Jamais élevée au rang des priorités gouvernementales, désertée par les lecteurs et très mal servie par des éditeurs fraîchement débarqués dans la profession et des auteurs en constante régression numérique, l'industrie du livre n'arrive pas à trouver ses marques en Algérie.Le problème ne date malheureusement pas d'aujourd'hui, puisqu'il fait l'objet de débats depuis le lancement des réformes de 1988. Des débats sans fin et sans résultats probants se poursuivent aujourd'hui encore.Si la production et la diffusion, autrefois dévolues exclusivement à l'Etat, se sont libéralisées, les problèmes qui minaient le secteur sont pratiquement restés les mêmes. A certains égards, on peut même affirmer qu'ils se sont exacerbés. On peut, à titre d'exemple, citer le cas des prix autrefois plus accessibles car soutenus par l'Etat qui ne le fait plus aujourd'hui. Les prix exagérément élevés pratiqués depuis leur libéralisation par les éditeurs et les libraires constituent, de l'avis de tous les lecteurs que nous avons interrogés, la cause principale de leur prise de distance par rapport aux livres devenus pécuniairement inaccessibles.Certains éditeurs ont bien tenté de contourner le problème en rachetant des droits d'auteurs de livres publiés à l'étranger, mais le marché informel qui a rapidement pris racine sur ce juteux créneau, a vite fait de les en dissuader. Un des principaux éditeurs algérois nous apprend qu'une part non négligeable des nouveaux arrivés dans le monde de l'édition n'utilise leurs agréments d'éditeurs que pour faire fortune dans le piratage de livres et autres supports culturels. Il est temps, dit-il, de mettre de l'ordre dans le secteur, à défaut de quoi, les éditeurs déserteraient la profession pour ne s'occuper, pour ceux qui disposent d'une imprimerie, que de l'impression de livres scolaires et universitaires qui rapportent gros. Certains éditeurs qui ont engrangé de grosses commandes de livres scolaires, sont déjà dans cette logique certes mercantile, mais compréhensible pour ces opérateurs réputés commerciaux dans leurs activités.Mais à regarder de près, le problème de l'industrie du livre n'est pas imputable à ce seul acteur. Toute une chaîne d'intervenants se trouve impliquée en se faisant souvent mutuellement obstacle. On citera à titre d'exemple les auteurs mal rémunérés (les droits d'auteur sont d'à peine 10% des recettes perçues par l'éditeur) de moins en moins intéressés par l'écriture, les distributeurs qui ne couvrent qu'une part infime du territoire national, les imprimeurs de plus en plus chers sans amélioration sensible de la qualité de leurs prestations, les traducteurs qui font défaut dans la spécialité et les libraires dont le nombre se réduit comme peau de chagrin.Entraves à l'exportLes commerces du fast-food, de la téléphonie mobile et du prêt-à-porter, sont en effet plus faciles et plus gratifiants que le commerce du livre, qui requiert un minimum d'instruction, mais aussi et surtout davantage de patience en matière de retour sur investissements. Etant nous-mêmes écrivains, nous nous sommes interrogés sur le pourquoi de la non-exportation des livres algériens, ne serait-ce qu'en direction de pays francophones (France, Belgique, Canada) et arabophones (Egypte, Liban, pays du Golfe) où existe un lectorat potentiel considérable.Tous les ouvrages édités en Algérie (romans, histoire, économie, politique, sociologie) seraient bon à prendre par ces communautés très intéressées par tout ce qui se passe dans leur pays d'origine. Le pays perdrait ainsi annuellement entre 150 et 200 millions de dollars, tout simplement parce que la réglementation de la Banque d'Algérie (articles 60 et 68 de la loi sur la monnaie et le crédit) fait obligation aux exportateurs de livres de rapatrier, sous peine de poursuites judiciaires, les recettes engrangées dans un délai n'excédant pas quatre mois (120) à compter de la date d'expédition. Ce qui est impossible à réaliser compte tenu de la nature de cette activité bien spécifique qui requiert beaucoup de temps pour distribuer, vendre et répartir les recettes entre les différents intervenants commerciaux exerçant à l'étranger.De ce fait, les éditeurs algériens ont préféré déserter ce juteux créneau de l'exportation plutôt que de s'exposer à d'éventuels ennuis judiciaires. La nature ayant horreur du vide, ce sont les éditeurs étrangers qui ont pris d'assaut le marché algérien du livre en utilisant bien souvent les instruments de marketing pourtant expressément mis en place par les autorités algériennes pour promouvoir l'exportation de ce produit culturel qui, a priori, dispose d'un marché potentiel considérable à l'étranger. Le Salon international du livre, qui draine des foules considérables, est ainsi mis à leur disposition pour y promouvoir le commerce de livres étrangers de toutes natures, y compris, ceux qui sont piratés. Un code du livre, dont on promet la promulgation depuis la fin des années 90, devait aplanir une bonne part des difficultés relevées, mais il n'a pas vu le jour. Attendu aujourd'hui encore comme remède miracle, on évoque à diverses occasions sa promulgation prochaine, même si certains journalistes ayant eu accès à ce projet de code, ont décelé dans le texte des velléités à peine voilées, d'introduction de censures politique, religieuse et identitaire. Les quelques éditeurs que nous avons interrogés sur la question pensent que le livre est un produit culturel qui ne se gère pas à coups de lois rédigées en vase clos par des autocrates qui, bien souvent, rament à contre-courant des réalités du pays. Pour s'épanouir, l'industrie du livre, affirment-ils, a surtout besoin d'un cap politique clair et de mesures incitatives en faveur des métiers utiles, mais mal rémunérés du livre (écrivains, traducteurs, libraires, etc.).L'Etat régulateur se doit d'intervenir pour booster le lectorat, en multipliant le nombre de bibliothèques de proximité et en menant des actions médiatiques de nature à inciter les écoliers et étudiants notamment à lire. Nos interlocuteurs ont bien raison, le marché du livre ne peut se concevoir sans lecteurs. Sans demande conséquente, ce marché est condamné à végéter, voire à disparaître, si les faillites des éditeurs et des libraires venaient à être nombreuses.
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Posté Le : 07/11/2016
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nordine Grim
Source : www.elwatan.com