Algérie

De l'impudence de l'exubérance à l'arrogance de l'ignorance



De : Rabeh Sebaa
Arcatures sociologiques
"L'insignifiance est un mode de pensée, de perception et d'action particulier à l'?uvre dans une société." (Cornelius Castoriadis)
Ces faussaires de moralité. Des énergumènes qui ignorent tout de ce que peut bien représenter la symbolique de l'acte de croire. Et de toutes les symboliques d'ailleurs. Ces propagateurs endurcis sont les révélateurs caractéristiques d'une société qui souffre d'un dramatique déficit éthique.
La fulmination psalmodiante est de retour. Foi contre foi. Passéistes et rédempteurs se tirent furieusement dans les pattes. Clamant chacun son authenticité et sa véridicité. Montrant chacun la voie irrécusable de la véracité. Le chemin irréfragable de la loyauté et de l'authenticité. De nouvelles anciennes injonctions nous reviennent. Jusque dans l'enceinte des lycées. Portées par des enseignants prêcheurs. Des enseignants zélateurs. Des enseignants propagateurs de sornettes sous forme d'injonctions. Des injonctions à l'allure de sommations. De nouvelles vieilles intimations, arborant des mines de provocation. Des fanfaronnades obsolètes prétendant tirer les oreilles à une société qui a toujours vécu calmement ses croyances. Ses croyances naturelles. Ses croyances conviviales. Des croyances de partage et de solidarité. Une société qui n'a cure de toutes ces vociférations rugissantes. De toutes ces onomatopées bruyantes au nom de la prétendue pureté inexpugnable. Brandissant de présumés préceptes intouchables, de supposées vertus indiscutables et de prétendus dogmes irréfutables. La brèche par laquelle se faufile immanquablement le moralisme culpabilisant. Culpabilisateur. Un moralisme qui exhibe sèchement les crocs et l'emblème noir du sectarisme furieux. Enragé, vindicatif, acharné et monstrueux. Que l'Algérie refuse de toutes ses forces de voir se réitérer. Au moment où tous les Algériens sont en accord avec leurs croyances coutumières. Leurs traditions familières. Des lieux de culte comme des parcelles de leur sacralité ordinaire. Des lieux de recueillement et de méditation. Des balises de leur mémoire communautaire. Une mémoire bourrée de symboles et de repères. Et c'est pour cela que leurs univers cultuels et leurs espaces culturels n'ont strictement besoin d'aucune fossilisation. D'aucune momification. D'aucune pétrification. Des cultures vivantes, des cultures vibrantes. Des cultures irrévocablement rétives à toute fixation. À toute immobilisation. Des cultures qui habitent le mouvement et le mouvement les habite.
Il est parfaitement insane de vouloir ramener une histoire et une mémoire à la glaciation de l'inertie. Au désir morbide des vociférateurs et des gesticulateurs se prosternant assidûment sur l'autel brumeux de l'immobilité. Quelle que soit la version ou la variante défendue, elles puisent toutes, leur sève vaseuse dans les eaux stagnantes d'un syncrétisme idéologique totalement étranger à la sociabilité intrinsèque qui vibre au tréfonds palpitant de l'Algérie intelligente. Une Algérie qui avance. Malgré tout. Et qui n'a que faire de tous ces sermonneurs hirsutes. Une Algérie qui est en train de livrer le plus exaltant des combats : se réconcilier avec elle-même. Célébrer les retrouvailles de soi. Les retrouvailles avec soi. Malgré un enchaînement de parenthèses et de bien saugrenues hypothèses. Des parenthèses qui ressemblent à des bulles asphyxiantes et qui lui ont coûté en femmes courageuses et en hommes valeureux. Mais qui a continué à marcher. La tête sur les épaules. Et les yeux pointés sur le front de l'horizon. Cette Algérie avec ses petites habitudes. Avec ses petits caprices. Avec ses multiples déceptions. Avec ses innombrables déconvenues. Ses déboires. Ses désillusions. Ses désappointements et ses désenchantements. Avec ses séries de petites joies et son chapelet de grandes colères. Ses incommensurables souffrances. Pour revenir, à chaque fois, à la vie et à la raison. Après des périodes entières à vivre le calvaire et à faire semblant de respirer. À s'étrangler parfois. À s'énerver pour des broutilles. Et à