Algérie - Agriculture traditionnelle

DE LA CULTURE ET DU DEVELOPPEMENT DANS LA WILAYA DE BECHAR EN GENERAL ET A KENADSA EN PARTICULIER



Si l'on considère que les religions constituent "la Philosophie" ou les philosophies des peuples et par voie de conséquence une partie importante de leurs cultures, on constatera qu'en ce qui concerne les trois religions monothéistes (Judaïsme, Christianisme et Islam) la plus part des prophètes de ces religions ont vécu dans le désert, lieu de méditation et de prière "par excellence" où les incommensurables vastitudes rappellent à l'homme sa dérisoire vanité et l'inanité de son orgueil. Les poètes arabes post et antéislamiques à nos jours ont tous chanté différemment le désert depuis Imru El Kaïs (le roi errant) en passant par l'incontournable Elmoutanabbi qui a cru voir en sa Muse quelques grâces prophétiques. Ceci pour dire que le désert a toujours fasciné et façonné les hommes, les Arabes en particulier que l'on dit à bon escient être "un peuple de poètes". Chaque tribu avait son chantre ffàhl-ô^ ) quand elle ne comptait pas plusieurs et ce jusqu'à nos jours d'ailleurs. Malheureusement, de par les vicissitudes de la vie, les bonnes habitudes culturelles se perdirent se réduisant en une portion congrue et ce, aussi bien pour la culture écrite qu'orale. Aussi en notre région, fragment de désert, la culture est malade. On éprouve quelque gêne, voire une certaine pudicité à évoquer la culture (anthropologique s'entend) en dehors de quelques cercles restreints. Ceci, aussi bien à Béchar, chef-lieu de wilaya que pour le reste de la région où la situation est encore pire, voire désespérée. Lorsqu'il y a un désintéressement quasi-total de la part des citoyens pour la culture, il y a matière à questionnement. Lorsqu'on sait par ailleurs que l'élément culturel est en quelque sorte consubstantiel à la vie en société, le phénomène paraît on ne plus insolite et demande à être élucidé. Il est vrai qu'à qui manque le principal, il serait incongru de lui parler de l'accessoire. De nos jours, parler à quelqu'un de la culture, c'est un peu le provoquer pour ne pas dire l'agresser. Dans le meilleur des cas il vous rira au nez, car, malgré la malvie les gens gardent un certain penchant pour l'humour (plutôt noir). Tout simplement la chose "culturelle" est loin de figurer parmi les cadets de leurs soucis. (Je suis heureux de constater que cela n'est pas le cas pour les initiateurs "des échos de Kénadsa" sinon ce bulletin n'aurait pas existé). En effet, l'adage populaire ne dit-il pas "qu'à qui se plaint à vous de sa stérilité (biologique) vous n'allez pas lui demander comment vont ses enfants ?". Une autre anecdote fait intervenir un roi qui interpelle un mendient en haillons et lui dit : "ô toi le va-nu-pieds, de quoi as-tu besoin (pour être heureux) ?". Le mendient répond : "D'une bague Messire !". La culture, une nécessité vitale ailleurs, parait ici un luxe, un besoin superfétatoire. Il n'est pas de notre intention de nous étaler sur l'arriération chronique dans laquelle vivent les populations de la région. La paupérisation (parfois la misère crasse) visible et lisible sur les gens et sur leur environnement, est trop évidente pour être ignorée et parait en contradiction avec le fait culturel valorisant et synonyme de progrès. Il y a, comme ça, certains endroits, nombreux en Saoura que jamais, pieds de responsables n'ont foulés. Des endroits où des gens au XXIème siècle vivent encore comme aux temps bibliques quand ce n'est pas en période antédiluvienne ! A "oued lahrour" notamment. Ceci au temps de l'Internet et de la conquête des étoiles, des voyages intersidéraux et au moment même où nous recevons en couleur les images de la "Planète Rouge" (Mars).
