Je sais, certains d'entre vous vont se dire, « encore une histoire de métro ! ». Mais que voulez-vous, le fait de passer en moyenne une à deux heures quotidiennes dans le sous-sol parisien est autant une contrainte (physique et malodorante) qu'une inaltérable source d'inspiration. Il suffit pour cela de ne pas regarder ses pieds, d'ouvrir ses oreilles et de faire violence à ses narines. Le métro... Je pourrais en parler tous les jours, j'y vois des personnages improbables, j'y note des spectacles humains inattendus, j'y partage des crises de fou rire ou y épouse des colères (saines...). Lundi. Ligne 3. Station Villiers. Quatorze heures trente. La rame arrive, les portes s'ouvrent. Assis sur un strapontin, un homme se lève et fait signe à une vieille dame de venir à lui. C'est un métis, un franco-vietnamien probablement. Cheveux raides déjà gris, la quarantaine, peut-être moins. Attitude inhabituelle, il reste penché pour garder le strapontin ouvert d'une main tandis que, de l'autre, il guide la dame, l'aide avec patience à s'asseoir et, quand elle est enfin installée, lui passe brièvement la paume sur l'épaule. Deux petites caresses qui me font soudain appréhender la journée d'une manière bien moins grincheuse. Elle le remercie à plusieurs reprises. Il lui sourit puis garde la tête baissée. A ses joues rouges, je devine qu'il craint les regards moqueurs ou amusés des autres passagers qui, pourtant, ne semblent pas s'intéresser à lui. Ce n'est qu'une apparence car, bien entendu, la scène n'a échappé à personne mais il en va souvent ainsi dans le métro. Quand quelqu'un a besoin de s'asseoir, tout le monde ou presque est affairé. Il y a celui qui lit son journal ou son roman ou celle qui se remaquille ou pianote sur le clavier de son téléphone portable. Et quand une bonne âme se propose, les uns et les autres font mine de ne rien voir mais on sent que toutes et tous partagent le même sentiment de soulagement. Scène vue un jour du côté de «Nation». Une femme enceinte qui cherche des yeux une place de libre dans le wagon. Walou... Pensant peut-être profiter d'une quelconque solidarité, elle demande à une passagère, plus jeune qu'elle, de lui céder son siège. Tirée de sa lecture d'un roman de Marc Levy, « La prochaine fois, vous revoir pour de vrai » (ou un truc dans le genre), l'autre accepte de mauvaise grâce. « Dans votre état, on ne prend pas le métro », lâche-t-elle néanmoins. Réponse courroucée de la future mère (elle reste tout de même assise) et embarras général. Mardi. Ligne 8. Station La Tour-Maubourg. Neuf heures. Accompagnée par de forts effluves d'encens, voici que monte une femme de grande taille avec un manteau noir qui traîne sur le sol, des palladiums blanches et un chapeau rouge en forme de cloche. Avec un pouce au vernis sombre craquelé, elle appuie nerveusement sur le bouton vert qui commande l'ouverture des portes. Puis elle ramasse un journal gratuit et cherche la page de l'horoscope qu'elle déchire tout en essayant de rester en équilibre. Elle a deux sacs de couleur rouge dont un, le plus grand, en forme d'arrosoir. Une fois la page pliée en quatre, elle entreprend d'en inspecter le contenu tout en jetant des coups d'oeil furtifs derrière elle. Elle sent que je l'observe et cela semble l'inquiéter. Je regarde ailleurs mais je n'arrive pas à contenir ma curiosité. Je veux savoir ce qu'elle va sortir de son bruyant fouillis. Quand la rame s'arrête à «Concorde», elle descend brusquement sur le quai puis me lance : « Va donc, hé plombier ! ». Autour de moi, rires et sourires... « Va donc », je veux bien mais pourquoi « plombier » ? Mercredi. Ligne 13. Station Saint-Lazare. Dix-huit heures. Le pire moment. Ça pousse, ça râle, ça piétine. Une voix sortie des haut-parleurs a beau jurer que le train qui suit est à trois minutes et qu'il est vide, cela n'empêche pas celui qui est à quai d'être pris d'assaut. Sardines immobiles et résignées. Trop fatigué pour regarder les gens, pas assez de place pour lire, il me reste les affichettes. Je lis et relis les titres spéculant sur la rivalité entre Diam's et Jenifer ou vantant les charmes de Rosalyne. Voilà à quoi sert aussi le métro. Sans avoir à aller chez le coiffeur, on peut suivre de manière assidue les bouleversements tragiques de l'actualité des pipoles. Vous en avez bavé aujourd'hui ? Avant de rentrer chez vous, rien de mieux qu'un coup d'oeil latéral sur Voici, Closer, Gala ou Entrevue de votre voisin. C'est de l'info, de la vraie, du réel et tant pis si cela vous provoque des bouffées de chaleur ou si cela vous donne l'envie de tirer le signal d'alarme pour mieux vous sentir. A Miromesnil, une bande de yôs - incontournables et fréquents créateurs de désordres métropolitains - montent en force. Coups d'épaules, bourrades et cris. « Laissez mon copain s'asseoir, il est enceinte », crie l'un d'eux. La bruyante compagnie s'esclaffe. Tout autour, on rit moins. Bousculée, une blonde filiforme va pour protester mais se ravise en soupirant. « Queq'chose qui va pas ? », lui demande l'un des plus agités, cheveux gominés, tee-shirt blanc moulant et vide inquiétant dans les yeux. « J'ai juste besoin d'air », répond-elle. « J'peux te souffler dessus si tu veux », gronde-t-il. Elle ne réplique pas, attitude dont on ne sait jamais à l'avance si elle va être payante ou non. Cette fois-ci, elle l'est car le gugusse et ses amis ont trouvé un autre moyen de s'amuser. « M'sieur, demande l'un d'eux à un homme en complet, comment on fait pour aller à La Motte-Piquet ? ». L'autre réfléchit, sort de sa poche un petit plan, puis répond d'une voix assurée : « Vous changez à Invalides et vous prenez direction Balard ». A cet instant-là, comme elle le préméditait sûrement, la bande a hurlé : « et Balard ça rime avec bâtard ! ». Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite parce que j'ai décidé de descendre et d'attendre le train suivant. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il m'a fallu patienter. Cela faisait en effet à peine deux minutes que j'étais sur le quai lorsqu'on nous a annoncé que le trafic était perturbé pour cause « d'incident voyageur ». J'aurais pu vivre cela en direct et faire mon travail de chroniqueur correctement mais, que voulez-vous, il y a des jours où le métro m'épuise.
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Posté Le : 14/06/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Paris : Akram Belkaïd
Source : www.lequotidien-oran.com