supporter toutes les humeurs massacrantes. Et les valeurs ignoblement massacrées. Par tous ceux qui ignoraient tout de sa détermination, mais qui sont les premiers à le crier avec une assommante ostentation. Avec pour cible privilégiée toutes ces femmes dignes. Toutes celles qui passent leur journée à s'acquitter loyalement de leur tâche. À travailler ou à étudier. Avant de rentrer pour une seconde journée de travail, encore plus chargée. Après un détour pour des courses épuisantes dans plusieurs marchés. Les sachets bleus récalcitrants à trimballer. Dans un semblant de transport aléatoire. Pour être coincées, à l'arrivée, entre casseroles brûlantes et marmites débordantes. Le tout arrosé par les sautes d'humeur d'un de ces maris ou fils zélateurs parmi les braillards invétérés de la rue. Prolongeant leur diktat dégoulinant de religion à la maison. Demandant. Commandant. Ajoutant. Retranchant. Puis recommandant. Jusqu'au moment du service. Assuré par les femmes, évidemment. Dans le silence qui sied à l'ingurgitation. Et la solennité lourde de la mastication.
Après cela, il reste encore la vaisselle. Les femmes retournent à leur cuisine. Et les pêcheurs à leur espace mâle. Avec des acolytes aussi mal inspirés. Pour les bavardages et les galimatias de la soirée où tout est passé en revue. Des déviations de la société à l'aridité de la vie sans une prétendue spiritualité. Molestant au passage quelques pauvres diables qui ont un mal fou à joindre un seul bout. Et qui sont les victimes toutes désignées de ces pillards de la foi. Ces faussaires de moralité. Des énergumènes qui ignorent tout de ce que peut bien représenter la symbolique de l'acte de croire. Et de toutes les symboliques d'ailleurs.
Ces propagateurs endurcis sont les révélateurs caractéristiques d'une société qui souffre d'un dramatique déficit éthique. Ils sont le signe d'un manque de probité religieuse drastique. Tout en passant le plus clair de leur temps à clamer haut et fort une moralité mirifique. Ignorant totalement le désarroi et la détresse exacerbée chez le prochain. Malgré une foi supposée universaliser la convivialité et l'amour d'autrui. Et que cette flambée d'exubérance aggravée transforme en enfer chez les plus désorientés.
Nonobstant l'excès d'exhibition de toutes les formes d'altruisme et de toutes les espèces de générosité. Où chacun y va de son indulgence et de son humanité. Chacun de ces zélateurs se fait le chantre attitré de toutes les bienfaisances et de toutes les bienveillances.
Pourtant, personne n'a rien oublié. Personne n'a effacé la page sanglante qui a fait couler des larmes à l'Algérie. Au nom d'un projet sinistre. Enfagotté dans un discours patibulaire. Et relayé par une soi-disant communauté internationale qui voulait voir tout un pays mordre la poussière. Et ingurgiter les bouillons de l'incongru. Au nom d'on ne sait quels versets frelatés. Au nom d'on ne sait quels préceptes empestés. Et de quelle bêtise entêtée. Une bêtise voulant obturer les pores de respiration de l'Algérie. Lui voiler les yeux et la conscience. La plonger dans l'immobilité du noir épais. L'empêchant de pétiller, de rire et de chanter. Lui ligoter le regard. Lui taillader les entrailles. Et transformer ses horizons en murailles. Cette Algérie qui veut vivre et aimer. éperdument. Se laisser emporter par la fougue incandescente de ses rêves indociles. Et irrévocablement indomptés. Les rêves fous que ses filles sublimes savent porter altièrement comme des diadèmes éblouissants. Et que ses garçons turbulents chevauchent allègrement comme des arcs-en-ciel en furie. Eclaboussant le monde morne de leurs couleurs éthérées. Noyant tous les avenirs rétifs de leur luminescence incommensurablement démesurée. Ces avenirs insurgés qui s'étaient longtemps éclipsés. Prétendant qu'ils s'étaient égarés. Loin de l'Algérie.
Ces avenirs sauront retrouver le chemin tortueux mais exaltant de mon pays. Pour le réinventer et s'y lover chaleureusement. Pour l'habiter durablement. Pour s'y incruster profondément. Tout en enfantant d'autres avenirs. Pour tous les avenirs à venir.


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