Quand la fête se
fait au village, tout le monde est censé être invité.
Un esprit de
zaouïa est vite installé dans le budget et les subsides publics.
Comme lors d'une zerda, dans un festival il y a toujours à boire et à manger.
En ce moment, toutes
les wilayas se précipitent abondamment pour finir à la va-vite leur festival. Ramadhan
approche, les congés sont presque épuisés, ce seront les dernières étapes de
l'agitation folklorique du premier semestre. Drôle de situation ! Un festival
qui doit se tenir ici, on lui fait une conférence de presse ailleurs. Mais qui
est cette « commissaire du festival » qui parle d'une région documentaire sans
avoir foulé son relief ? En se limitant juste à énumérer une liste d'artistes
ou un nombre imprécis de musiciens, on ne se dresse pas comme un vrai manager
de festivités. Si la fonction tend à ressembler à celle de tout commissaire, le
compte est loin d‘être bon. Un régisseur de gala, un pourvoyeur de fonds, un
organisateur de spectacles, un brainstorming festif, un coaching
de vedettes… Oui mais quelqu'un que l'on nomme maladroitement commissaire et
qui ne sert en fait qu'à recevoir ou attribuer des « commissions », cela amène
le tout à changer en tout. Commissionnaire oui. Commissaire à recreuser
davantage, à moins qu'il y soit revêtu par commission et non par omission d'un
sens aigu de l'inquisition, de la requête, de la recherche et de l'enquête, un
plein policier soit !
Pour faire taire la grogne le temps décimal
d'une saga musicale, il existe des organes institutionnels pour ça. On joue
avec l'argent du peuple soumis aux dépens d'un public provoqué. Les « festi-veaux » sont une aubaine annuelle pour les marchands
de sons, de feu et d'artifices. Allez voir, messieurs de l'Inspection générale
des finances, dans les entrailles de cet office chargé de « financer » ces
représentations sporadiques. A combien s'élèvent le montage d'un plateau et la
prise en charge de ceux qui l'agitent ? Quel est le sens gestionnaire que l'on
donne aux cahiers de charges et aux dispositions du code des marchés dans ce
monde clos et couvert ? Un cachet artistique ne se discute pas, peut-on nous
dire, comme une prime de signature d'un grand joueur de foot. Le marché dans ce
monde-là n'est pas ficelé selon l'orthodoxie financière et n'obéit à aucune
facture pro forma ou devis contradictoires. Il y a un seul Cheb Khaled, un seul
Mami. Un certificat administratif serait exigible par
le contrôleur financier le cas échéant. Le cachet, mal défini car inégal, serait
une tractation venant de toutes parts. De l'intercession au parrainage.
Le prix d'une
heure de bruit diffère d'une sono à une autre. Celle de Bekakchi
n'est pas identique à celle de Koufi. Celle de Khaled
est loin d'être celle de Hamid Belbèche.
Mami aurait demandé le paiement préalable en devises.
Donc, ces sommes faramineuses qui se dissipent au vent et au rythme de la joie
de quelques pontes du sérail d'avoir aidé ou assisté tel ténor devraient
connaître une autre issue moins ludique et beaucoup plus pédagogique. De quoi
construire quelques centaines de logements en quelques bruyantes nuits.
Quels sont les gens du spectacle qui font
dresser les scènes, les jeux de lumières, les fumigènes et autres effets
spéciaux ? Toujours les mêmes. Loin du domaine professionnel et formationnel. Du même douar. Regardez un peu dans le profil
des additions facturières à la hausse que l'on dresse comme on dresse en
hauteur des chapiteaux de cirque. Une seule affiche, pourtant dérisoire et
digne d'un travail manuel d'écolier de premier palais, coûte les yeux de la
tête. Comme une zerda, dans le festival, il y a
toujours à boire et à manger. On offre sur une sous-tasse de bons de commande
un bon « café », on distribue sous la même sous-tasse un « pot » de besoins
urgents par-ci et par-là. Et que la fête commence !
L'on semble bien voir la tenue de festivals se
dérouler entre le paradoxe de l'histoire et l'irréflexion des décisions. Il est
presque admis et de notoriété que seules les villes
ayant un espace de ruines peuvent s'émouvoir dans les pierres tombales et
s'éclater dans les sarcophages éventrés.
Que rapporte un festival tenu sur les ruines
d'antiques cités ? Que ce soit à Timgad ou à Djemila,
les touristes noctambules ne font pas guichet fermé. Les populations de ces
localités n'ont, durant l'année, que ce laps de temps pour voir l'autre monde. Celui
venu en cortège officiel ou d'ailleurs. Même les ténors, les stars payées rubis
sur ongle viennent tard et quittent tôt le village. Croyez-vous que Mami a pu visiter les allées, les bains, les temples de
Timgad ? Croyez-vous que Cheb Khaled s'est rendu dans la journée, en plein jour,
sur la grande place de l'empereur Nerva, à Djemila, là
où il devait se produire une fois la nuit tombée, ou se faire prendre en photo-souvenir sous l'arc de Caracalla ? Il est venu, escorté,
il s'en est allé de même. Une droite ligne. Aéroport-hôtel-scène.
Aucun sous reçu ici n'est à dépenser ici. Pas même un p'tit
souv en poterie locale que le jeune Timgadi ou Djemili peine à vendre.
