Algérie

De l'économie de la connaissance à l'économie de la pomme de terre en Algérie : quels succès ?



On croit rêver en Algérie quand on apprend que des institutions nationales dépensent l'argent de la nation en organisant des séminaires sur l'intelligence économique, la gouvernance, l'économie de la connaissance et j'en passe, pour faire le constat que le pays est très en retard dans ces domaines. La « déchéance de la pensée économique »(1) a-t-elle atteint l'irréversible pour amener certaines institutions en mal de reconnaissance à convoquer des experts polyvalents pour discuter des problèmes du monde en tournant le dos aux problèmes de la nation, alors que leurs sites Internet accusent publiquement des retards d'actualisation de plusieurs années ? On attendait un débat sur l'économie de la pomme de terre, et on a droit à un débat sur la production du savoir qui reste à inventer. En attendant que ces institutions retrouvent leurs esprits et marchent sur leurs pieds, parlons de pomme de terre. Tout d'abord, il faut féliciter l'auteur de l'excellent reportage réalisé sur la pomme de terre(2) mettant en relief d'autres dysfonctionnements institutionnels qui empêchent notre économie de faire des sauts qualitatifs importants en matière de production et surtout, dans un domaine précis, comment des intérêts spéculatifs identifiés peuvent mettre en échec des volontés et des projets productifs nécessaires au pays. Quelques données économiques et statistiques(3) permettent de préciser l'information et l'analyse du marché de la pomme de terre en Algérie. Par ailleurs, si les économistes sont toujours prompts à identifier et à mettre en relief les dysfonctionnements de l'économie (c'est leur métier et leur devoir) quitte à les « grossir » pour attirer l'attention des acteurs, il serait anormal de ne pas mettre en relief aussi le cas d'une production (celle de la pomme de terre) socialement et économiquement décriée, en ce temps de crise, et pourtant sur le long terme, performante. Il s'agit d'identifier les succès enregistrés par cette filière et ses producteurs et d'analyser les mécanismes qui permettent de conforter ces succès. Plusieurs caractéristiques méritent d'être soulignées. 1° la production nationale de la pomme de terre a fait un saut colossal, tant au niveau de la surface cultivée, de la production que du rendement à l'hectare. Pour une fois, il faut en féliciter les producteurs nationaux, même si les efforts restent bien entendu insuffisants. Que l'on médite les chiffres : - la surface cultivée est passée de 41.900 ha en 1970 à 98.825 ha en 2006, soit une augmentation globale de 135,9 %. Au Maroc, pays réputé agricole, cette surface en 2006 ne totalisait que 59.600 ha pour une population équivalente à la nôtre. Il a réalisé une augmentation de sa surface cultivée de 112,9 %.  - la production a également connu une croissance très importante. Celle de 1970 a été multipliée par 8,32 fois en 2006, soit 2 180 961 tonnes. Au Maroc, la production de 1970 a été multipliée par 5,70 fois en 2006, soit 1 569 100 tonnes. Mais cette évolution a connu trois périodes. Au cours de la période 1970-1990, la production a été multipliée par plus de trois et n'a connu qu'une augmentation de 50 % entre 1990 et 2000 et enfin, elle a doublé entre 2000 et 2006. Ces différents rythmes traduisent-ils des politiques agricoles différentes ? - Le rendement à l'hectare mesure naturellement la vraie croissance de l'efficacité des efforts réalisés, au cours de cette longue période. En 1970, l'hectare cultivé en Algérie ne rendait que 6,254 tonnes alors qu'au Maroc, on enregistrait déjà 9,821 tonnes à l'ha. En 2006, le rendement enregistré a atteint 22,070 tonnes en Algérie et 26,330 tonnes au Maroc. Le rendement en Algérie a été multiplé par 3,53 fois en 36 ans. Au Maroc, il a été multiplié par 2,68 fois. Jusqu'en 1990, le rendement a été inférieur à 9 tonnes à l'hectare. C'est à partir de cette date qu'une véritable croissance s'est amorcée(4). Le record a été détenu par la SODEA à Sidi Bel-Abbès, en 2002, avec un rendement de 65,2 tonnes à l'hectare(5) (la moyenne européenne ne dépasse que légèrement les 40 tonnes/ha). Mais cette expérience peut-elle être généralisée(6) ? - Sur ces trois paramètres fondamentaux de la production agricole, l'Algérie a enregistré des performances, en termes de croissance, plus importantes que le pays voisin, dans la filière de la pomme de terre. Les ingénieurs et économistes agronomes connaissent certainement les raisons de la faiblesse relative des rendements en Algérie. Alors pourquoi un problème de pomme de terre en Algérie et pourquoi tant de discours catastrophiques sur l'inefficacité du travail algérien ? 