Algérie

Daniel Bensaïd, Professeur de Philosophie, à Alger


«Le sacré réinvestit l’espace politique profane» Que peut la politique? Tel était le thème de la conférence animée, hier, au Centre culturel français d’Alger, par Daniel Bensaïd, professeur émérite de Philosophie à l’université Paris 8, également directeur de la revue Contretemps. Le Pr Bensaïd, connu pour être un spécialiste de Walter Benjamin et de Karl Marx, a débuté son cours magistral par une citation tirée du texte de Hegel sur la décadence de la cité grecque antique. Selon lui, les politiques ne peuvent rien faire devant la puissance des marchés à l’heure où les sociétés sont homogénéisées par la société marchande. Le Pr Daniel Bensaïd, acteur incontesté du mouvement trotskiste mondial, a dénoncé, à l’occasion, «l’irrationalité des marchés, sans visages ni responsables, mis à nu par la bulle financière qui vient de terrasser des pays tout entiers qui croyaient dur comme fer à la logique libérale». Pour Daniel Bensaïd, alors que «la modernité politique s’articulait depuis le 17e siècle sur un ordre territorial, le principe de souveraineté et un système de régulation international des conflits, ce modèle est entré en crise sous le choc de la mondialisation et de la privatisation du monde. Après trois siècles de souveraineté, le droit d’ingérence est imposé au droit des Etats. «On est, selon lui, dans ce qu’on appelle l’arbitraire juridique». En outre, l’espace public rétrécit à vue d’œil et la citoyenneté dépérit sous le règne anonyme des marchés financiers. «Le droit international, quant à lui, est malmené par la logique de la guerre globale et d’une guerre illimitée, avec la prolifération des législations d’exception et des zones de non droit comme à Guantanamo.» Ce fait accompli a poussé encore plus les gouvernements à se déclarer publiquement impuissants devant les cataclysmes économiques, fera-t-il remarquer. Les partis politiques, pour leur part, capitulent devant les caprices et l’inconstance des sondages. Ce qui a entraîné les pays, d’après lui, à rentrer dans une logique de vases communicants où l’espace politique a cédé le pas au discours religieux. Ainsi, le sacré réinvestit en force l’espace politique profane. Les signes avant-coureurs des dérives des guerres politiques confessionnelles sont apparus, selon le Pr Bensaïd, au lendemain du 11 septembre à l’annonce par W. Bush du mot «croisades» et de guerre du bien contre le mal. Ce retour du vocabulaire religieux s’est accentué avec la guerre israélo-palestinienne et les procès religieux se superposent aux procédures juridiques. Au cours de sa conférence, le Pr Bensaïd nous renvoie en arrière, au temps du philosophe Aristote qui a défini deux conditions constitutives d’un Etat, l’une spatiale où le citoyen est appelé à se réunir sur la place publique de la cité et une autre temporaire, instituée par des mandats. Pour le Pr Bensaïd, les espaces des Etats nationaux qui structurent la vie nationale se sont effrités devant les effets dévastateurs de la mondialisation. Pour mieux expliquer le dérèglement des espaces politiques, il renvoie l’assistance aux idées novatrices de Paul Valéry dans son livre «Regard sur le monde actuel» où il fait état de dispersion des lieux de décision et la complication de ces espaces à différents niveaux au dépens de l’espace national, ce qui a conduit à la démission des politiques. Avec un retour inquiétant de la perception apocalyptique de l’avenir à la place des promesses d’un monde meilleur. Pire, relève le Pr Daniel Bensaïd, «les références tribales et claniques de l’Etat ont émergé pour compenser la faillite de l’Etat comme communauté nationale». Le professeur Daniel Bensaïd a parlé également de la privatisation du monde et des services publics, en donnant comme exemple la privatisation d’espaces urbains dans certaines villes de l’Amérique Latine où la circulation devient payante, ou encore «l’engagement par les Etats-Unis d’un quart de leurs troupes, constitué de mercenaires, dans les guerres en Afghanistan et en Irak». Il s’agit selon lui, d’une privatisation de la violence. Mais aussi de la privatisation du savoir avec 555.000 brevets déposés privant l’humanité de leurs biens communs. Abed Tilioua
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