C'est sous la
fièvre estivale que toutes nos villes semblent frémir pour s'ériger en des
podiums dignes d'abriter des festivals. Certes, ils ont tous leurs effets
aléatoirement bénéfiques : secouer un tant soit peu l'habitude, remplir une
mission d'animation agitatrice et créer du remous et du mouvement.
Mais en fait de festivals, tous se ressemblent.
Du festival de la chanson oranaise à Oran, à celui de la chanson actuelle à BBA
ou celui du raï à Sidi Bel-Abbès, en passant par
Timgad, Guelma ou Tlemcen, une seule et unique expression commune : dépenser en
croyant divertir. Si le pourquoi est connu, le comment et le pour qui
demeureront toujours une affaire de contrôle de la finance publique.
Selon la définition usuelle et universelle, un
festival est censé être une manifestation à caractère festif, organisée à
époque fixe (annuellement, le plus souvent) autour d'une activité liée au
spectacle, aux arts, aux loisirs, etc., et susceptible de durer plusieurs jours.
Il est souvent l'occasion tant attendue de la
remise de trophées, de prix et de récompenses diverses. Jusqu'ici, ces normes
structurelles sont aléatoirement respectées. Mais il vise aussi une exportation
d'images à l'usage du monde entier. L'Algérie a besoin de s'internationaliser. Plus
d'ouverture.
Nos festivals ont été les précurseurs à pas
mal de stars arabes. Ils se sont faits sur nos scènes. Mais, si jamais l'on
ramène de grosses pointures, même à coup de milliards, le talent en question
serait une tare, bonne voie de transmission et de communication. Au festival de
Djemila, nulle ombre d'un journaliste étranger, voire
arabe, pourtant consacré à eux !
L'Office chargé, avec contrefaçon et gaucherie,
disons-le, de la culture et de ces festivals, avec un responsable
indéboulonnable et très courtisé, allant jusqu'à inféoder certains walis, devrait
penser plus à affiner les objectifs qu'à affûter son absolutisme, sa
supériorité et son irresponsabilité organisationnelle. On ne sait plus à quoi
vise financièrement, outre le divertissement présumé, cette manifestation. A
rentrer ou sortir des fonds ?
Cette septième édition de juillet 2011 à Djemila, qualifiée subitement et
improprement « d'arabe », prouve une fois encore la recherche d'un repère
pérenne. La culture dans la ville n'est qu'un programme officiel tracé, comme
l'est par ailleurs la liste des premiers convives : sur commande, à la pipe et
à la hâte. Les sponsors, venus comme l'on vient dans une réunion de LSP, sont
aux premières loges. Cette vision culturelle n'est en somme qu'un protocole
d'occasions et de circonstances. Elle vise plus une cible de pouvoir remplir
une case de service fait que d'opter pour distraire une population.
Ici, dans cette lointaine localité, la
population, grandement juvénile, toute acquise à ce déroulement de tapis rouges
aux voitures rutilantes, ne garde de ce festival que le rinçage des yeux. Une
fois l'événement passé, rebonjour l'isolement, la
marginalisation et l'oisiveté étouffante. Elle aurait besoin, cette jeunesse, non
pas d'une auberge de jeunes mais d'une maison où l'industrie crée de l'emploi
et suscite une valeur ajoutée. Des usines, de l'investissement local employeur
et source de richesse. Pourtant, certains locaux sont devenus, par le miracle
de la promotion immobilière et de l'entreprise publique du bâtiment, de grands
potentats. Mais pas ici. Dans le chef-lieu, ils sont devenus, après des années
de dénuement, des personnalités adulées. La cause, cette fois-ci, est loin du
festival. Elle est dans un autre cadre. Le ciment, le fer et le béton.
Les jeunes là
jeûnent d'emploi et de loisirs. A Djemila, le temps
ne se compte que pour une dizaine de jours. Le restant n'est qu'une
consommation chronologique ordinaire. En fait, le festival n'apporte rien de
nouveau aux autochtones. Même les taches de surveillance et de garde du site, des
entrées, sorties, espaces et autres attributions déléguées seraient troquées
ailleurs qu'ici. Elles seraient importées à l'aide de conventions, dit-on, avec
des firmes maintenant florissantes de gardiennage. Toujours les mêmes. Ne
laissant aux résidents que l'abrupte fonction de garder les automobiles de
quelques visiteurs ou s'affairer dans la vente de menus coupe-faim.
L'on aurait voulu que nos festivals ne soient
pas uniquement un contenu hybride d'un lot de spectacles à mettre au-dedans
d'un amphithéâtre romain ou une manière dérisoire de rétribuer les artistes. L'art
du spectacle, ou le spectacle vivant comme l'on dit, se devait de dépasser le
cloisonnement du seul but de divertir. Certes, faire oublier la morosité
journalière serait, entre autres, l'un des soucis de cette production de joie
instantanée lors d'une représentation en public. La joie est partagée et trop
vite consommée. Le retour au jour pénible et contraignant ferait subitement
omettre sur la scène le spectacle, l'enthousiasme et les décibels. A Djemila, les lendemains de Sétif sont difficiles. La région
est figée.
A l'arrêt. Un grand « Stop » semble lui
obstruer le chemin de la continuité du développement enregistré à ce jour. Le
monde attend l'hypothétique et itératif prochain mouvement.
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Posté Le : 21/07/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com