Il se trouve que l'épanouissement de la culture est étroitement lié au développement. Aussi devrions-nous croire notre premier ministre, Mr. Ahmed OUYAHIA quand il affirme avec véhémence : "La culture, Mesdames et Messieurs, n'est pas seulement ce joyau sur la couronne du développement, une espèce de luxe que l'on se permet quand on peut se le permettre. La culture est le moteur du développement...". (Discours prononcé le 29 décembre dernier à l'occasion des assises sur le patrimoine culturel : le Moudjahid du 30/12/03). Comme c'est bien dit. Magnifique ! N'est-ce pas ? Il semble qu'en cette contrée, le développement a toujours manqué justement de "ce moteur" qui est la culture ! Les responsables passent et se ressemblent comme les saisons. 0 combien il aurait été souhaitable qu'ils ressemblassent plutôt au printemps qu'à l'hiver.Région saharienne, la wilaya vit un double désert : le premier est évidemment physique c'est- à-dire son milieu naturel : "essahra Ce milieu, les gens du Sud le connaissent et font avec depuis toujours, comme avant eux, leurs pères et leurs aïeux. D'ailleurs ils ne demandent à personne d'en faire un tell édénique. A l'impossible nul n'est tenu. Mais personne n'est d'accord pour le laisser en l'état, c'est-à-dire pour ce qu'il est : "un enfer supportable" (l'expression est empruntée à un ancien wali).
Donc, il n'est pas dit qu'il est impossible d'agir sur Dame Nature, quand bien même elle s'avère peu clémente, de lui apporter des correctifs nécessaires, de la soumettre à des transformations positives au profit de l'homme. Force est de constater que cela a été réussi ailleurs, par d'autres hommes, sous d'autres cieux et dans des conditions géographiques et climatiques similaires (au Texas et ailleurs). Ceci quand est présent le sens du devoir et de l'obligation de résultats ! Ne nous a-t-on pas fait rêver avec les promesses d'antan que la plaine d'AbadIa, grâce au barrage de DjorfTorba (360 millions de m3 de retenue en plein désert) allait être la Californie de l'Algérie ? Et qu'à ce tire elle allait couvrir en fruits et légumes tout le Sud Ouest, voire une portion du nord du pays et même une partie des pays limitrophes. Ceci, sans oublier les effets bénéfiques d'un certain microclimat ayant pour corollaire l'essor d'un tourisme de détente au bord de ce lac mirifique constitué en amont par le barrage. Nous y avions cru, niais que nous étions ! Fatigués de croire, nous avons cessé de rêver. C'est gravissime. Cependant tout espoir n'est pas mort.
L'autre désert dans lequel nous vivons est sûrement culturel : c'est-à-dire une absence structurée de nourritures de l'esprit (à ne pas confondre avec les pratiques rituelles qui rattachent l'individu à son Créateur, ni même d'avec la culture encensée à l'eau de rosés et parsemée d'épines, avec laquelle nous arrosent les satellites de nos voisins européens du nord et les chaînes TV de"nos frères" de l'Est (Moyen-Orient). Pas de librairies dans le vrai sens du mot (à ne pas confondre avec les marchands de papier et de stylos) donc pas de livres, pas de théâtre, pas de cinéma, celui-ci fait partie des souvenirs surannés des générations des années quarante et cinquante, pas de conservatoire (la danse académique ? c'est quoi ?), pas de loisirs, enfin pas de tout....Un désertification programmée du désert. Si la vie était due à la seule culture, il y a longtemps qu'elle (la vie) aurait disparue de cette aire géographique du monde pour laisser place à une hécatombe. Pour rester toujours dans la métaphore, il faut rappeler que dans le désert (autrement dit "le vide"), il y a toujours quelques îlots de verdure qui sont sources de vie, qu'on appelle les oasis. Kénadsa, modeste oasis a été aussi et toujours un de ces îlots de culture. Malgré toutes les insuffisances avérées, ses intellectuels et ses jeunes n'ont ménagé aucun effort pour, mutatis mutandis perpétuer cette tradition.
