Algérie

Dans le désert des Berbères...



Scène du film
La présence de «Abou Leïla» à la Semaine de la Critique, à Cannes, valide donc de la plus belle des manières l'essai transformé par le jeune cinéaste.
Une fois la lumière revenue dans la salle du Miramar (lieu dédié à la Semaine de la Critique), et au bout de cette chronique d'une folie (peu) ordinaire, «Abou Leïla» et ses 161 minutes, nous posait encore question, mais pas forcément problème... Le pluriel serait plus approprié. Donc des questionnements. Le pitch': «Algérie, 1994. Deux amis d'enfance, traversent le désert à la recherche d'Abou Leïla, un dangereux terroriste. La poursuite semble absurde, le Sahara n'ayant pas encore été touché par la vague d'attentats. Mais S. (Slimane Benouari), dont la santé mentale est vacillante, est convaincu d'y trouver Abou Leïla. Lotfi (Lyes Salem), lui, n'a qu'une idée en tête: éloigner S. de la capitale. Pourtant, c'est en s'enfonçant dans le désert qu'ils vont se confronter à leur propre violence». Certes, Amin Sidi-Boumediene, jeune cinéaste, avait toute la légitimité du créateur pour aborder cette période sans l'avoir vécue directement, ayant passé toute cette décennie noire derrière le paravent de l'enfance. Et c'est tant mieux. Reste que les circonvolutions qu'emprunte le récit, requéraient une indispensable investigation afin de déterminer l'origine de cette scansion par l'image qui imprime au récit ce rythme, faussement foutraque...
Du «Rock progressif»
Comme un collage dadaïste, pour faire court ou compliqué. Sans avoir entendu un seul de ses murmures, on soupçonnerait le cinéaste, d'être un transfuge des années Woodstock; il y a de la musique dans l'ADN de ce cinéaste, à coup sûr! Mais comme les héros de son film, la démonstration ne va pas tarder à s'enliser, elle aussi, dans les sables de la mémoire. Et voilà que le lendemain, à la première de «Il était une fois Hollywood» de Quentin Tarantino, on se détache pour un temps de Leonardo Di Caprio et Brad Pitt, pour s'arrêter sur la BO (d'enfer), dès les premières notes de «Hush» (Deep Purple- 1968)... Euréka! Sidi-Boumediene et le «Rock prog» ont certainement noué une idylle secrète bien en amont de «Abou Leïla». C'est ce qui expliquerait cette rythmique proche de ce rock progressive, qui s'est imposé deux décennies durant (60-70), amorçant depuis peu un retour sur lequel il serait prématuré de se prononcer aujourd'hui. Dans ce désert des Tartares, redevenu de par la réalité géographique, celui des Berbères, sont alors convoqués King Crimson, surtout, mais aussi les Pink Floyd et autres Jethro Tull. Et à ce road movie de faire, by the way, et subtilement les poches de «Shining», dans cet hôtel du Sahara, puis dans celles de «Théorème» une fois échoué dans ce désert, celui de «la conscience» diraient les Pasoliniens. On parlera plutôt dans cette histoire algérienne, d'inconscience. Celle qui aura accompagné dans leur quête-poursuite, nos deux aventuriers, sur les pas de ce Abou Leïla, aussi sanguinaire que ce fauve dont il aurait revêtu les apparences humaines, le temps d'une démente hallucination de S, comme sous l'effet d'une redoutable plante hallucinogène. À coups d'ellipses narratives, les mots deviennent muets, sans pour autant se départir de sens.
Eclipse et hallucination
Ils expliquent l'indicible, l'horreur de cette violence qui a poussé ce policier au flegme de psychopathe (excellent Samir El Hakim) à se faire muter dans le Sud, fuyant ce Nord devenu, un enfer généralisé. C'est à S, flic bouffé par la douleur d'avoir vu tomber son collègue sous les balles du terroriste, au moment où son arme s'enraye, qu'échoit, dans le script, du moins, l'improbable tâche de balader le spectateur au gré de ses crises de délire et de confusion mentale. Reste alors son ami d'enfance et d'odyssée, Lotfi, à nous aider à démêler cet écheveau, fait de souvenirs lointains (un trauma d'enfance, un peu trop explicite) et de projections violentes. Or le jeu de Lyes Salem, aussi risqué qu'un numéro de fildefériste, sur le pont du Rhummel, n'arrange pas les choses. L'acteur connaît bien son métier et même si les nombreux rebondissements, lui font courir le risque de se retrouver à court de ressorts dramatiques, malin comme un singe, Lyes Salem est arrivé, deux ou trois fois à offrir de nouveau le même jeu, sans que cela ne trahisse cet air du «déjà-vu»... On en redemanderait presque! Il faut dire qu'ayant choisi une thématique peu propice aux spéculations diverses, les raisons de cette violence terroriste, Amin Sidi-Boumediene, n'aura pas cajolé la facilité. En optant pour ce mode «rock progressive», le cinéaste a certes pu résoudre la question de la quadrature du cercle, sans pour autant répondre (mais était-ce bien nécessaire') à la question essentielle. Il a réussi, par contre, à boucler son histoire, en mettant le spectateur bien ferré, sous sa férule. Tout en prenant le risque d'oublier sur le bas côté les laissés-pour-compte d'un «montage-scénario» qui n'est pas forcément celui dont a besoin une narration filmique.
L'enchâssement littéraire ne se fait pas, à l'arrivée, toujours bon ménage avec celui filmique. On sent le montage, celui du cinéaste, qui prendrait alors le risque de voir surgir ces scories qui ralentissent la narration, au lieu de nous laisser nous perdre dans cette proposition cinématographique audacieuse à plus d'un égard. Un montage plus serré aurait, peut-être, écourté la distance énonciative, celle qui donnerait l'impression d'une relation directe entre le spectateur et les protagonistes de «Abou Leïla».
Un mixage de l'image-temps et de l'image mouvement, aurait également grandement permis toutes les audaces, d'autant, qu'à plus d'une occasion, le cinéaste a décliné un éventail aussi sobre que culotté de ses (grandes) capacités à imposer sa façon de concevoir les choses. «À rendre visible l'activité organisatrice du percevoir», diraient les critiques d'art. Cette perception qui manquera à cette photographe, campée de manière agaçante, donc réussie, par Meriem Medjkane, au contact des Touareg. Sidi-Boumediene fait donc échouer de manière nietzschéenne ses personnages dans ce Sahara immense, les mettant ainsi face à la pensée de l'auteur du «Gai savoir», celle de la dénaturation, du rapetissement.
Des risques au montage
La boucle est bouclée de déroutante manière, mais bouclée quand même. Reste à savoir si Abou Leïla a-t-il vraiment existé' Interrogation intéressante, mais pas forcément essentielle. Tant la question contiendrait le poison de la réponse. Reste alors dans ce film, cette belle proposition de cinéma qui confirmerait la naissance d'un cinéaste audacieux qui avait déjà commencé à convaincre, sérieusement, avec son court-métrage «EL Djazira». La présence de «Abou Leïla» à la Semaine de la Critique, à Cannes, valide donc de la plus belle des manières l'essai transformé par Amin Sidi-Boumediene.


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