Algérie

Dahassa le douar oublié



Hameau de quelques maisons de fortune, perché sur une colline perdue dans l'Est oranais, près d'Oued Tlélat, le douar Dahassa est une zone d'ombre. Il n'y a presque rien, aucune commodité pour vivre dans cet endroit en marge de tout développement. Privé d'eau, de gaz, de réseau d'assainissement, d'éclairage public, d'école, de salle de soins, de commerces, de poste de gendarmerie..., le douar Dahassa est un désert, à une vingtaine de kilomètres seulement de la deuxième ville d'Algérie.Cette petite bourgade, délaissée depuis toujours par les autorités locales, n'a bénéficié d'aucune considération en matière de développement local et social. Les appels au secours lancés, par intermittence, par les pauvres villageois n'ont jamais trouvé d'écho favorable. Dahassa, le douar démuni de toute commodité, semble désormais se résigner à son sort cruel. Si ce n'est le bétail, seule source de subsistance de ses habitants, tout le monde aurait quitté à jamais ce lieu presque maudit.
Le hameau, situé dans la commune rurale d'El-Braya, n'est desservi par aucun moyen de transport. Il y a seulement sept mois, ce douar a été doté d'un tronçon routier de 2,5 kilomètres linéaires. Cette petite route bitumée, réalisée dans le cadre du programme spécial de la direction des travaux publics de la wilaya d'Oran, relie désormais la bourgade au chemin de wilaya n°35.
Il s'agit d'une route étroite et sinueuse, réalisée à la va-vite, qui ne permet pas le croisement de deux véhicules ; lorsque cela se produit, l'un d'eux doit nécessairement s'arrêter sur l'accotement pour céder le passage. Heureusement peu emprunté par les voitures, cet axe routier est le seul accès au douar Dahassa. Seuls les connaisseurs et les habitués s'aventurent sur cette petite route du fait qu'il n'y aucun panneau de direction pour informer les automobilistes. Hameau oublié ne figurant sur aucune carte administrative, Dahassa a été longtemps ignoré par les concepteurs du plan directeur d'aménagement et d'urbanisme (PDAU).
Le projet d'extension du PDAU en gestation prévoit certes la réalisation d'équipements publics (groupe scolaire, salle de soins, mosquée, salle de sports) dans cette bourgade, mais les responsables de la commune d'El-Braya restent sceptiques quant à la traduction sur le terrain de ce projet. Ce douar ne peut espérer bénéficier de perspectives de développement, du moins dans un futur proche. L'isolement de ce douar est aggravé par la fragilité de la couverture de la téléphonie mobile : il faut, en effet, gravir le sommet d'une crête pour espérer capter le réseau mobile. Cette indisponibilité de couverture de la téléphonie mobile est problématique, dans un douar où la majorité des habitants sont des éleveurs de moutons, qui redoutent les voleurs de bétail. La couverture du réseau mobile est plus que nécessaire pour éviter le pire et secourir les villageois en cas d'assaut de voleurs.
Déserté par ses habitants durant la décennie noire qui, durant plusieurs années, s'étaient réfugiés dans le chef-lieu de la commune pour fuir les hordes terroristes, le douar a vu, dès le début des années 2000, leur retour à leurs tristes demeures.
L'approvisionnement en eau potable est un problème épineux pour les villageois. Il n'y a ici ni réseau d'alimentation en eau potable ni forage pour assouvir la soif des villageois et de leur bétail. Les habitants doivent recourir aux services des colporteurs d'eau pour s'approvisionner en précieux liquide. La citerne de 3 000 litres est cédée à pas moins de 2000 DA. Difficile de cultiver quoi que ce soit sur cette terre en l'absence d'eau pour irriguer les cultures. L'élevage du bétail est la seule activité possible dans ce lieu isolé.
Loin de tout...
Ce douar est méconnu de la majorité des Oranais. Se rendre à ce hameau perdu n'est pas une mission aisée.
Il faut être accompagné par un guide, de préférence un ancien habitant de cette zone, pour accéder à Dahassa et aborder les villageois. Les éleveurs de ce hameau sont constamment sur leurs gardes : ils redoutent les étrangers qui peuvent être des voleurs de bétail.
