S'il est un trait
qui caractérise la plupart des Algériens, c'est bien l'intolérance. Bien sûr,
l'Algérien a d'autres défauts, mais c'est celui-là qui configure le mieux sa
mentalité.
Qui le distingue
des autres habitants de la terre. C'est que l'Algérien n'a pas de points de vue
sur le monde qui l'environne, mais des Vérités Éternelles. Il est enraciné
profondément dans des mots qui nourrissent toutes ses discussions,
invariablement assenés comme des certitudes en acier trempé. L'Algérien ne
discute pas. Il professe. De sa bouche sortent les Grandes Vérités. Vous pouvez
parcourir le monde entier, vous ne rencontrerez pas sur votre chemin une seule
personne aussi affirmative que l'Algérien.
En général, l'Algérien ne comprend pas qu'il
puisse exister sur cette planète des gens qui ne pensent pas comme lui, qui
posent sur le monde un regard autre que le sien, il s'en offusque. Il a horreur
de la contradiction. De ceux qui ne sont pas d'accord avec ce qu'il déclame. Il
a raison. Comment pourrait-il admettre des idées contraires à celles qui le
remplissent, alors qu'il détient la Vérité ? Installé confortablement dans ses
certitudes comme dans un fauteuil profond et moelleux, sûr de lui-même, avec
parfois un petit sourire qui en dit très long sur ce qu'il pense de votre avis,
jubilant, ému, l'Algérien proclame ses convictions avec l'assurance d'un
bulldozer qui avance vers les mûrs d'une construction illicite. Ainsi, la
plupart du temps, une discussion entre deux Algériens finit toujours comme elle
a commencé : chacun rentre chez-lui avec les assertions qui peuplaient sa tête
au départ.
Dans le lexique d'un Algérien, le mot doute
n'existe pas. Car l'Algérien ne doute jamais. Il vient au monde immunisé contre
les incertitudes. Et dès qu'il commence à baragouiner, la famille se mobilise
et transforme sa mentalité en une armoire avec pleins de tiroirs où sont
rangées soigneusement des réponses à toutes les questions qu'il pourrait
contracter au cours de sa vie. C'est pourquoi, un Algérien ne s'interroge que
rarement. Sinon jamais. L'événement le plus spectaculaire qui soit ne laisse
pas la moindre égratignure sur sa quiétude. Rapido-presto, il l'emballe dans
une réponse toute faite. Et tandis que les autres s'enferment dans les
laboratoires et s'esquintent la santé à percer le mystère, lui se marre, l'élu
de la providence, puisqu'il a déjà résolu l'énigme. Cet inénarrable Algérien,
gâté par le destin, s'allonge et se repose pendant que les autres bossent.
Lorsque vous n'êtes pas d'accord avec un
Algérien, vous êtes nécessairement en dehors du droit chemin, vous errez. Vous
êtes perdu dans un monde sans repères. Ce ne sont pas des opinions personnelles
que vous avez. Ce sont des germes maléfiques que vous logez. Vous lui faîtes
pitié alors, et il ressent un désir impérieux de vous sauver. Généreux, comment
pourrait-il accepter que vous erriez ainsi alors qu'il vit dans un monde saturé
de plaques de signalisation ? Comment pourrait-il accepter que vous soyez
malheureux ? C'est que l'Algérien est persuadé que celui qui ne partage pas ses
croyances est inévitablement dans la détresse. Ajoutons ceci : lorsque vous
tenez à votre avis, lorsque vous n'admettez pas que vous pataugez dans
l'erreur, il peut devenir très méchant. Il s'emporte. Car être en désaccord
avec lui, c'est porter atteinte à la Vérité. Et comme sa personne est porteuse
de cette Vérité, vous éclaboussez en fait sa personne. Vous l'insultez. Pour
l'Algérien, changer d'avis, c'est comme perdre son honneur.
Ce trait de caractère décrit dans les lignes
qui précèdent, on peut le remarquer un peu partout. Quand des Algériens se
réunissent par exemple pour discuter un problème quelconque. Si aucun chef
n'assiste à la réunion, et s'ils ne chaussent pas les mêmes lunettes, c'est
alors souvent une bagarre verbale qui s'ensuit. Qui parfois dégénère en bagarre
tout court. En tout cas personne n'écoute l'autre. Mais chacun attend
impatiemment son tour pour étaler sa science et épater la galerie.
Il ne s'agit pas d'un dialogue animé par des
interlocuteurs qui se sont réunis pour s'enrichir et enrichir un débat portant
sur une question qui nécessite plusieurs avis, mais d'une cacophonie faite de
vérités incompatibles et exclusives. Fusant des bouches, fières et hautaines,
dégoulinantes de mépris l'une pour l'autre, définitives. Quand un intervenant
arrive à faire une proposition, elle n'est jamais discutée, elle est d'abord
gentiment discréditée. On lui tombe dessus et on la massacre, ensuite.
