Le cortège s'arrête sous des détonations de baroud
A l'heure du dîner, les invités se relayaient aux tables. A la différence des Aurès, on mange encore collectivement. On s'attable en groupes de six personnes, le berbouche (couscous en chaoui) arrive dans une grande assiette...
Du Djurdjura aux Aurès, le trajet ne prend plus quatre ou cinq heures. Deux heures suffisent pour atteindre la ville de Sétif venant de Tizi Ouzou. L'autoroute Est-Ouest a résumé une route qui prenait une journée pour en faire juste un petit voyage. Objectif: assister à une fête de mariage dans un village chaoui à Aïn Azal. Ces dernières années, deux phénomènes viennent conjointement se greffer à la vie ancienne dans ces monts escarpés des Aurès. Le premier est que beaucoup de femmes kabyles sont mariées à des gens de la région participant ainsi à tisser des liens familiaux. La seconde est hélas, l'arrivée des moyens modernes qui éloignent de plus en plus les anciennes traditions chaouïes.
Aussi, nous avons accompagné une famille de Tizi Ouzou qui se rendait à Aïn Azel pour assister à une fête de mariage. Le jeune marié est leur neveu, fils de leur fille. Le voyage n'est plus rude comme avant. A présent, le périple nous prend juste deux heures. Sur le quai, nous embarquons dans un taxi à la nouvelle gare de Tizi Ouzou. L'essentiel du temps est passé sur la route Tizi Ouzou vers Boumerdès pour rejoindre la route vers Constantine à partir de Thénia. Une fois, l'autoroute Est-Ouest abordée, la route n'est plus qu'un jeu. En un clin d'oeil, c'est la wilaya de Bouira qui nous accueille avant de frapper aux portes de Bordj Bou Arréridj. Enfin, l'entrée de la ville de Sétif apparaît. Sur place, il nous fallait rejoindre Aïn Azel dans les Aurès à quelques dizaines de kilomètres de là.
Le baroud et le berbouche sous les airs du disc-jockey
A proximité du village, c'est déjà l'ambiance de la fête qui nous accueille. A notre arrivée, celle-ci avait déjà commencé. Le baroud est à l'honneur et accompagne des youyous comme le veut la tradition locale. Des membres de la famille du marié s'apprêtaient à aller dans la maison de la mariée. «Nous allons emporter, comme le veut la tradition, des moutons et les ingrédients nécessaires pour nourrir nos invités qui iront chercher la mariée demain inchallah. Nos ancêtres ont toujours respecté cela. Pour nous aussi c'est une obligation incontournable», explique le père du jeune marié dans un chaoui que nous avons bien compris.
Un homme debout devant la porte, fit un geste de la main et les femmes commencèrent de sortir rejoindre les véhicules garés devant la demeure. «Nous allons en cortège porter les obligations traditionnelles. Les invitées vont découvrir la mariée qui nous rejoindra demain», explique la mère du marié dans un kabyle qu'elle a gardé en le mariant savamment à l'accent des Aurès. La dame, une sexagénaire, est en fait une Kabyle mariée dans les années 1980 à un Chaoui. Nous avons toujours cru que cela relevait de l'exception. Mais nous allons vite découvrir le contraire.
Dans la fête, la dame va nous faire découvrir d'autres femmes nées en Kabylie. «Oui, je suis une Kabyle de la région de Tigzirt. Je suis mariée depuis 1985. Mes enfants sont maintenant devenus des adultes. Je compte marier certains d'entre eux à des filles de chez-moi» affirme une autre femme qui a visiblement le même âge que notre interlocutrice. Dans la fête, il y en avait au moins cinq. Notre interlocutrice nous les a toutes présentées. Elles se sont visiblement très adaptées. Elles parlent kabyle avec un accent chaoui.
Parvenu dans la maison de la mariée, le cortège s'arrête sous des détonations de baroud. Les femmes ornées d'habits traditionnels aux couleurs vives sont rentrées dans la demeure. La cérémonie du henné se déroulait à «huis clos» strictement chaouie. Le rituel est réservé exclusivement aux femmes. Donc, nous avons poursuivi notre quête de mariages entre Kabyles et Chaouis. «Ma femme est kabyle et je ne le regrette pas. Si mes enfants acceptaient, je les marierais tous à des filles de Tizi Ouzou». L'aveu est venu d'un homme à la soixantaine. Un autre jeune de 45 ans révélera que sa femme est de Tizi Ouzou. Il l'a connue à l'université d'Alger. «Ma femme est de Tizi Ouzou. On s'est connu à l'université d'Alger. Et j'en connais beaucoup qui se sont mariés à des Kabyles», affirme-t-il fièrement.
Les fêtes chaouies envahies par le disc-jockey
A l'heure du dîner, les invités se relayaient aux tables. A la différence des Aurès, on mange encore collectivement. On s'attable en groupes de six personnes, le berbouche (couscous en chaoui) arrive dans une grande assiette. «Nous mangeons ensemble comme nos grands-parents l'ont toujours fait. Cela renforce notre fraternité. Nous l'accompagnons de viande de mouton de préférence», nous explique un vieil homme qui comprenait bien notre accent de Kabylie. Mais hélas, nous n'avons pas retrouvé l'ambiance ancestrale des Aurès faite de bendir et de djouaq. Les airs chantés à la flûte n'existent plus. Il en reste quelques traces dans les cimes des Aurès comme à Tkout. Imnayen, foursan ou ldjouad comme on les appelle de ce côté de l'Algérie profonde ont presque disparu. Les fêtes sont envahies par le disc-jockey. La musique chaouie ne vient plus de la flûte mais du poste radio ou autre matériel. «Dommage en effet, car la tradition disparaît à une grande vitesse. Les fêtes ne ressemblent plus à celles de jadis. Aujourd'hui, on ne danse qu'aux airs enregistrés. Les chanteurs coûtent cher et les anciens à la flûte ont quasiment disparu. Il n'en reste plus beaucoup», explique avec amertume un vieil homme.
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Posté Le : 25/07/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Kamel BOUDJADI
Source : www.lexpressiondz.com