Les vieux démons de
«l'Algérie de Papa» semblent toujours hanter les esprits de certains
intellectuels français, puisque cinquante après «La déchirure», tel était le
titre du documentaire écrit par Benjamin Stora et réalisé par Gabriel Le Bomin
qui a servi de trame au débat sur la Guerre d'Algérie, initié par France 2, la
chaîne de télévision publique, on continue de dénier aux «terroristes» leur
qualité de combattants de la liberté.
Pour ce faire, on
use du symbole des liens communs, notamment celui du sang en invitant Kad
Merad, pur produit des deux cultures et narrateur des faits dans le
documentaire, ou du sol : Benjamin Stora, historien issu d'une vieille famille
juive de Constantine, Jean Jacques Jordi, historien et juif algérois, Danielle
Michel Chich, née juive algérienne, victime civile de la guerre, journaliste,
essayiste, Dalila Kerchouche, née en France, journaliste et fille de harki qui
n'est, semble-il, là que pour présenter son livre intitulé : « Mon père, ce
harki ». Un autre alibi de plus pour évoquer, le massacre des harkis abandonnés
à leur sort par l'armée d'occupation. Il faut bien que des faits macabres se
répètent, la déportation des juifs n'aura pas été ce simple « incident de
l'histoire » qu'un ancien tortionnaire lui attribue. Ali Haroun, probablement
le seul, qui pouvait parler de la sale guerre pour l'avoir vécue dans
l'angoisse, était mis en posture minoritaire sur le plateau et David Pujadas
n'y fera rien en dépit de ses déclarations d'intention. Le père Guy Gilbert, le
loubard de l'Eglise, écrivain et éducateur spécialisé n'apportera au débat que
de lointains souvenirs sur sa conscription à l'âge de 25 ans et son séminaire
d'Alger entre 1965 et 1970. Consensuel ou amnésique, il place le bourreau et la
victime sur le même pied d'égalité.
Le documentaire,
de bonne facture technique, nous fait entrer de plain-pied dans les faits
d'arme sans préambule aucun. Benjamin Stora aurait pu y greffer, la
présentation introductive de l'Algérie coloniale qu'il a développée à la
question de Pujadas sur la différence entre la colonisation du Maroc, de
Tunisie ou même du Sénégal avec celle de l'Algérie. Ce particularisme algérien,
résidait dans le fait que le pays était rattaché administrativement à la
Métropole, qu'il a fait l'objet de massives dépossessions foncières, de
peuplement par des transfuges venus d'Espagne, d'Italie, de Malte, de Suisse et
bien entendu de France et qu'en plein milieu de la guerre, on découvrait les
champs pétrolifères du Sahara. Ces immensités désertiques serviront, à la fin
de la guerre, de banc d'essai à l'armement nucléaire qui fera de la France, la
quatrième puissance militaire mondiale. Pour revenir au document filmé lui-même,
la voix feutrée de Kad Merad qui se voulait neutre, introduisait le sujet par
un acte de sabotage pratiqué sur un train de marchandises qui abordait un
ouvrage d'art; on suggérait déjà que l'insurrection armée s'attaquait au
symbole de la civilisation. La vérité, était tout autre bien sûr. Le
commentaire, habilement juxtaposé à l'image, se veut solennel : «Toussaint
1954: Les Français d'Algérie pleurent leurs morts assassinés la veille. La
communauté française vient d'être la cible d'attentats meurtriers…des hommes,
des femmes, des militaires, des civils… une action violente et concertée. Ce
sont les premiers morts de cette guerre qui commence… elle va durer presque
huit ans, huit ans de violence inouïe dans laquelle 1 million de jeunes soldats
vont y être projetés, 30.000 ne reviendront pas. Une guerre qui va provoquer la
mort des centaines de milliers d'Algériens, le déplacement de 1 million et demi
de paysans et la destruction de centaines de villages ». Il est remarquable de
constater que si pour le coté français, les chiffres sont plus ou moins précis,
pour le côté algérien, il ne s'agit que d'approximation. Le seul chiffre qu'on
veuille bien arrêter est celui des morts algériens à la fin du conflit et qui
s'élèverait, selon Stora à 400.000.
