pour les républicains, il est nécessaire de diminuer substantiellement la dépense publique et notamment les programmes de l'aide sociale (santé et éducation).
(4) Il s'agit essentiellement des agences internationales de notation Standard & Poor's, Moody's et Fitch, qui ont le quasi-monopole du marché mondial de la profession et qui ont accordé la meilleure note (AAA), depuis plusieurs années 20, aux USA, ce qui leur permet d'emprunter sur les marchés financiers internationaux à des taux d'intérêts très avantageux. Il ne faut pas perdre de vue que les institutions financières internationales, pour mobiliser des prêts avantageux, sont obligées, à leur tour, de proposer aux investisseurs des produits financiers émis par des emprunteurs notés triple A. C'est donc une chaîne d'instruments financiers qui «s'auto-protège», les uns les autres, via des agences de notation interposées qui donnent des signes forts aux marchés financiers internationaux, dans une logique implacable où tous défauts des uns se répercutent sur les autres et réciproquement.
(5) Ce sont les CDS (Credit Default Swap) qui garantissent les placements des investisseurs contre un défaut de remboursement d'un emprunteur.
(6) Il n'est pas inintéressant de faire le lien de la crise économique et financière internationale et la famine dans les pays de la Corne de l'Afrique actuellement, vu la volatilité des prix des produits alimentaires.
(7) En 1971, le président Nixon avait déconnecté le dollar de l'or, inaugurant une période de flottements généralisés des principales monnaies. Cette période a été le point de départ d'une prise de conscience européenne de la fragilité du dollar US (création de l'écu et du DTS comme actif de réserve internationale par les accords de la Jamaïque). En conséquence de quoi, toutes les devises fortes, de cette période, ont été réappréciées et le dollar US dévalué.
(8) Les pétromonarchies du Golfe sont entièrement dépendantes du dollar US compte tenu des montants faramineux qu'elles détiennent en réserves, ce qui éclaire, d'un jour nouveau, les relations qu'elles entretiennent avec les USA.
(9) De tout temps, la fragilité du dollar, comme monnaie refuge ou de réserve, a entraîné automatiquement une flambée des cours de l'or. Ce dernier a pulvérisé tous les records, puisque l'once d'or a atteint actuellement les 1 900 $ US.
(10) Ce mouvement politique, qui s'étend en Occident se garde bien d'afficher des thèses protectionnistes mais, en réalité, il propose d'interdire les délocalisations et prône la préférence à la production nationale, ce qui revient au même.
(11) Il s'agit du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine.
(12) Le droit de tirage spécial (DTS) n'est pas une monnaie à proprement parler mais un actif de réserve international, créé en 1969 par le FMI pour, disait-on, pallier «l'insuffisance de liquidité mondiale ». Il est défini à 0,888 gramme d'or fin. Un panier de quatre monnaies le détermine le $, la £, l'euro, le yen avec une pondération à septembre 2010 de : 41,9 % pour le dollar, 37,4 % pour l'euro, 11,3 % pour la £ et 9,4 pour le yen. En janvier 2011, 1 DTS équivalait à 1,564 $ US.
(13) Le péché originel est d'avoir accepté l'entrée de pays dans la zone euro, alors qu'ils n'étaient visiblement pas éligibles puisque ne satisfaisant pas aux conditions prévues par les accords. Seule une surdétermination politique a prévalu à leur entrée. Pire encore, la Grèce s'est fait maquiller, voire falsifier ses comptes publics, par la banque Goldman-Sach, choisie comme évaluatrice, de manière à lui permettre de rejoindre la zone euro.
(14) L'euro, à sa création, a été fixé à 1,17 dollar US et il caracole aujourd'hui solidement à 1,34, après une période de fluctuations de cinq ans. Dès lors, on ne peut pas affirmer que l'euro est en danger, ce qui n'est pas le cas de certains pays de la zone euro.
(15) Cette institution est entièrement contrôlée par les USA avec un nombre de pouvoirs de vote de quelque 19 %, ce qui lui permet de bloquer toutes résolutions, au Conseil des gouverneurs, qui vont à l'encontre de ses intérêts stratégiques. Le directeur général uniquement est chargé de mettre en œuvre les décisions du Conseil.
(16) Il faut noter l'implication directe du FMI dans les accords de soutien aux pays européens en difficulté comme la Grèce et l'Irlande.
(17) Il est impératif que les pays à excédents de réserves s'impliquent dans le processus de règlement de la crise financière mondiale et notamment les BRIC.
(18) Les accords prévoient l'effacement de 100 milliards d'euros de dette entièrement pris en charge par les banques et un étalement du reste sur vingt ans avec versement de tranches d'aides des budgets européens et du FMI. En contrepartie, la Grèce devra mettre en œuvre un programme drastique de coupes budgétaires en même temps qu'une augmentation substantielle des recettes par une fiscalité vorace, jusqu'en 2020.
(19) Une renégociation à terme de la dette grecque (100 autres milliards d'euros) contre un référendum qui consoliderait la zone euro (d'où le problème de la question posée) semble se dessiner.


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