« Qui croit
devoir fermer les yeux sur quelque chose se voit bientôt forcé de les fermer
sur tout. » (J.J .Rousseau)
L'indiscipline en
milieu scolaire et universitaire a pris une ampleur préoccupante, même si nous
faisons abstraction de la violence qui peut en découler et qui s'intègre dans
une violence sociale plus large, multiforme, omniprésente et juridiquement
réprimée. Si elle existe dans différents pays, y compris dans les milieux
(quartiers) défavorisés en Occident, l'indiscipline semble toucher toutes les
structures éducatives des pays du Sud, dont l'Algérie. Qu'entend-on par
indiscipline et comment se manifeste-t-elle ? Quelles sont ses répercussions,
ses causes et les solutions à mettre en Å“uvre afin d'éliminer ou du moins
circonscrire ce type d'écart ? C'est à ces questions que ce texte tente
d'apporter quelques éléments de réponse.
Selon Annie Tschirhart, auteur en sciences de
l'éducation (1), la discipline qui s'inscrit dans l'histoire de l'humanité, en
définissant ce qui permet aux individus de passer de l'état de nature à un état
social, est un ensemble de règles nécessaires à la cohésion de la société. Si
la discipline peut dégager une connotation négative, les auteurs en sciences de
l'éducation sont unanimes à considérer que sans discipline, on ne peut parler
d'éducation. Pour E. Prairat (2), la discipline est «un dispositif et des
règles de conduite en vue de garantir les activités dans un lieu
d'enseignement. La discipline permet, autorise, facilite, rend possible. Elle
permet à l'élève d'entrer dans une culture de la responsabilité, de comprendre
que nos actes sont suivis d'effets et que nous devons apprendre à en répondre.
Etre discipliné, c'est se donner librement des règles de conduite en fonction
de valeurs et d'objectifs à atteindre». Toute manifestation d'indiscipline,
nommée «incident critique» par les spécialistes en sciences humaines,
représente selon une définition (3) «un événement inattendu qui cause un
problème (critique) dans le déroulement d'un cours et qui entraîne une réaction
sur-le-champ. Cet incident peut être lié à un étudiant ou au groupe, et peut
relever de la gestion de classe (règles, routines, comportements) ou de
l'apprentissage.» L‘incident critique ne peut être reconnu qu'a posteriori.
Nous pouvons citer les bavardages et le brouhaha qui en découlent, les
agitations, les turbulences, tels les jets de projectiles, aussi inoffensifs
soient-ils, à l'intérieur ou aux abords des structures éducatives, les retards,
les absences et le manque de soins apportés aux biens publics de la structure
de formation, si nous excluons la dégradation volontaire des biens comme les
équipements, les locaux, le mobilier ou le véhicule de l'enseignant, ces
derniers actes relevant de considérations pénales. Le désintérêt perceptible
pour les études, la contestation injustifiée, l‘insolence, le défi, la
provocation volontaire ou (et) irréfléchie qui se manifeste par exemple par la
sonnerie d'un téléphone portable en salle de cours, en dépit des règles
énoncées, constituent des formes d'indiscipline. Si nous prenons le cas de
l'indiscipline à l'université, il s'avère aujourd'hui impossible de maintenir
le silence absolu durant un cours pendant plus d'une dizaine de minutes.
Pourtant, cela était possible sans difficulté aucune durant la décennie
quatre-vingt, et dans des amphis dont l'effectif pouvait atteindre ou dépasser
largement 400 étudiants. Aujourd'hui, dans le système LMD, les enseignements se
font avec des groupes qui ne dépassent pas la cinquantaine d'étudiants, quand
ces derniers sont tous présents, ce qui est rarement le cas ; en dépit de cela,
l'ordre et le calme nécessaires dans les lieux du savoir se sont effilochés.
