Algérie

Dans mon album, je rends hommage à la femme et à Hasni que je considère comme un féministe et un avant-gardiste



Dans mon album, je rends hommage à la femme et à Hasni que je considère comme un féministe et un avant-gardiste
- Plusieurs années après avoir lancé votre carrière d'artiste, vous décidez enfin de sortir votre premier album, fin octobre prochain. Parlez-nous un peu de votre projet...Ce premier album compte enfin 9 chansons. Huit d'entre elles sont en arabe dialectal (dardja) et la dernière est en langue anglaise. C'est un album où j'ai repris mes trois singles que j'ai diffusés depuis le début de ma carrière, en 2008. Dans le premier, intitulé Dour (tourne en rond), que j'ai sorti en 2010, j'ai surtout parlé de la femme algérienne, de ses déceptions amoureuses, de la trahison qu'elle subit et de son honneur dont elle pense qu'il a été touché.
Dans la société algérienne, les femmes sont soumises à certains codes sociaux et acceptent parfois de subir au lieu de réagir. Il est vrai que je parle d'amour dans ce premier single mais c'est aussi un engagement de ma part, car j'ai essayé d'exprimer la force qui se cache dans la femme.
Cette force dont elle ignore parfois l'existence, comme celle de pouvoir dépasser les difficultés de la vie et les obstacles, tel le divorce que certaines considèrent comme une fatalité. Chez nous, une femme divorcée pense qu'elle n'a pas le droit de rêver, de vivre sa vie, de rêver d'un autre foyer ou même d'une nouvelle histoire d'amour.
A travers cette chanson, j'essaie de donner du courage à la femme algérienne pour lui dire que sa vie ne doit pas s'arrêter là. Elle doit se battre et penser à son bonheur. C'est un single qui a été beaucoup apprécié et c'est grâce à lui que j'ai commencé à faire de la télé et de la radio. Dans mon album, je lance une nouvelle version acoustique de Dour, qui la rend encore plus joyeuse et originale.
- Vous avez, quand même, attendu cinq ans pour sortir un deuxième single. Pourquoi avoir pris tout ce temps '
C'est en effet en 2015 que j'ai sorti mon 2e single, intitulé Hadi hiya denya (c'est ça la vie). Puis, j'ai aussi sorti un dernier, Lahna (la paix) que j'ai enregistré et diffusé sur Youtube en janvier 2016.
Lahna est aussi le nom de mon album. C'est un titre qui résume tous les thèmes et les sujets que je traite dans mes chansons. En écoutant mon album, vous allez vous rendre compte que je suis à la recherche de quelque chose. En tant que femme, je vis un certain malaise dans l'environnement dans lequel j'évolue. Ce malaise est dû à certains principes et valeurs que nous avons perdus, comme l'amour, le partage, la sincérité et l'amitié.
J'ai décidé d'appeler mon album Lahna, car il résume un peu ce que j'ai envi de dire. Le bonheur réside dans les choses simples et dans les valeurs humaines comme la générosité, le partage, la solidarité, le droit de vivre sa vie, le droit d'avoir des rêves et de se battre pour les réaliser. Je dis aux femmes qu'elles ne doivent pas se laisser enchaîner par ces ondes négatives qui les empêchent de vivre normalement leur vie.
- Pourquoi attendre 2017 pour sortir un premier album ' Est-ce stratégique ou bien est-ce dû à d'autres facteurs '
Nous sommes tous au courant des difficultés que rencontre l'artiste dans notre pays. Ce n'est pas facile. J'ai voulu sortir directement mon album, notamment après mon passage à The Voice Arab (MBC-2013), mais je me suis dit qu'il serait préférable que les gens me découvrent d'abord pour comprendre ce que je fais et s'habituer à ma personnalité artistique.
Je fais du Falk et pas du Raï ou de l'Algérois. Ce n'est pas facile de percer quand vous faites ce genre de musique. Les seuls artistes qui se sont lancés dans ce style sont Souad Massi et Samira Brahmia, qui ont quitté d'ailleurs l'Algérie. Il leur a été difficile de s'imposer. Me concernant, c'était plutôt un choix stratégique, mais pas que.
Il fallait trouver un bon studio car j'ai tout enregistré en acoustique. Et puis je cherchais aussi une édition qui soit à la hauteur de mes attentes. J'ai eu la chance de rencontrer Ostoana Editions. J'ai eu affaire à Amine Hamrouche, qui est un musicien et qui s'y connaît en musique. Il est arrangeur et musicien aussi, et c'était un plaisir de travailler avec lui.
- Perfectionniste quand il s'agit de la musique '
Oui. Je préfère attendre pour aboutir à un produit final convaincant. J'ai eu la chance d'enregistrer à TahatART Production, un studio qui m'a offert toutes les commodités dont j'avais besoin et d'avoir des musiciens formidables et talentueux comme Hassane Khoualef, Nadjib Gamoura, Youcef Grim ou Mehdi Djama.