À l'entrée du douar, notre voiture est accueillie par les aboiements de deux chiens qui nous escortent jusqu'aux portes des premières maisons. Plusieurs plateformes sorties de terre sont visibles, mais les travaux semblent à l'arrêt. Il s'agirait, selon notre accompagnateur, de maisons construites dans le cadre du programme d'aide au logement rural.
À l'approche de ce douar, on se croirait dans un marché aux bestiaux. Les baraques de fortune qui parsèment le haut de la crête sont entourées d'enclos bricolés avec toutes sortes de matériaux. Emmitouflé dans des haillons, le visage brûlé par le soleil et fatigué par les longues veillées nocturnes pour garder les bêtes, le premier habitant que nous rencontrons est un jeune homme peu bavard. Réservé, il engage difficilement la discussion. Après les salutations d'usage et quelques échanges amicaux avec notre accompagnateur, il consent à jeter : "Nous survivons dans des conditions difficiles. Tu vois bien notre situation."
Nous nous dirigeons vers une autre maison pour rencontrer un habitant du douar, un père de famille en djellaba, la quarantaine bien entamée. Lui, contrairement à son voisin, accepte aimablement de répondre à nos questions : "Nous vivons ici dans la misère et le dénuement total. Nous avons besoin de tout : eau, gaz, assainissement, éclairage public, écoles, etc. Nos enfants parcourent plusieurs kilomètres pour se rendre à la plus proche école située au chef-lieu de la commune d'El-Braya. Il n'y a même pas de ramassage scolaire pour les enfants du douar. Quand la pluie tombe, Dehassa se transforme en bourbier. Nous réussissons à tenir grâce à l'élevage du bétail, sinon tout le monde aurait quitté cet endroit isolé."
Comme d'autres, le quotidien des habitants de Dahassa se résume à garder le bétail jour et nuit. Ils ont pour devise "tu veilles comme un chien, tu te réveilles en homme". Tous les témoignages recueillis auprès des villageois à Dahassa respirent les dures épreuves, la détresse et l'inquiétude des lendemains incertains. Les nombreux villageois interrogés regrettent l'insuffisance des aides octroyées pour la construction de 35 logements ruraux groupés, qui sont plafonnées à 700 000 DA.
"Tu ne peux même pas réaliser une plateforme avec 70 millions. Les prix de tous les matériaux de construction ont flambé. Il faut revoir le montant de ces aides", affirment-ils.
Autorités impuissantes
Les responsables de l'APC d'El-Braya, que nous avons rencontrés au siège communal, avouent leur impuissance à prendre en charge les doléances des villageois du douar Dahassa.
"Nous sommes au courant de la situation déplorable de ce douar, mais notre commune ne dispose ni des moyens ni de l'argent pour améliorer le cadre de vie de ces villageois. El-Braya est la commune la plus pauvre de toute la wilaya d'Oran. Nous fonctionnons grâce aux seules subventions de la wilaya. Le budget de fonctionnement de toute la commune (salaires inclus) est de seulement 700 millions de centimes. Qu'est-ce qu'on peut faire avec 700 millions de centimes ' Presque tout le budget de la commune est englouti par les salaires des travailleurs. La commune suffoque financièrement", précise le vice-président de l'APC, Nourredine Achoura. Il ajoute que cette collectivité locale à vocation agricole et pastorale fonctionne grâce aux subventions de la wilaya.
"La wilaya nous a fait don récemment de camions et d'engins. Sans l'aide de la wilaya, notre commune ne pourrait même pas prendre en charge la collecte des ordures", déplore encore notre interlocuteur.
Le douar Dahassa n'est ainsi pas près de voir le bout du tunnel. Ses habitants nourrissent peu d'illusions. Ils paraissent même se résigner à leur sort, même si eux aussi aspirent à leur part de développement. C'est pourquoi Dahassa ne doit pas rester oubliée...

Réalisé par : AREZKI M.


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