Les étudiants
ignorent les divers signes qui indiquent le début d'un cours, alors qu'ils ne
ratent pas de multiplier les signaux pour y mettre un terme, à l'approche de la
fin de la séance. Notons le tumulte perturbant de la part d'étudiants
inoccupés, aux abords des salles, dans les couloirs et les halls, là où il n'y
a ni surveillants ni «pions» et où on exploite l'ambiance anonyme,
contrairement à un lycée où l'élève est connu, donc vite identifié. Dans ce
sens, l'autodiscipline doit-elle s'apprendre à l'université ou bien avant ?
Ajoutons les périodes d'examens où certains se présentent démunis d'une pièce
d'identité, de calculatrice, de stylos et d'autres effets indispensables aux
épreuves ; ajoutons les tentatives de fraude devenues non pas l'exception, mais
presque la règle, où sanctionner l'étudiant fautif exige des formalités
supplémentaires, telle l'élaboration d'un rapport qu'il faut rédiger, remettre
à l'administration, puis attendre la réunion du conseil de discipline pour
statuer. Le déroulement de toute activité passe par une bonne organisation où
chaque paramètre se gère, dont la gestion du temps. L'organisation transite par
l'ordre. Il est donc question d'ordre ; «Une place pour chaque chose et chaque
chose à sa place», dixit un certain Samuel Smiles. Demandant réflexion et
concentration, l'activité éducative accuse les contrecoups d'une
désorganisation due à l'indiscipline. Les pertes de temps occasionnées sont irrécupérables.
D'autre part, si de l'indiscipline à la violence aussi verbale soit-elle, il
n'y a qu'un tout petit pas, évacuons encore une fois ce cas de figure.
Alors pourquoi
nos apprenants sont-ils démotivés, flânent, rêvassent, chahutent, sont subversifs
? Les causes, chacune avec son poids, sont difficiles à hiérarchiser. La
surcharge des classes y est pour une large part. La personnalité de
l'enseignant, si on exclut ses aptitudes pédagogiques et scientifiques, joue
également un rôle. Qu'il soit autoritaire ou permissif plus qu'il n'en faut, le
résultat est négatif quant au bon déroulement d'un cours. Il s'agit donc de
tenir le juste milieu. Le manque de discipline peut également provenir du
volume horaire mal agencé, des méthodes pédagogiques inadéquates ou non
maîtrisées ou encore du contenu des programmes. Par ailleurs, la non
implication ou la permissivité de certains parents dans le suivi régulier de
leurs enfants contribue souvent au relâchement de l'élève ; le cÅ“ur l'emportant
sur la raison, le papa et la maman sont affectivement piégés par leur môme. Et
si des parents ont des difficultés parfois à gérer une famille de quatre
enfants, que dire d'un enseignant dans une classe bondée d'élèves ?
Quant aux raisons de démotivation de l'élève,
nous citerons une mauvaise orientation, un enseignant manquant d'expérience ou
d'assurance, le milieu familial de l'élève… Soulignons également que la
violence de l'environnement, dont celle véhiculée par l'audiovisuel à travers
des films, des vidéos, Internet, est responsable de la fréquente poussée
d'adrénaline chez les jeunes. Un seul exemple : comment la petite tête d'un
enfant peut-elle donner un sens aux cours d'éducation civique, à l'ordre, à la
discipline, aux rangs nécessaires dans la cour de l'école lorsque,
parallèlement, les yeux de cet enfant mémorisent une pagaille due à l'absence
d'une chaîne organisée, pour ne pas dire une chaîne tout court, par des
adultes, dans un bureau de poste ou chez le boulanger du coin ? L‘émiettement
des valeurs dont la dévalorisation sociale de l'enseignant (4), la perte des
repères, la crise socio-économique constituent autant de facteurs
supplémentaires secouant la société et n'épargnant évidemment pas le système
éducatif qui ne vit pas en vase clos. La problématique de l'indiscipline
nécessite donc une approche globale, tout en «décortiquant» les éléments en
interaction.