Malheureusement, la culture n'est rien sans un développement socio-économique conséquent. Par son passé d'avant la colonisation, Kénadsa vivait de la production de ses jardins verdoyants où coulait une eau limpide et pure venant des nombreuses sources jaillissant parfois d'à même le sol au pied de la Barga (eddir ou bat-el-barga). Ces sources abondantes par le passé portent encore de nos jours les noms éponymes de personnalités historiques de la ville : Aïn-Sidi- Mbarek, Aïn-Cheikh etc. Ces sources et les puits d'appoint permettaient une agriculture maraîchère suffisante, à l'ombre de vigoureux palmiers qui inspirèrent à la fin du 19^° siècle à Isabelle Eberhardt, son livre célèbre "Dans l'ombre chaude de l'Islam". Les Kénadsiens cultivaient en autosuffisance aussi des céréales sur les berges du Guir, principalement à Meski. Cependant Kénadsa ne vivait pas que de son agriculture. Les kandoussis pratiquaient avec beaucoup de savoir-faire le commerce caravanier et l'artisanat. La ville comptait aussi un quartier juif prospère, "le mellah", où l'art de l'orfèvrerie était l'une des principales activités. On y confectionnait les plus beaux bijoux d'or et d'argent de la région avec une rare habileté.
Mais toute cette prospérité passée n'aurait pas existé sans le prestige et le rayonnement spirituel de la zaouïa ziania fondée il y a environ deux siècles et demi par Sidi M'hamed Ben Bouziane. Outre le pouvoir spirituel qu'elle exerçait sur l'ensemble de la région grâce à ses nombreuses ramifications qui s'étalaient très loin dans les profondeurs du Maroc et dans le sud et l'ouest septentrional de l'Algérie, la zaouïa de Kénadsa constituait un important centre culturel où des étudiants venaient de très loin pour acquérir le savoir dispensait par les éminents cheikhs kénadsiens. Cependant, Kénadsa n'a jamais été marocaine contrairement à certaines prétentions ou allégations, mais a existé comme une sorte de principauté indépendante dirigée par le Cheikh de la zaouïa (cl. "La zaouïa ziania" par Abdarrahmane MOUSSAOUI). Centre d'attraction spirituel, culturel et économique, la ville se trouve aussi par sa situation géographique sur l'axe de l'ancienne route de l'or qui allait de la prospère contrée que fut Sijilmassa vers l'empire du Mali (Soudan).
Grâce à ses industrieux artisans, Kénadsa avait toujours produit en quantités suffisantes pour ces besoins, de pierre de taille, la glaise industrielle, de la chaux et du gypse pour le bâtiment, du kaolin pour sa poterie et ses ustensiles de cuisine, ses jarres à eau et les amphores pour conserver l'huile, le beurre, les graisses, les khabiate (grands vases d'argile) qu'on enterrait pour la conservation des dattes, du blé et autres céréales. D'autres objets utiles étaient faits de fibres de palmiers... Par ailleurs, dans chaque maison était dressé un métier à tisser où se confectionnés couvertures de laine, tapis, burnous et autres vêtements de luxe : les fines djellabas immaculées de soie et/ou de laine et les izars ^voiles d'apparat pour hommes). Il n'était pas rare d'observer un tailleur en action devant son échoppe aidé de son apprenti manipulant un berchmane (fils que l'apprenti manipule en les croisant pendant que le maître tailleur coud), ou un forgeron donnant forme à une charrue, un fusil, une faucille ou tout autre outil...
