Malgré les différentes tentatives d'uniformisation, la culture algérienne reste indubitablement une culture composée de métissages et de façonnages. Elle conserve encore l'essentiel des différents apports successifs qu'elle a connus tout au long des cheminements tortueux de son histoire. Cinq grandes étapes principales se dégagent de ce long processus historique, par définition inachevé.
I Avec les premiers développements de la navigation, l'Algérie subira, comme tout le Maghreb, l'influence phénicienne d'abord, puis latine, durant plus de cinq siècles. La domination de la région par les romains n'a pas laissé que des vestiges historiques. Il faut remonter à cette époque pour comprendre que c'est durant cette première étape que l'Algérie entre dans la temporalité culturelle méditerranéenne, qui reste jusqu'à présent, une dimension prégnante de sa culture.
II A partir du milieu du 7ème siècle, avec la pénétration de l'Islam, l'Algérie connaît ses premiers rapports avec l'aire et la civilisation arabo-islamique. Les apports de cette dernière vont bouleverser la vie sociale et culturelle en réalisant une mutation importante avec la généralisation de la religion islamique et la langue arabe. Grâce au niveau de développement scientifique et philosophique de l'époque, une culture florissante rayonnera sur le bassin méditerranéen sous la férule des grandes dynasties, qui domineront tour à tour l'Afrique du Nord et qui ouvriront l'Algérie aux cultures des contrées les plus lointaines.
III Mais dès le 13ème siècle, avec le déclin de cette civilisation, l'Algérie connaîtra un premier affaissement important de la culture et des arts avec un retour prononcé aux pratiques liées à l'oralité. De nouvelles formes d'expression vont s'organiser autour de la vie sociale en recourant aux idiomes locaux et en vantant les valeurs traditionnelles et tribales. Un premier repli identitaire sur soi, fortement empreint de la nostalgie du passé. Des valeurs que la domination turque confortera largement du fait de son appartenance à l'islam et de sa présence lointaine et détachée qui n'a produit aucun impact notable sur la vie culturelle et sociale en Algérie. C'est d'ailleurs la domination étrangère qui n'a laissé pratiquement pas de traces, ni d'influences apparentes sur la culture algérienne, en dehors de quelques survivances architecturales localisées dans les médina et notamment à la Casbah d'Alger.
IV C'est la domination française, à partir dès 1830, qui va introduire de grands changements sur le plan culturel. Un premier grand choc entre la modernité et les valeurs traditionnelles va bouleverser les habitudes tant culturelles que sociales algériennes. L'usage exclusif de la langue française dans les écoles et l'administration aura des retombées décisives, aussi bien sur les comportements que sur les mentalités. Dès le début du 20ème siècle commence à apparaître une littérature d'expression française, qui relance le débat sur la culture et l'identité algérienne. Mais en 132 années de présence en Algérie, l'occupation française va avoir une influence importante sur d'autres domaines de la vie culturelle algérienne tant en introduisant de nouvelles données et de nouvelles pratiques, qu'en approfondissant et en développant certains aspects de la culture méditerranéenne déjà présente en Algérie depuis des siècles.
V Avec l'indépendance de l'Algérie en 1962, c'est l'engouement pour le retour à l'authenticité culturelle, à l'appartenance à l'aire arabo-musulmane et pour la réhabilitation de la langue arabe comme paradigme linguistique perdu. Un débat ayant pour arrière fond trois grandes oppositions : Tradition/Modernité, Islam/Laïcité ou Orient/Occident. Considérées comme des entités antinomiques, ces oppositions vont secouer le champ culturel algérien et continuent à le secouer encore présentement puisqu'elles charrient des visions du monde et des projets de société antithétiques ou contradictoires. Pourtant à la fin des années soixante, s'affirmera une vision à dominante moderne, qui tentera aborder de manière critique un patrimoine culturel oscillant entre l'orientalisation et la folklorisation. Pour affirmer sa culture de la méditerranéïté, l'Algérie tente à cette période, de réintégrer toutes les dimensions enfouies dans sa mémoire historique : de l'époque grecque à la phase nationale, en passant par la période latine, phénicienne, turque, espagnole et française. La société algérienne oscille jusqu'à présent entre un Occident laïque, dont elle a intégré beaucoup d'éléments et un Orient musulman, auquel la lient la langue arabe et la religion musulmane. Ces deux dimensions culturelles fondamentales que sont la langue et la religion, ont commencé à être problématisés et politisés à partir des années 70. Avec la monté d'un mouvement islamiste, l'Algérie va être confrontée à la question de la religion islamique comme culture, avant de s'ériger en projet de société incontournable. Au nom de cet objectif, l'islamisme politique algérien affirme la primauté de l'application du droit musulman, la Charia, sur le raisonnement et l'imagination et donc le retour à une culture inspirée des préceptes religieux et non pas inspirée de la vie profane. Au nom de ce retour au sacré, les apports de l'Occident sont considérés comme pervers et dépravants. Mais au même moment, la société algérienne se trouve plus que jamais ouverte sur le monde et sur les cultures de l'universalité et de la modernité. Une ouverture qui s'élargit progressivement grâce à des moyens de communication comme les antennes satellitaires et les réseaux Internet, qui se sont largement banalisés. Cette ouverture sur l'universalité reste la meilleure garantie contre l'enfermement politique et le confinement idéologique.
Car de sa pluralité originelle et de ses métissages méditerranéens, la culture algérienne conserve un goût prononcé pour les croisements et les panachages. Résolument multilingue et ouvertement multiculturelle, la société algérienne demeure indéniablement une terre de confluences et d'entrelacs culturels.
LiteratureHistoire d'Algérie, S.Gsell - G.Marçais - G. Yver, Boivin. Editeur, 1929.
Comment l'Afrique du Nord a été arabisée, W. Marçais in annales de la Faculté des lettres de l'université d'Alger 1938.
Langages arabes au présent, Jacques Berque. Edition Gallimard 1980
L'intérieur du Maghreb XV-XIXème siècle, Jacques Berque. Edition Gallimard 1978
Histoire de l'Algérie contemporaine, Ageron Charles Robert, Puf 1979
Pour une critique de la raison islamique, Arkoun Mohamed, Maisonneuve et Larose 1984
Anthropologie de la littérature algérienne 1950-1987, Charles Bonn, livre de poche 1990
Sociologie de l'Algérie, Pierre Bourdieu. Puf 1980
La Personnalité et le devenir arabo-musulman, Djait Hichem. Seuil 1974
Histoire de l'Afrique du Nord , Charles Julien André. Payot 1986
L'Algérie nation et société, Mostefa Lacherah, Sned Alger 1970
Réformisme musulman en Algérie de 1925 a 1940, Merad Ali. Edition Mouton 1964
La fascination de l'islam, Maxime Rodinson, La Découverte 1989
Les sources du nationalisme algérien, Benjamin Stora. L'Harmattan 1989
Jihad, expansion et déclin de l'islamisme, Gilles Keppel. Edition Gallimard 2000
L'Arabisation dans les sciences sociales, Rabeh Sebaa. L'Harmattan, 1996
RevuesMaghreb-Machrek, La documentation française
Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, Aix en Provence
Confluences Méditerranée, L'Harmattan, Paris
Peuples Méditerranéens
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Posté Le : 27/11/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : Rabeh Sebaa (Oran)
Source : www.inst.at