Il n'est pas
toujours évident de mettre en Å“uvre la solution correspondante à certaines
causes d'indiscipline; un exemple venant à l'esprit est celui de la surcharge
des classes qui ne peut se régler à court terme, ou encore l'interaction du
système éducatif avec un environnement éprouvé et éprouvant. Il apparaît aussi
que ce n'est pas le contenu d'un règlement disciplinaire qui provoque les
conflits, mais plutôt son application ; celle-ci devant être rigoureuse,
effective, dépourvue d'excès, applicable et acceptée par tous et pour tous, à
condition d'opérer une sensibilisation permanente par une large information.
Fixées et admises dans l'esprit de chacun, les règles du jeu contribueront
certainement à éviter nombre de malentendus et prévenir des situations
conflictuelles. Soulignons aussi que l'école n‘est pas une garderie où l'on se
débarrasse de sa progéniture. Sans la franche collaboration des parents, le
personnel éducatif est incapable d'assumer toutes les défaillances. Inutile de
chercher un bouc émissaire : l'éducation de l'enfant s'enracine dans la cellule
familiale pour se poursuivre ensuite au niveau éducatif et social. Victor Hugo
disait : «L'éducation, c'est la famille qui la donne ; l'instruction, c'est
l'État qui la doit.» De même, la discipline est une question familiale,
scolaire et publique.
Concernant le système éducatif, il revient à
ses responsables d'approfondir les réformes, en se penchant sur l'agencement du
volume horaire, les méthodes pédagogiques, le contenu des programmes et surtout
la formation des formateurs. En outre, l'obtention d'un diplôme ne suffit pas
pour exercer une activité donnée. La gestion de la salle de cours nécessite des
compétences scientifiques, didactiques, communicationnelles et relationnelles,
à maintenir, à nourrir et à réactualiser en permanence dans le cadre d'une
formation continue, multiforme, encouragée et sanctionnée par des évaluations.
Dans ce sens, sur le lien «pédagogie» de son site (4), Ahmed Bensaâda signale
qu'au Québec « le corps enseignant dispose, annuellement, de 18 journées dites
pédagogiques pour les rencontres entre les collègues ou la participation à des
formations et des colloques». Quel est alors le nombre de ces journées
pédagogiques en Algérie ? Existent-elles d'abord, sinon pourquoi ? Pour
diverses organisations dans le monde, la formation permanente n'est pas un
slogan creux mais un leitmotiv, une devise sacrée.
Pour conclure, sommes-nous prêts à effectuer
des réformes en profondeur ? Attitude réfractaire des apprenants,
l'indiscipline, qui est inconciliable avec l'éducation, représente un signal
que nous pouvons considérer comme positif, dans la mesure où il interpelle les
pouvoirs publics, les intellectuels, les chercheurs, la famille éducative et la
société dans son ensemble, pour d'inéluctables changements. Car l'éducation
sculpte la citoyenneté. Eliminer, sinon circonscrire les conflits, en tenant
compte de tous les paramètres, fera que l'apprentissage et l'enseignement ne
soient pas une corvée mais un plaisir, comme l'indique si bien l'étymologie du
mot école qui vient du latin schola, et signifie «loisir consacré à l'étude».
* Département de
Physique (Université d'Oran)
Quelques
références :
1.
AnnieTschirhart, Quand l'Etat discipline l'école, Editions l'Harmattan 2005.
2. Quelques
documents didactiques d'Eirick Prairat sont disponibles sur Internet.
3.
http://www.unites.uqam.ca/pcpes/pdf/incidentsAIPU04.pdf
4.
http://www.ahmedbensaada.com/
5.
http://www.gptlesplon.be/adultes/sortir.htm
6.
http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article2935
7.
http://pedagogieuniversitaire.wordpress.com/2009/05/19/la-discipline-a-luniversite/
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Posté Le : 06/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Rachid Brahmi *
Source : www.lequotidien-oran.com