Kénadsa a continué à prospérer grâce à la découverte de la houille. Cependant, les mineurs algériens ont payé un lourd tribut à cette prospérité minière qui a profité beaucoup plus à la puissance coloniale qu'aux mineurs de fond. En effet, ces derniers ignorant les conséquences néfastes de la poussière du charbon ne se protégeaient pas suffisamment ou pas du tout de l'inhalation des particules de silice. Ces particules envahissaient leurs poumons petit à petit jusqu'à les obstruer, les transformant en une matière fibreuse meurtrière : c'est la silicose. Une Maladie incurable. Le malade commence à respirer très difficilement, à étouffer, puis il finit par cracher du sang et des morceaux de ses poumons jusqu'à une mort inéluctable dans des douleurs atroces. Ces mines de charbon n'ont pas fait que des victimes de la silicose. Les terrils laissés par ces exploitations continuent de polluer l'environnement. Outre qu'ils salissent la nature et enlaidissent le paysage, des générations de gens continuent d'inhaler leurs nuisibles poussières chaque fois que le vent se lève. La moindre formule envisagée par les pouvoirs publics pour maîtriser ces remblais coûterait des sommes faramineuses. Sur ce chapitre, l'ex-puissance coloniale à l'origine de cette catastrophe écologique devrait contribuer financièrement et matériellement à éradiquer ce fléau.
Aujourd'hui le mode de vie a littéralement changé. Dans notre wilaya, les gens se nourrissent "grâce au pneu", expression triviale s'il en est, consacrée ici, pour dire que tout vient du Nord par camions, donc "sur des pneus". Le pneu est l'ami intime de tout le monde, le bienfaiteur
nourricier. Une manière de dire surtout que la région ne produit quasiment rien à part une quantité très négligeable de légumes et fruits, cultures de subsistance à l'ombre d'héroïques palmiers en lutte perpétuelle contre le bayoud, ce cancer qui ravage et menace de disparition ces merveilleux
phoenix qui ont inspiré et séduit tant de poètes, assuré la survie de générations de ksouriens et de nomades. De quel développement pour la région parle-t-on ? Au moment où il est question ailleurs de "développement durable" notion on ne peut plus ésotérique qui vient juste de franchir la
Méditerranée et que nous reprenons au vol en bons perroquets bien dressés.
Jamais un vrai développement pour la région n'a été sérieusement pensé. Beaucoup de petites et moyennes industries créatrices de richesse et d'emplois permanents auraient pu voir le jour. Le manque d'eau pour les usines et les débouchés pour les produits sont des arguments
fallacieux qui ne tiennent pas la route. Beaucoup de fabriques n'ont pas besoins d'eau et le manque de débouchés reste à prouver par des études scientifiques. Le moins que l'on puisse dire est que les carrières de plâtre, de chaux, de kaolin existent à ciel ouvert et ne demandent qu'à être exploiter.
D'autres industries de fabrication ou de transformation peuvent être envisagées. Mais on s'est toujours contenter d'expédients et de pis-aller, saupoudrage de dépenses budgétaires inefficaces. A croire que les responsables qui se sont succédés ici considéraient leurs postes comme un passage obligé et un pied dans l'étrier pour d'autres sommets.
La culture ? Quelle culture ? Celle du folklore au rabais oui. Ou bien la culture au rabais du folklore ! El Hadj Moussa et Moussa El Hadj.
En fait quelques individualités pleines de bonnes volontés et mêmes des talents sûrs n'ont pas manqué. N'ont jamais manqué également des promesses en quantité, des rêves, des chimères, beaucoup de mensonges et d'espoir déçus. Par contre, ce qui a toujours fait défaut ce sont les éléments moteurs de la culture : "les hommes de la culture" et pas spécialement "des hommes de culture", ainsi que les institutions qui créent, qui cadrent, les structures qui catalysent, suscitent, révèlent les prédispositions, les qualités, les dons, les compétences, et pourquoi pas le génie. La création, l'efflorescence des talents sont les fruits de viviers savamment entretenus par justement ces différents spécialistes de la culture : cadres découvreurs, rassembleurs, synthétiseurs d'énergies et de synergies. Ceux-là même qui font que l'élite ne prenne pas le chemin de l'exil mais qu'elle puisse "s'éclater" à domicile.
