Algérie

Daoud Oulad Sayyad au Festival du film arabe d?Oran Du cinéma marocain : «En attendant Pasolini»



«En attendant Pasolini» du Marocain Daoud Oulad Sayyad a séduit le nombreux public de la salle «Le Colisée» où sont projetés les films en compétition dans la seconde édition du festival du cinéma arabe d?Oran. Et pour cause, ce long métrage donne à réfléchir et permet de rire. Le film est très digeste et en même temps chargé de symbolique.

Les événements se passent dans un village du sud du Maroc où devait avoir lieu le tournage d?un film. L?arrivée de l?équipe cinématographique italienne dans ce village est vécue comme un véritable événement. Parce que c?est une opportunité de travail pour des dizaines, voire des centaines de personnes de ce village, vivant le dénuement le plus total. Un habitant de ce village qui a connu Pasolini, cinéaste dramaturge et homme de lettres italien, quarante ans auparavant, sera remis sur selle. Il fera croire à tout le monde que c?est le retour de son maître spirituel et, du coup, il sera sollicité par tout le monde pour pouvoir décrocher un boulot dans le tournage du nouveau film.

Le débarquement de l?équipe de tournage va chambouler, de fond en comble, la vie du village. Même au sein des couples on ne parlera plus que du film et des opportunités d?embauche qu?il présente.

Dans ce cadre, le réalisateur dira que le tournage des productions américaines ou européennes offre la survie à un village entier pendant au moins sept mois. Donc, sa fable est inspirée du réel. Mieux encore, le réalisateur soulignera que son scénario est tiré à partir d?un entretien accordé à un journal par l?ex-amant de Pasolini. Ce dernier avait fourni la demande de prendre la nationalité marocaine qu?on lui avait refusée à cause de son homosexualité et ses démêlées avec la police marocaine. Mais au lieu de verser dans la condamnation d?une prétendue exploitation des centaines de figurants par les maisons de production qui tournent leurs films au Maroc, le réalisateur reste neutre. Au contraire, lors des débats, il a précisé qu?il ne voit pas la chose d?un mauvais oeil, puisque les villageois trouvent, eux aussi, leur compte.

N?empêche que certaines scènes se passent de tout commentaires. Celle d?une femme enceinte qui essaye, elle aussi, d?obtenir un rôle dans le film et qui fera rigoler le public oranais. Constatant son ventre protubérant, l?assistante chargée du casting lui fait remarquer qu?elle est enceinte et qu?elle court des risques. Désemparée, la pauvre dame essayera de nier sa grossesse. Y compris le «fquih» (le taleb chez nous) tentera d?obtenir un rôle. Contrairement aux autres, il débitera son discours religieux pour convaincre les Italiens. D?ailleurs, il perdra de son aura et paraîtra ridicule quand il endossera la tunique des guerriers romains mettant à nu ses jambes. Ce prétendu «gardien de la morale publique» sera finement décrié tout au long du film. Notamment quand il payera les services d?une entremetteuse pour accéder à l?intimité d?un habitant du village parti à La Mecque. Ailleurs, il ne manquera pas d?extorquer des fonds aux habitants du village en arguant la construction de la mosquée. Avec cet argent, il meublera la demeure où il vit avec sa vieille femme.

D?une manière globale, le tournage du film italien, élément central du scénario, a donné lieu à la mise en contact de quatre institutions. Le mekhzen dont la tentative de contrôler y compris les dialogues du film en tournage a dépassé même l?inimaginable. Le représentant de cette institution se présentera, le jour des soldes des figurants, pour les racketter en bonne et due forme. L?autre institution qui manifestera sa présence lors du tournage est la religion. Lors d?une pause, les figurants vont rejoindre un groupe d?hommes se dirigeant vers le cimetière pour enterrer un des leurs. Durant un moment, on oubliera les exigences de ceux qui dirigent les acteurs pour accomplir ce devoir religieux. La djemaâ, organisera plusieurs rencontres pour discuter les problèmes des exclusions de certains, notamment des femmes, de participer à cette entreprise. Enfin, le cinéma qui s?impose à la totalité des habitants d?un village perdu dans le désert et totalement coupé du reste du monde. D?ailleurs Thami, l?ex-ami de Pasolini sera confronté à un dilemme: continuer à entretenir le mythe de celui qu?il vénère ou au contraire, il doit annoncer sa mort à ses amis et concitoyens. Un autre décryptage à effectuer: le cinéma tel que vécu par les anciens a, encore, droit de cité ou est-il bel bien mort et totalement disparu?

A la fin du film, Thami ne prêtera aucun crédit à son fils qui l?assiste à placer une parabole et qui lui annonce l?arrivée d?une équipe de tournage. Une façon à lui de reconnaître qu?une époque est désormais révolue laissant la place à une autre.

Le film, joué pratiquement par des figurants, sauf trois acteurs professionnels, pose de sérieuses questions. Réflexion sur l?industrie cinématographique au Maroc, il est aussi un document ethnographique sur le sud marocain. Peut-être que certains iront jusqu?à reprocher au réalisateur de verser dans la folklorisation du Maroc pour mieux vendre son produit au spectateur étranger, notamment européen.

Ce que nous retiendrons des propos de Daoud Oulad Sayyad c?est son refus de se réclamer d?une quelconque chapelle idéologique. Le joueur du «goumbri» dans le film chante indifféremment le socialisme que le libéralisme pourvu qu?on lui offre du travail. C?est justement le cas de Daoud. En tant que photographe, son autre passion parallèlement au cinéma et à l?écriture, il capte les images sans s?encombrer de questions. «En attendant Pasolini» a déjà obtenu le prix du meilleur film arabe au Festival du Caire. Dans le festival d?Oran, il ne passera pas inaperçu, tout comme son réalisateur.






Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)