Algérie

Da Chabane et ses petites histoires


Da Chabane et ses petites histoires
Le vieux Chabane est pas mal conservé pour ses 84 ans. Lucide et souvent pertinent, il allie avec un certain bonheur le bon sens paysan et une expérience de vie tirée de son long exil. La vie de «Da» Chabane n'a pas, comme on dit, été un long fleuve tranquille. Parti en France «comme tout le monde» à moins de 20 ans, il devait contribuer à la marmite de la grande famille que le rachitique troupeau et les quelques oliviers rabougris n'arrivaient plus à faire bouillir. Une histoire banale, en définitive, pour un jeune villageois de l'époque. Le jeune Chabane, bien pris en charge par son oncle à son arrivée à Paris, a rapidement trouvé du boulot, confié sa paie à son oncle, qui lui remettait le minimum vital et envoyait le reste à son père. Il ne connaissait de Paris que l'usine et la chambre qu'il partageait avec deux autres cousins. Il ne connaissait pas les routes, il ne parlait pas la langue et pendant des années, il s'en accommodait.Il raconte souvent, avec un art de la narration succulent, comment il a commencé à prendre seul le métro parisien. Une histoire un peu compliquée de pois-chiches qu'il prenait avec lui pour en croquer un à chaque station, et descendre quand il n'avait plus de grains dans sa poche. Un jour, il ne sait pas s'il s'est trompé sur le nombre de pois-chiches en quittant sa chambre ou s'il en avait perdu un en cours de route, il est descendu à la mauvaise station !Et c'est à partir de là qu'il a pris son courage à deux mains pour s'aventurer et prendre le métro comme tout le monde, en faisant l'effort de se souvenir ou en demandant aux autres, malgré le handicap de la langue. Chabane y a mis quelques années, mais il est quand même parvenu à s'intégrer à la vie parisienne.Au bout de deux ou trois ans, il est arrivé à parler un français «tordu» mais qui lui permettait de communiquer sans gêne. Il a quitté la chambre à trois pour une autre à lui tout seul, plus confortable, et il s'est affranchi de la tutelle de son oncle pour voler de ses propres ailes. Avec la même verve narrative, il raconte sa première mésaventure le jour où il a touché à l'alcool pour la première fois de sa vie. Avec un de ses amis d'usine, aussi ivre que lui, ils sont entrés dans une gare de chemin de fer et sont montés dans un train de marchandises à l'arrêt.Assommés par le vin, ils ont dormi pour se réveiller le matin dans le train en marche traversant de merveilleuses plaines verdoyantes. Effrayés, ils ont quand même fini par rire aux éclats, puis par descendre à la première gare pour demander le chemin du retour. Aujourd'hui retraité depuis longtemps, il coule des jours tranquilles au crépuscule de sa vie. Chabane est bien portant pour ses 84 ans et continue de semer la bonne humeur autour de lui.Il se porte bien mais il traîne toujours une jambe lourde, une blessure qu'il raconte à ceux qui lui posent la question, les autres connaissant l'histoire, aussi drôle que celles liées à ses frasques parisiennes : rentré au village après sa retraite, le vieux Chabane passait l'essentiel de son temps dans les champs, avec quelques moutons dont il prenait grand soin.Voyant que l'une de ses bêtes était particulièrement turbulente, il lui a mis une longue corde au pied qu'il a rattachée à sa ceinture. Alors qu'il piquait un somme sur l'herbe, le mouton, piqué par on ne sait quelle mouche, s'est mis à courir à travers les champs, entraînant le vieil homme dans sa course. «Dans le train parisien, c'est moi qui étais saoul. Là je pense que c'est le mouton, seulement, je ne sais pas où il a trouvé la bouteille !»


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