C'est énoncer une lapalissade que de dire qu'il n'existe pas de peuple sans culture. Quand celle-ci n'est pas patente elle existe toujours à l'état latent. La preuve est que sporadiquement quelques initiatives se manifestent ça et là. Cas isolés qui sont leurs propres vecteurs. Ils émergent
spontanément du néant, parfois arrivent à prendre de l'envol et même à planer pour un temps. Puis,l'illusion se dissipe. Plus dure est la chute. Victimes de miroirs aux alouettes, ils vont s'empêtrer dans les rets d'une bureaucratie madrée, rompue aux ruses les plus subtiles. Quand ils prennent conscience du piège c'est trop tard. Ils se débattent en vain. Leur paraissent alors le caractère dérisoire de leurs gesticulations, l'incongruité de leur situation. Fatigués, exténués, ils abandonnent la partie. Projetés dans les profondeurs abyssales de l'oubli, ils disparaissent ainsi. Par phagocytose. Sans autre forme de procès.
C'est ainsi que des valeurs sûres, aigries et vaincues, contraintes ou/et forcées, fuguèrent la scène culturelle. Parfois hélas ! le pays.
Mais qu'est-ce que la culture ? Il faudrait peut être d'entendre tout de suite sur cette notion.Sans s'engouffrer dans le périlleux labyrinthe des thèses d'écoles, nous pouvons dire qu'au sens universellement admis, la culture englobe l'ensemble des connaissances acquises par l'homme grâce à son intelligence, son esprit créatif et son habileté. Il s'agit en général des savoirs et techniques (toutes les inventions), des créations et des pratiques artistiques diverses : littéraires, dramatiques, chorégraphiques, lyriques, cinématographiques, musicales, arts plastiques etc. Bien sûr, pour s'épanouir et surtout se pérenniser, cette culture a besoin d'une bonne politique et des structures adéquates en plus des moyens humains et matériels. Du fait des rapports osmotiques qui existent entre elles, il serait plus judicieux de distinguer et non de séparer les notions d'instruction et de culture. Tout homme instruit n'est pas forcément cultivé. Par contre quelqu'un qui jouit d'une solide culture ne peut être qu'instruit. L'instruction implique l'école. Celle-ci est qualifiée parfois,métaphoriquement "d'ascenseur social" quand elle joue bien son rôle. Or, l'école est qualifiée chez nous de "sinistrée". Est-ce un ascenseur en panne ? Toujours est-il que cette noble institution est théoriquement pour beaucoup dans la formation de la culture moderne. Cette dernière serait-elle donc moins sinistrée que sa matrice basique ? Il est clair qu'il y a forcément une relation de cause à effet dans cette équation syllogistique. Le sinistre serait-il moins apparent pour la culture ? Ce n'est pas évident. Nos enfants (universitaires !) ne savent pas lire et donc ne lisent pas. Ils font des fautes en parlant et encore plus en écrivant. Ils ne sont pas cultivés parce que pour se cultiver il faut lire. La boucle est bouclée. Nous sommes en plein dans la quadrature du cercle.
Nous sommes montrés du doigt, interpellés par les instances internationales en charge de ce domaine. Une organisation onusienne (UNICEF) vient de nous reprocher tout récemment notre fort taux d'analphabétisme alors que nous avons les moyens de réduire sûrement "ce fléau" à défaut de l'éradiquer. Sinistrées ou gravement atteintes, l'école et la culture doivent faire l'objet d'un sérieux débat national. Celui-ci n'a été qu'esquissé. Il est urgent de trouver les solutions et de prendre les mesures qui s'imposent. Qu'attendons-nous pour s'attaquer à ce statu quo de "non qualité" et de médiocrité récurrentes ? Il n'y va pas seulement de l'avenir de nos enfants mais de notre existence en tant que nation. Cela n'a pas été assez répété. Des commissions d'experts ont été constituées pour réformer certains secteurs jugés vitaux : pour l'Education Nationale, il y eut la commission dite "BENZAGHOU", la "Commission ISSAAD" pour la réforme de la Justice, "la commission SBIH" pour la réforme de l'Administration. Quand verrons-nous les résultats concrets des travaux de ces commissions ?