Cependant, quand il y a un responsable dans
les lieux, les choses changent. Dans ces circonstances, les Algériens laissent
une grande partie de leurs petites vérités au vestiaire. Comme on se débarrasse
de signes ostentatoires susceptibles d'attirer des ennuis. C'est que les
Algériens savent que nos chefs n'apprécient pas du tout qu'on se distingue par
des idées personnelles qui ne sont pas en harmonie avec les leurs. Mais il faut
avouer qu'il n'y a pas que cette raison. En vérité, si les Algériens approuvent
et applaudissent tout ce qui sort de la bouche sacrée d'un chef, c'est qu'ils
ont des projets et des désirs secrets et souvent louches que ce dernier ne manquerait
pas de saccager et de piétiner si jamais il est contredit. Ce n'est pas de la
lâcheté. C'est une stratégie. Entre ses intestins et le sort de son pays,
l'Algérien choisit sans la moindre hésitation ce que vous savez. Il est fasciné
par les bruits mélodieux qui lui parviennent de son ventre. Ce chant de sirène
qui fait des ravages chez nous. C'est pourquoi le pays est défiguré par des
plans qui n'ont jamais été discutés et débattus.
C'est la même chose à l'école. Sur l'estrade
trône un enseignant qui bousille le contenu des livres scolaires avec ses
convictions et ses histoires personnelles. En d'autres termes, il entrecoupe
ses leçons de commentaires de son cru qui les vident de l'essentiel : le
questionnement et le doute constructifs. Tout ce qui est scientifique est gâté
par les superstitions et les fabulations du maître qui sont administrées comme
des vérités implacables. Évidemment, ils ne sont pas tous comme ça, Dieu merci.
Mais les histoires que nous rapportent nos enfants de temps à autre sont
angoissantes. Elles révèlent l'ambiance malsaine que produisent beaucoup
d'enseignants dans les classes. Elles expliquent cette explosion de joie,
farcie de cris et de grossièretés, qui s'empare des élèves à la sortie de
l'école. Qui se vengent ainsi à leur manière d'une atmosphère autoritaire,
ruisselante d'une morale qui entend purifier l'humanité, suspecte, passionnée,
excessive, ne souffrant aucune objection ou réflexion, réduisant les enfants au
silence ou à l'approbation. C'est pourquoi après avoir été à l'école pendant
des années, un élève algérien aura eu rarement sinon jamais l'occasion de dire
ce qu'il pense des choses et des êtres qui l'entourent. On n'attend pas de lui
qu'il s'exprime. On attend de lui qu'il gobe. Il n'a pas d'avis. Il ne pense
pas. On pense pour lui. Pendant toute une vie, il est condamné au silence. Ses
idées sont refusées avant même d'être formulées.
En général, l'enseignant algérien est
beaucoup plus préoccupé par le mal et le dévergondage qu'il voit partout. Ce ne
sont pas des élèves qu'il a sous les yeux, mais un troupeau de moutons dévoyés
qu'il faut placer dans le sentier pur et sanctifié qui sillonne majestueusement
sa tête. Et c'est à lui que la réforme du système éducatif demande d'enseigner
la tolérance et le respect de l'autre et de ses opinions.
C'est encore la même chose à la maison. La
mère algérienne apprend à ses enfants que la parole des parents est sacrée.
Donc indiscutable. En faisant recours au bâton quand c'est nécessaire. En
Algérie, les parents ne se trompent jamais. Comme nos chefs et nos enseignants.
Notre culture est pleine d'histoires effroyables qui racontent les châtiments
terribles qui frappent tout enfant qui ose discuter les discours parentaux.
Même quand ils commettent les pires injustices, les parents algériens ne
demandent jamais pardon à l'enfant qu'ils ont lésé. Ils ont ce privilège sacré
de gaffer à loisir sans essuyer la moindre remarque. Protégés par des
traditions qui les auréolent.
Les dégâts de cette absence de consultation
et de discussion au sein de la famille, de l'école et des institutions sont
visibles partout où vous posez le pied. Les comportements infantiles qui
foisonnent chez nous viennent de là. La violence aussi. Des gens affreusement
susceptibles qui se froissent pour des vétilles et peuvent aller jusqu'au
meurtre. Mais le scribouillard qui a pondu ces mots est un Algérien. Il est
très possible donc qu'il ait tort. Peut-être que l'Algérien soit un homme très
tolérant. Qu'il sait écouter les autres sans ressentir l'envie de bondir sur
eux quand ils ne sont pas d'accord avec lui. Que les enseignants écoutent
gentiment les avis de leurs élèves et leurs permettent de s'exprimer. Que nos
chefs prêtent l'oreille attentivement aux propositions et critiques de leurs
subalternes. Que nos parents discutent avec leurs enfants les projets de la
famille. Qu'ils admettent qu'ils peuvent commettre des bourdes. Peut-être.
Cependant, vous conviendrez que c'est difficile à croire.
Pour finir, il semble que le proverbe s'est
trompé. La vérité ne sort pas de la bouche des enfants. Elle sort de la bouche
des Algériens.
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Posté Le : 23/07/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Boudaoud Mohamed
Source : www.lequotidien-oran.com