Il y avait aussi Abdelhak Ben Medjbari comme ingénieur du son et qui a réalisé le mix et le masturing. C'est aussi grâce au soutien de l'Office national des droits d'auteur et droits voisins (ONDA), qui a cru en mon projet artistique et qui a sponsorisé mon album. J'ai tout enregistré en 2014. Ce travail nous a pris 6 mois en tout.
- Beaucoup ne s'attendaient pas à la la sortie de votre album car vous avez déclaré, il y a quelques mois sur votre page facebook, vouloir arrêter carrément votre carrière musicale. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis '
C'était un coup de gueule tout en ayant conscience que je n'allais pas assumer ma décision (rire). J'étais un peu à fleur de peau après analyse de la situation de l'artiste en Algérie et l'environnement dans lequel il évolue. Je me suis dit qu'il est difficile de percer quand on est quelqu'un qui ne fait pas du Raï ou qui ne fait pas danser les gens, etc.
Je me voyais perdre mon temps. Nous vivons dans un pays où on ne donne pas forcément leur chance aux jeunes artistes pour s'exprimer à leur manière. Mais je me suis vite remise de cet état. Je me suis dit que je n'ai pas fait tout ce bout de chemin pour rien. J'ai, bien évidemment, changé d'avis dans la minute qui a suivi ma déclaration (rire). Rien ne justifie d'abandonner.
- Nous connaissons aussi Hayat l'engagée et la révoltée, surtout quand il s'agit de la condition de la femme?
L'un de mes singles, 3endi El Heq (j'ai le droit) parle justement des droits de la femme. J'ai le droit de rêver, de m'exprimer, et aucun n'a le droit de me l'interdire. Je disais que vous n'aviez pas le droit de fermer mes portes et de briser mes rêves. En tant que femme, j'ai le droit d'avoir une vie que je choisis moi-même et pas celle que m'impose ou que m'inflige la société. Dans la vie, une femme ne se limite pas au mariage et aux enfants.
Si elle a envie de cette vie, tant mieux pour elle mais tout ne s'arrête pas là. J'ai l'impression que la femme n'est respectée que si elle est mère ou mariée. C'est une faille qui existe dans notre société et c'est elle qui nous empêche d'avancer. La femme est un être humain. Elle est au même niveau que l'homme. La femme mérite le respect comme tout homme dans ce monde, et pas que.
Tout être humain mérite respect et ce quels que soient son sexe, sa religion, sa couleur, son origine, ses convictions ou son idéologie. C'est la cause pour laquelle je me bats. On peut nous dire que nous avons des droits. Je leur dis oui, mais l'Algérienne s'est battue pour les avoir. Nous n'avons pas reçu de cadeaux. C'est le fruit de tout un combat. La cause féministe est mon combat principal. Je suis une féministe et une réaliste.
- Dans votre album, vous rendez aussi hommage au monument du Raï, Cheb Hasni?
C'est un hommage que j'ai rendu à un artiste que j'aime énormément. Je l'ai fait car il était justement quelqu'un de respectueux envers les femmes. J'ai toujours été séduite par la manière avec laquelle il s'adressait dans ses chansons aux femmes, contrairement au Raï d'aujourd'hui qui l'a dénigrée. Hasni parle de la femme avec douceur. Il exprimait son amour sans avoir honte. Pour moi, il était féministe. On a l'impression que la société a régressé depuis.
Pour lui rendre hommage, j'ai repris l'une de ses chansons, EL Maglou3a ou l'orpheline, pour laquelle j'ai changé un peu les arrangements. Elle parle de la femme divorcée, stigmatisée et jugée par la société et son entourage. J'ai choisi principalement cette chanson car elle rejoint mes principes en tant que femme engagée et féministe. La chanson a été arrangée par Yanis Djama. C'est un hommage que je lui fais pour le 23e anniversaire de son assassinat.
J'ai contacté sa femme Malouka Chakroun qui m'a honorée par sa présence ici à Alger, le jour de l'enregistrement de cette chanson. Ce qui m'a fait plaisir, c'est qu'elle avait aimé la reprise. Elle en a même parlé à son fils. Hasni est un artiste qu'il faut honorer à chaque occasion. Il a préféré rester en Algérie en pleine décennie noire et en a payé le prix.
- Un mot aux Algériennes '
Soyez solidaires entre vous-mêmes. J'ai vraiment l'impression que l'ennemie N°1 de la femme est la femme elle-même. Des fois, lorsqu'on tient un discours sur la liberté, on est souvent incomprises parce que la liberté est liée tout le temps au non-respect des traditions et de la religion.
En fait, il faut juste comprendre que le respect ne veut pas dire forcément l'agression de l'autre. Au contraire, si je vous respecte, c'est parce que je nous considère libres. N'ayez pas peur d'avoir des projets et de prendre des risques. N'ayez pas peur de vous battre pour vos droits. Soyez plus fortes et croyez en vous.


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