Cette digression nécessaire sur l'état de la culture en général en notre pays, a le mérite de démontrer s'il en est besoin, qu'en la matière Béchar est logée à la même enseigne que beaucoup de d'autres villes et villages du pays. C'est-à-dire mal logée. A titre d'exemple : un jeune algérien en dehors des grands centres, doit-il grandir, vieillir et mourir sans avoir vue de sa vie et de ses propres yeux une vraie pièce de théâtre autrement que sur son petit écran ? Au début des années soixante Kénadsa avait un embryon de troupe théâtrale d'amateurs qui fonctionnait et avait même un certain succès. Oublié tout cela !
Pour s'impliquer dans de la culture, il peut ne pas s'agir nécessairement et obligatoirement de moyens énormes et lourds pour la créer et la gérer, mais disposer du cadre adéquat, de l'intelligence, de l'esprit d'initiative et surtout de la volonté. De cette dernière surgissent parfois les décisions qui font des miracles. "Le sinistre" en question n'est pas cette fatidique et insurmontable malédiction que les plus pessimistes veulent bien nous faire accroire.
Des soirées dites "culturelles" ont été organisées pendant ce dernier mois de ramadan à Béchar et à Kénadsa. Sur le plan socioculturel, ce fut une mini révolution copemicienne : une série de conférences ont été données par des enseignants universitaires et autres cadres bénévoles. Ces conférenciers se sont montrés disponibles et conviviaux pour transmettre leur savoir et en débattre avec l'assistance et ce, sur des sujets aussi importants que variés, voire d'actualité tels la Mondialisation, l'OMC, le Patriarcat, la Citoyenneté, la Gestion de la Ville, l'Environnement etc..
Nous fûmes donc agréablement surpris et enchantés par de telles manifestations auxquelles nous n'étions pas habitués et qui ont égayé utilement nos nuits ramadanesques. Nous avons applaudi. Il faut dire que Kénadsa, connue pour son rayonnement culturel passé, avait organisé des conférences analogues pendant les précédents ramadans quoiqu'à intervalles irréguliers.
Néanmoins, ces conférences (dont nous formulions l'espoir qu'elles ne constitueraient pas la fin d'un bon commencement), ont prêché à nos yeux, par deux vices rédhibitoires mineurs, non pas intrinsèquement mais en tant que manifestations festives de circonstance :
1 - elles n'ont drainé que très peu de monde : la cause en est apparemment, d'une part, une publicité très insuffisante (ou voulue ?), d'autre part, le désintéressement compréhensible du fait culturel de la part de la population lettrée et aussi l'indifférence des cadres pour qui, ces manifestations sont souvent suspectées (à tort) de médiocrité.
2 - leur caractère occasionnel (ramadan) fait de ces conférences des manifestations éphémères qui durent "ce que durent les rosés "...C'est-à-dire l'espace qui sépare en l'occurrence, la fin des "TaraouW et le "S'hor" et ce, deux ou trois fois par semaine. A ce titre, l'on ne peut considérer ce genre de rassemblements comme étant de la culture pérenne, ni les mettre à l'actif des responsables de la culture au niveau de la wilaya autrement que comme de simples loisirs comblant un vide nocturne "obligé" du mois de ramadan. D'ailleurs dès que les feux éclairant la rampe du mois sacré s'éteignirent, la monotonie a repris ses droits. Aussi, La culture ne peut être une manifestation conjoncturelle ou uniquement un simple objet de loisir que l'on dépoussière une fois par an à l'occasion d'un maoussem religieux, mais bien un travail de tous les jours. Au passage, cela n'enlève rien au mérite des quelques personnes qui se sont investies pour la concrétisation effective de ces manifestations, aux personnes qui y ont participé, animé les débats et où les principaux responsables ont brillé par leurs absences.