Le commentateur,
achèvera son introduction par cette note de dépit qui lui fait dire : « Une
guerre qui va déraciner 1 million de Pieds Noirs de leur terre natale,
entrainer l'abandon et le massacre de milliers de harkis (encore, une
approximation). Une guerre qui ne dira jamais son nom et qui provoquera la
chute d'une république et la naissance de la Ve république et pour l'Algérie
l'arrachement de son indépendance » (Le soulignage est de l'auteur). Pour ceux
et celles qui pensent encore que c'est sous le gouvernement de de Gaulle que
les choses se sont améliorées, ils se trompent encore une fois. La guerre a
connu son apogée avec la venue du général dont l'arrière pensée était
d'affaiblir militairement la résistance armée, pour négocier en position de
force avec le FLN quand le moment sera venu. Affaiblie militairement par le
plan Challe dont la machine de guerre ne pouvait être contenue, que par une
autre puissance militaire de même taille, elle fit entendre sa voix sur les
forums internationaux par des manifestations populaires massives. Ainsi, J.J
Jordi, reconnait-il la victoire médiatique du FLN sur la machine de guerre
coloniale. Commentant la violence inouïe de cette guerre, il s'appesantira plus
sur la violence du FLN que sur celle qui a été générée lors de l'occupation.
Ali Haroun qui évoquera à ce titre, les palmarès peu glorieux des coupeurs
d'oreilles du Général de St Arnaud et consorts, sera apostrophé gentiment par M
Pujadas qui semblait reprocher à l'intervenant son recul dans l'histoire. M
Jordi l'historien, estime pour sa part, qu'aucune violence ne peut justifier
une autre… il faut reconnaître aussi que la France a joué un rôle civilisateur
en Algérie qui n'existait pas en tant qu'Etat. Il est à se demander sur quelles
peuplades toutes les campagnes de Charles Le Quint se sont-elles disloquées ?
Le clou de la
soirée était et sans nul doute, l'histoire de la petite Danielle, pied noire
juive âgée de cinq ans au moment des faits (30 septembre 1956) et victime d'un
attentat à la bombe déposée au Milk Bar dans un sac de plage par une poseuse de
bombes. A l'âge de raison, Danielle Michel Chich interpelle Zohra Drif (la
poseuse de bombes) plus d'un demi-siècle après, par un livre intitulé « Lettre
à Zohra D. ». Il faut reconnaître cependant à cette auteure, l'honnêteté intellectuelle
qu'elle a manifestée lors du débat sur la violence et qui a consisté à dire «
Il faut reconnaître que la série d'attentats contre les Européens a été
inaugurée par l'attentat meurtrier de la Casbah perpétré par des radicaux
français (1)». Quant au reste, il n'y pas lieu de monter cette banale affaire
en épingle, car le jour où se trouvait par hasard cette petite juive de modeste
extraction au Milk Bar, de petits algériens subissaient dans leurs douars, le
pilonnage d'une artillerie ou d'une aviation aveugles et ne se sont jamais
trompés d'endroit. M. J.J Jordi, estime enfin, que pour amender un tant soi peu
ce déchirement, si la France doit reconnaître les méfaits du colonialisme, elle
ne doit nullement s'en excuser…merci du peu M. l'historien !
Ce conflit
sanglant qui traîne encore ses relents haineux, n'a été qualifié par
l'Assemblée nationale française que le 10 juin 1999, soit 37 ans après son
terme. Dans une ultime déclaration, ce jour là, un député annonçait: «Elle, (la
guerre) n'a pas mis fin, seulement, à 130 ans de colonisation, mais elle fut
aussi, à bien des égards, une déchirure». La France fera-elle, un jour, amende
honorable comme l'a fait avec elle l'Allemagne au bout de 3 conflits armés ?
Rien n'est moins sur, en regard des récentes tentatives de stigmatisation
induites par l'affaire du tueur de Toulouse.
(1) Les plus
radicaux des militants de l'Algérie française, s'organisent en groupuscules
paramilitaires sous la direction d'André Achiary, ex-officier du SDECE qui fut
sous-préfet dans le Constantinois au moment des massacres de Sétif (1945). Avec
les membres de l'Union française nord-africaine, créée par Robert Martel,
Achiary monte l'attentat de la rue de Thèbes, dans la Casbah d'Alger, dans la
nuit du 10 août 1956 qui fait 16 morts et 57 blessés et marque un tournant dans
la guerre d'Algérie.(source: wikipédia)
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Posté Le : 12/04/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com