En écrivant ce texte, mes pensées vont à Mouloud Mammeri, à Saïd Boulifa, à Saïd Sadi, à Abdellah Hamane, à Rachid Aliche, à Salem Chaker, à Amar Mezdad, à Tassadit Yacine, à Hend Sadi, à Youcef Merahi, à Abdennour Abdesselam, à Djamel Zenati, à Dihya Louise, à Halima Toudert, à Lynda Koudache, à Saïd Zamouche, à Saïd Chemakh, à Djamel Benaouf, à Hamid Oubagha, à Hamid Bilek, à Abderrazak Dourari, à Salem Zenia, à Mohand Akli Salhi, à Djamel Laceb, à Brahim Tazaghart et à d'autres. Et ils sont nombreux et elles sont nombreuses.Cette réflexion est destinée essentiellement aux artistes et aux intellectuels amazighophones : chercheurs, universitaires, romanciers, poètes, chanteurs, dramaturges, cinéastes, linguistes, pédagogues, éditeurs, journalistes...
Bien que leur parcours et leur discours ne soient pas les mêmes, le militant culturel et le politique sont condamnés à se joindre, à se parfaire. Il n'y a pas d'idéalisme dans un combat culturel. Il faut savoir saisir toute occasion historique positive qui se présente afin d'arracher plus de droits dans un pays sans droits. Le combat culturel exige des verbes et des actes : protester et revendiquer, saisir, se localiser, s'enraciner, faire l'état des lieux et reprendre la revendication et la protestation pour un deuxième round. Il n'y a pas d'offre gratuite ! Toute occasion est le résultat d'un parcours du combattant.
Le politique fait reculer les murs, et l'intellectuel installe sur le terrain acquis des nouveaux symboles sociétaux et tresse un nouvel imaginaire collectif à travers l'art, le roman, la musique, le cinéma... Dans la nouvelle Constitution, le tamazight est considéré langue nationale, officielle, scellée parmi les autres constantes de la nation !
Loin du non, du oui, du blanc, du boycott ou de l'absentéisme exprimés le jour du référendum, pourquoi l'article 4.3 fâche-t-il les islamistes, les islamo-baâthistes, les conservateurs nationalistes du FLN et leurs dérivés ' Sceller le tamazight dans la nouvelle Constitution signifie que nous franchissons une nouvelle étape historique où cette langue ne sera plus le sujet d'un tiraillement politico-idéologique. La résistance linguistique identitaire a donné ses fruits. Les Mouloud Mammeri ne seront plus inquiétés dans leur tombe, dans leur mémoire. Nous passons à une Algérie plurielle, constitutionnellement, linguistiquement et culturellement parlant.
Je ne suis pas naïf ! Le chemin est encore long et épineux ! Est-il vrai que le vote par oui recommandé par les formations politiques conservatrices est un vote dont profitent stratégiquement les forces démocratiques et modernistes qui, elles, appellent au boycott ' Est-il vrai que les démocrates gagnent ce référendum sans y participer, du moins par l'affirmation de l'article 4.3 ' Il y a une certaine vérité dans cette thèse. Certes, la nouvelle Constitution ne répond pas à toutes les aspirations des intellectuels démocrates, à leur attente ; elle n'est pas à la taille de leur combat pour la liberté et pour la démocratie, mais du moins elle représente une grande défaite dans le camp des conservateurs, des islamistes, des baâthistes et des nationalistes bridés.
Certes, beaucoup de dispositions sont imparfaites, des procédés sont absents ou manquants dans cette nouvelle Constitution, dans une société islamisée, fanatisée comme la nôtre, nous sommes appelés, certes, à être exigeants d'un côté, mais pragmatiques de l'autre ! Sans tomber dans l'optimisme idéal ni dans le pessimisme absolu, il faut serrer les rangs des intellectuels démocrates pour avancer sûrement et plus loin. On peut changer de l'intérieur. Mouloud Mammeri a fourni un travail de fourmi, sans relâche, dans une période où régnaient la dictature et le parti-police.
Ce n'est pas le président déchu Bouteflika qui, dans un état hystérique, a crié un jour : "Le tamazight ne sera jamais langue nationale tant que je suis au pouvoir", ni ses partis de l'alliance dont leurs secrétaires généraux sont tous en prison, qui ont promulgué le tamazight langue nationale et officielle. Ils se sont pliés devant la résistance et les revendications des Mouloud Mammeri. Une autre étape a été franchie. Le tamazight s'installe dans l'imaginaire politique et s'installe dans l'inconscient algérien et nord-africain. Aujourd'hui, les intellectuels sont appelés à redoubler de vigilance intellectuelle, chacun dans son domaine.
Il faut que les linguistes spécialistes de tamazight se constituent en laboratoires de recherche libres. Faisons de cette académie algérienne de la langue amazighe proposée une institution scientifique et non pas un levier pour la propagande idéologique politicarde. Pas de politique de la chaise vide ! Il est l'heure de libérer le débat autour de tamazight de toute hégémonie politique ou hystérie religieuse. Il faut que les spécialistes, les pédagogues, les linguistes et les traducteurs tranchent sur le choix des caractères adéquats, en se basant sur les travaux scientifiques et anthropologiques réalisés depuis presque un siècle par les doyens, à savoir Saïd Boulifa (1863-1931), Mouloud Mammeri (1917-1989), les Salem Chaker et autres. Il n'y a pas de retour au point zéro de la recherche. La perte de temps n'est ni permise ni tolérée. La création d'une grande école normale pour la formation des enseignants du primaire et des autres cycles est une urgence pédagogique majeure.
Il est dans l'urgence structurelle d'appeler à la création d'un département ministériel de l'enseignement de tamazight et un autre pour la promotion de la culture amazighe. Il est l'heure de fonder une bibliothèque nationale classique et numérique pour la conservation du patrimoine culturel amazigh. Il faut occuper le terrain culturel par l'encouragement aux éditeurs, par le salon du livre amazigh, par le festival du film amazigh, par la traduction vers cette langue, renforcer les radios locales et les chaînes de télévision privées dans cette langue. Le temps des lumières, dans notre Algérie nouvelle, passera sans doute par là !
A. Z.
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Posté Le : 15/10/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Amin ZAOUI
Source : www.liberte-algerie.com