Il ne suffit pas d'attribuer lors d'un cérémonial de circonstance devant caméras et correspondants de presse, un prix symbolique payé sur un budget quelconque, à des récipiendaires qui ont investi de leurs savoirs et de leur temps, pour s'amender d'une responsabilité historique, alors que l'on n'est pas venu écouter ces personnes aucune fois. Cette attitude qui ressemble plutôt à un comportement paternaliste ou "obligé", peut être comprise comme du mépris à l'égard des intéressés en particulier et de la culture en général. L'impact peut être le contraire de l'effet recherché.
Il en est de même du populisme mystificateur qui instrumentalise à outrance les groupes folkloriques auxquelles on fait appel, pour assurer l'animation à l'occasion de fêtes nationales et autres événements festifs, mais que l'on range au placard après s'en être servis. L'on peut citer à titre d'exemple le groupe musical dit "El Farda" de Kénadsa auquel il est fait quasiment appel à toutes les manifestations du genre. Ce groupe constitué de jeunes musiciens a fait un travail inestimable de récupération et de sauvegarde d'un patrimoine culturel qui était en voie de disparition certaine. Il faut savoir que la musique d'El Farda constitue un répertoire de musique classique de type "andalou ghamati" chanté sur un mode unique en son genre (propre à la ville de Kénadsa). Aussi, y trouve-t-on les "qaça'ïd' classiques communes à beaucoup de villes du Maghreb où ce type de musique est usité telles que Tiemcen, Alger, Constantine, Fès etc. Et à côté de ce répertoire, il y a les qaça'ïd proprement kénadsiennes d'auteurs du cru. De ces trésors ancestraux, ces jeunes qui ne sont pas des spécialistes en la matière, ont le mérite d'avoir sauvé ce qu'ils ont pu sauvé, mais les "qacidates" perdues à jamais sont évaluées à des centaines. Malgré des problèmes insurmontables notamment financiers, l'association d'El Farda aux dernières nouvelles, n'a jamais reçu d'aide si subventions des services publics. Mais on continue à faire appel à elle à toutes les occasions. Les responsables de l'association peuvent décliner "ses convocations officielles" de se produire. Mais ils opposent à cela une certaine philosophie fort compréhensible : il faut faire connaître ce patrimoine pour le sauver de la disparition et de l'oubli, même si c'est à ce prix. D'ailleurs pendant l'année 2003, ce groupe a représenté dignement et avec beaucoup de succès, notre pays en France à l'occasion de "l'année d'El Djazaïr".
D'autres groupes, d'autres artistes connus, qui ne manquent pas de talent, se considèrent à juste titre comme marginalisés. Il serait injuste de donner des noms quand on ne peut pas les citer tous. Combien d'écrivains, de poètes traînent éternellement leurs manuscrits écornés, découragés par "l'édition à compte d'auteur" à laquelle ils ne peuvent faire face. En ce qui concerne la poésie orale, les chantres du "Malhoun" local disparaissent les uns après les autres telles "des bibliothèques qui brûlent" selon le vieil adage. Qui s'intéresse à recueillir les créations de ces rhapsodes de notre temps ? Ne méritent-ils pas quelques anthologies immortalisant leurs efforts pour s'être "consumer" à nous éclairer et à nous distraire ?
Combien de commissions n'a-t-on pas installées pour s'occuper le la culture et ce, avec tambours et trompettes, dont les membres enthousiastes sur le moment, promettaient monts et merveilles devant les micros. Mais après extinction des feux, toutes les belles paroles prononcées à ces réunions ont pris le chemin fatidique des nécropoles des discours et promesses chimériques.
Les caméras de télévision donnent des illusions, créent beaucoup de fantasmes. Béchar dispose aujourd'hui d'une structure qui a beaucoup de clinquant : une belle Maison de la Culture. Paré de ses plus beaux atours, cet établissement flambant neuf relèvera-t-il le défi que ses nobles missions lui imposent ? L'habit fera-t-il le moine ? Qui vivra verra.


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