2° la réponse à cette question concerne la consommation de la pomme de terre en Algérie. Là encore les données sont impressionnantes. La consommation moyenne par tête d'habitant est passée en Algérie de 35,80 kg en 1990 à 57,50 kg en 2005, soit une augmentation de 60,70 %. En 2005, l'Algérien a consommé 40 % de plus que le Marocain et 72 % de plus que le Tunisien. Il faut signaler que l'explosion de la consommation de la pomme de terre en Algérie commence à être enregistrée à partir de 2002, alors que pendant plus de 10 ans auparavant la consommation a tourné autour de 35 kg. Les explications restent à trouver à ce changement brusque du mode de consommation de la pomme de terre. L'Européen (toute l'Europe) consomme en moyenne 97,30 kg/an. Assiste-t-on à un changement du modèle de consommation en Algérie ? Y a-t-il simplement une substitution de consommation au profit de la pomme de terre ? Au détriment de quels produits ?... Par ailleurs, malgré « l'impression » d'une forte croissance des prix à la consommation de ce tubercule au cours de ces dernières années, la consommation connaît également l'ascenseur, et pourquoi ? La recherche dans ce domaine ne manque pas de questions pertinentes.(7) 3° Malgré tout ce que l'on a pu dire sur cette question, les producteurs de pomme de terre ont enregistré une autre performance au profit du pays. La consommation nationale de pomme de terre a été couverte par la production nationale à hauteur de 82,10 % en 1990. Ce taux « d'indépendance alimentaire » est passé à 96,6 % en 2005. Au Maroc, ce taux est passé de 102,8 % à 98,8 % et en Tunisie, ce taux est passé de 100 % à 88,65 %. Ces pays n'ont pourtant pas connu une explosion de leur consommation interne, comme celle de notre pays et sont toujours considérés comme des pays agricoles importants au Maghreb. Ce taux d'indépendance alimentaire dans le domaine de la pomme de terre mérite d'être souligné car il apparaît comme une véritable performance à côté du taux concernant le blé qui ne dépasse pas 29 % et le lait 9,25 % en 2005. Plus de 70 % de la consommation du blé, produit essentiel du modèle de consommation algérien (représentant 48,5 % de la ration alimentaire journalière), est couverte par des importations et presque 91 % de la consommation du lait (6 % de la ration alimentaire journalière) est également couverte par des importations. La dépendance vis-à-vis des importations pour ces produits alimentaires est très forte et indique l'une des grandes fragilités de notre économie. La variation des prix internationaux du blé et du lait serait ressentie immédiatement par les consommateurs algériens si des mécanismes de régulation adéquats ne sont pas mis en oeuvre de manière efficace. Naturellement, le mécanisme essentiel de protection du consommateur national est la croissance de la production agricole dans ces domaines ou dans des domaines de substitution. 4° En termes de performance internationale, quels exemples de pays enregistrent les meilleurs rendements et les meilleures productions ? En Europe de l'Ouest, le rendement à l'hectare est supérieur à 40 tonnes, en 2006, dans deux pays seulement ( France et Pays-Bas), soit presque le double du rendement réalisé en Algérie en 2006. De manière plus précise, les Pays-Bas, les plus gros producteurs de l'Europe, ont enregistré un rendement de 41,7 tonnes à l'ha en produisant 6 500 000 tonnes en 2006. En 1961, ce pays produisait déjà 3 719 000 tonnes. L'Australie, exemple ayant des techniques dont l'Algérie pourrait s'inspirer, selon l'expérience relatée dans le reportage cité, a produit 1 288 269 tonnes de pomme de terre, en 2006, avec un rendement à l'hectare de 34,41 tonnes. Ce pays a produit en 2006 moins de 60 % de la production algérienne, mais avec un rendement à l'hectare nettement supérieur à celui de l'Algérie ( 56 %). La Chine, pays de nombreux records, a produit un volume de pomme de terre à sa taille, soit 70,358 millions de tonnes mais son rendement reste faible avec seulement 14,350 tonnes à l'hectare, soit le niveau algérien de 1997. 5° De l'ensemble de ces données, plusieurs questions centrales se posent : - Comment augmenter le rendement à l'hectare ? : par une utilisation intensive de facteurs de production (engrais et autres produits chimiques, eau, machines, types de semences, types de terres... ? - Comment augmenter la production ? Et est-il économiquement intéressant de le faire en Algérie ? Par le rendement à l'hectare bien entendu, mais aussi par plus de terres cultivées, plus d'irrigation, une meilleure organisation de la saison..., une réorganisation des tailles d'exploitation, de nouveaux mécanismes d'aide et d'incitation,... Quels sont les niveaux de revenus des producteurs selon la taille d'exploitation ? Sont-ils considérés comme suffisants ? - Pourquoi la consommation par tête d'habitant augmente-t-elle si vite ? Est-ce un phénomène structurel...? - Quelle est la structure des prix à la consommation ? Sur les 70 dinars le kg de pomme de terre que le consommateur a payés, quelle était la part des producteurs ? - Comment stabiliser les prix à la consommation ? - Est-il judicieux de réduire les droits de douane et les taxes à l'importation ? Les spécialistes ont certainement des réponses à certaines questions et d'autres méritent des recherches approfondies si l'on veut encourager le développement de cette filière en Algérie. *Université d'Oran


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